#128 Comment penser la société de demain avec Martin Serralta

VLAN! Podcast
VLAN! Podcast
#128 Comment penser la société de demain avec Martin Serralta
Loading
/

GRÉGORY : On va parler ensemble de la société de demain. On peut penser que c’est peut-être un peu tôt de parler de ça parce qu’on est encore en confinement. Mais j’aimerais bien que tu me parles de cette anecdote pendant la Seconde Guerre mondiale et de Jean Moulin, parce que je trouve ça justement très intéressant.

MARTIN : C’est une anecdote et un fait, qui est assez peu connu, que j’adore, qui est que pendant la Seconde Guerre mondiale, Jean Moulin a organisé la Résistance et notamment le Conseil national de la Résistance. Ce qu’on sait moins, c’est que ce Conseil national de la Résistance, qui a démarré en 1943, il avait pour objectif d’organiser les grands mouvements de résistance. Il y en avait autour de la table au départ, il y avait les huit grands mouvements de la Résistance qui avaient été identifiés, et quelques représentants, aussi, de syndicats et de partis politiques, avec des gens avec des opinions hyper différentes, et ces gens se sont retrouvés autour de l’idée qu’il fallait qu’on sorte de cette occupation, il fallait qu’on libère la France, il fallait qu’on réponde à cet appel du général de Gaulle et au fait qu’on veut sortir par le haut de ce conflit. Donc, très clairement, ils ont organisé les actions de sabotage, la coordination avec le débarquement, etc, mais pas que. Dès 1943, ils commencent à réfléchir à l’après. Et moi, j’adore cette anecdote parce qu’ils ont écrit un programme qui a été écrit étape par étape à partir de 1943 qui s’appelle Les jours heureux. Écrire un programme pendant la guerre qui s’appelle Les jours heureux, qui consiste à structurer en fait un après et à se dire quelle société voulons-nous pour après, je trouve que c’est à la fois absolument admirable, c’est dingue de se dire qu’ils ont pensé à ça dans un moment de conflit où, rappelons-nous, ces gens se réunissaient en prenant un risque vital pour eux. À chaque fois qu’ils se retrouvaient ou qu’ils échangeaient, ils prenaient un risque de vie ou de mort pour eux, pour leurs proches, etc et ils écrivent un programme pour la suite.

GRÉGORY : C’est assez fascinant et c’est d’autant plus fascinant que ça porte ce nom, je trouve ça vraiment porteur d’espoir. Qu’est-ce que ça a donné après ce programme des jours heureux ?

MARTIN : Ça a un structuré si tu veux la suite, et ça a participé d’une façon assez claire au fait que le Conseil National de la Résistance a participé à de façon très proactive au programme politique de la rénovation sociale après-guerre. On instaure une logique de la sécurité sociale, le suffrage universel, une révision complète notamment du système de représentation syndicale. Ça a eu un tel impact que dans la Constitution de la quatrième République, en 1946, le préambule de la Constitution qui fait toujours partie de notre Constitution aujourd’hui, instaure un certain nombre de fondamentaux pour la République française, notamment le droit de vote des femmes, l’égalité homme-femme plutôt pour être précis, le droit de se syndiquer, le droit de faire grève, etc, tout un tas de choses qui nous paraissent faire partie depuis toujours de la réalité de la France et qui en fait ont été posées par ces gens qui, je le rappelle, étaient des gens qui avaient des opinions politiques extrêmement diverses, dans le Conseil national de la Résistance, il y avait des gens du Parti communiste, mais il y avait aussi les démocrates chrétiens, des structures de résistant qui étaient plutôt de droite, voire carrément à droite. 

GRÉGORY : Puisqu’on est en guerre selon la voie de Macron, on peut espérer qu’il y ait une transformation qui soit aussi profonde a posteriori, mais ça veut dire aussi que ça peut être maintenant le bon moment de réfléchir, pas forcément de poser, mais en tout cas de réfléchir à l’après. T’as parlé de la Constitution, quand on parle de faire société ensemble, les gens, et je me comprends à l’intérieur de ce grand groupe que sont les gens, ne savent pas forcément le rôle qu’elle a cette constitution dans ce vivre ensemble, dans se faire société ensemble.

MARTIN : J’ai découvert à quel point, effectivement, c’était un sujet qui n’était pas pensé dans le “faire société” à l’occasion des attentats de Charlie Hebdo. À ce moment-là, comme la grande majorité des Françaises et des Français, je suis stupéfait en janvier 2015 de ce qui se passe. Je change aussi ma photo sur Facebook et je mets “je suis Charlie” et je me pose et je me dis, c’est marrant ce mouvement de tous ces gens qui, y compris moi, qui disent qui “je suis Charlie” et qui n’auraient jamais acheté la veille Charlie Hebdo pour des raisons diverses et variées, qui se reconnaissent à cet endroit-là. Je me dis à la fois qu’est-ce que je peux faire et qu’est-ce que ça veut dire? Dire “Je suis Charlie”, c’est affirmer quelque chose de notre projet de société, mais comme on n’a pas de référence de ça, à la différence par exemple d’un pays comme les États-Unis ou quasiment tous les citoyens des États-Unis connaissent la Constitution, ou en tout cas les droits fondamentaux. Tiens, je pourrais faire un truc, c’est essayer de sensibiliser, de donner à voir la Constitution. J’ai distribué à ce moment-là des morceaux de la Constitution. J’ai un texte de la Constitution en France ou le bloc de constitutionnalité plus exactement, ça fait que 40 pages. Donc j’ai distribué des petits morceaux et à cette occasion, je me suis rendu compte que 99 % de mes interlocuteurs, et je dis ça de façon précise, n’avaient jamais lu la Constitution, voire en ignoraient quasiment le contenu. Ça m’a fasciné, cette dimension, parce qu’on est dans un pays, on dit que les Français, ce sont des super râleurs, ils n’arrêtent pas de tout critiquer, etc. Je me suis dit, mais c’est d’autant plus logique qu’on critique tout car on ne connaît pas notre projet, c’est-à-dire qu’on critique par rapport à un truc qu’on ne connaît pas. On a 40 pages d’une loi fondamentale qui s’impose à tout, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune loi en France, aucun article, aucun décret qui peut être anticonstitutionnel. Ce mot, il veut juste dire c’est contre le projet de société. On peut être contre le projet de société ou dire tiens, le président fait n’importe quoi, le gouvernement fait n’importe quoi, etc, mais il fait n’importe quoi par rapport à quoi ? C’est quoi le point de repère ? Le point de repère, c’est quand même qu’on a la constitution. Il n’y a que ça qui existe fondamentalement en France qui dit, c’est ça le projet de société.

La suite à écouter sur Vlan !

Description de l’épisode

Martin Serralta est un prospectiviste à l’Institut des Futurs Souhaitables et à ce titre il a accompagné des sociétés comme Danone, La Maif, le Groupe Yves Rocher dans leurs transformation responsable.

Il a aussi décidé de réduire son salaire de manière très important et donc son bien vivre pour être dans le bien être.

Autant dire qu’il est profondément aligné sur cette partie là.

Il a une vision très aiguë de la manière dont nous pouvons envisager la société de demain. Evidemment il n’a pas de boule de cristal mais une très bonne compréhension de ce que nous sommes en train de vivre et de la manière dont nous pouvons envisager l’après.

Comment et par quels mécanismes envisager l’après?

Comment faire société ensemble? Questionner le “vivre ensemble”?

Doit on refondre une nouvelle constitution? La constitution est la base de notre projet de société et donc de notre vie ensemble. Ce texte de 40 pages comme le rappelle Martin est donc essentiel.

Avec Martin nous parlons aussi de la théorie des jeux et du dilemme du prisonnier.

Un épisode très riche avec une personne d’une humilité et accessibilité rare.

Vous aimerez aussi ces épisodes

Transcription partielle de l’épisode

VLAN! Podcast
VLAN! Podcast
#128 Comment penser la société de demain avec Martin Serralta
Loading
/

GRÉGORY : On va parler ensemble de la société de demain. On peut penser que c’est peut-être un peu tôt de parler de ça parce qu’on est encore en confinement. Mais j’aimerais bien que tu me parles de cette anecdote pendant la Seconde Guerre mondiale et de Jean Moulin, parce que je trouve ça justement très intéressant.

MARTIN : C’est une anecdote et un fait, qui est assez peu connu, que j’adore, qui est que pendant la Seconde Guerre mondiale, Jean Moulin a organisé la Résistance et notamment le Conseil national de la Résistance. Ce qu’on sait moins, c’est que ce Conseil national de la Résistance, qui a démarré en 1943, il avait pour objectif d’organiser les grands mouvements de résistance. Il y en avait autour de la table au départ, il y avait les huit grands mouvements de la Résistance qui avaient été identifiés, et quelques représentants, aussi, de syndicats et de partis politiques, avec des gens avec des opinions hyper différentes, et ces gens se sont retrouvés autour de l’idée qu’il fallait qu’on sorte de cette occupation, il fallait qu’on libère la France, il fallait qu’on réponde à cet appel du général de Gaulle et au fait qu’on veut sortir par le haut de ce conflit. Donc, très clairement, ils ont organisé les actions de sabotage, la coordination avec le débarquement, etc, mais pas que. Dès 1943, ils commencent à réfléchir à l’après. Et moi, j’adore cette anecdote parce qu’ils ont écrit un programme qui a été écrit étape par étape à partir de 1943 qui s’appelle Les jours heureux. Écrire un programme pendant la guerre qui s’appelle Les jours heureux, qui consiste à structurer en fait un après et à se dire quelle société voulons-nous pour après, je trouve que c’est à la fois absolument admirable, c’est dingue de se dire qu’ils ont pensé à ça dans un moment de conflit où, rappelons-nous, ces gens se réunissaient en prenant un risque vital pour eux. À chaque fois qu’ils se retrouvaient ou qu’ils échangeaient, ils prenaient un risque de vie ou de mort pour eux, pour leurs proches, etc et ils écrivent un programme pour la suite.

GRÉGORY : C’est assez fascinant et c’est d’autant plus fascinant que ça porte ce nom, je trouve ça vraiment porteur d’espoir. Qu’est-ce que ça a donné après ce programme des jours heureux ?

MARTIN : Ça a un structuré si tu veux la suite, et ça a participé d’une façon assez claire au fait que le Conseil National de la Résistance a participé à de façon très proactive au programme politique de la rénovation sociale après-guerre. On instaure une logique de la sécurité sociale, le suffrage universel, une révision complète notamment du système de représentation syndicale. Ça a eu un tel impact que dans la Constitution de la quatrième République, en 1946, le préambule de la Constitution qui fait toujours partie de notre Constitution aujourd’hui, instaure un certain nombre de fondamentaux pour la République française, notamment le droit de vote des femmes, l’égalité homme-femme plutôt pour être précis, le droit de se syndiquer, le droit de faire grève, etc, tout un tas de choses qui nous paraissent faire partie depuis toujours de la réalité de la France et qui en fait ont été posées par ces gens qui, je le rappelle, étaient des gens qui avaient des opinions politiques extrêmement diverses, dans le Conseil national de la Résistance, il y avait des gens du Parti communiste, mais il y avait aussi les démocrates chrétiens, des structures de résistant qui étaient plutôt de droite, voire carrément à droite. 

GRÉGORY : Puisqu’on est en guerre selon la voie de Macron, on peut espérer qu’il y ait une transformation qui soit aussi profonde a posteriori, mais ça veut dire aussi que ça peut être maintenant le bon moment de réfléchir, pas forcément de poser, mais en tout cas de réfléchir à l’après. T’as parlé de la Constitution, quand on parle de faire société ensemble, les gens, et je me comprends à l’intérieur de ce grand groupe que sont les gens, ne savent pas forcément le rôle qu’elle a cette constitution dans ce vivre ensemble, dans se faire société ensemble.

MARTIN : J’ai découvert à quel point, effectivement, c’était un sujet qui n’était pas pensé dans le “faire société” à l’occasion des attentats de Charlie Hebdo. À ce moment-là, comme la grande majorité des Françaises et des Français, je suis stupéfait en janvier 2015 de ce qui se passe. Je change aussi ma photo sur Facebook et je mets “je suis Charlie” et je me pose et je me dis, c’est marrant ce mouvement de tous ces gens qui, y compris moi, qui disent qui “je suis Charlie” et qui n’auraient jamais acheté la veille Charlie Hebdo pour des raisons diverses et variées, qui se reconnaissent à cet endroit-là. Je me dis à la fois qu’est-ce que je peux faire et qu’est-ce que ça veut dire? Dire “Je suis Charlie”, c’est affirmer quelque chose de notre projet de société, mais comme on n’a pas de référence de ça, à la différence par exemple d’un pays comme les États-Unis ou quasiment tous les citoyens des États-Unis connaissent la Constitution, ou en tout cas les droits fondamentaux. Tiens, je pourrais faire un truc, c’est essayer de sensibiliser, de donner à voir la Constitution. J’ai distribué à ce moment-là des morceaux de la Constitution. J’ai un texte de la Constitution en France ou le bloc de constitutionnalité plus exactement, ça fait que 40 pages. Donc j’ai distribué des petits morceaux et à cette occasion, je me suis rendu compte que 99 % de mes interlocuteurs, et je dis ça de façon précise, n’avaient jamais lu la Constitution, voire en ignoraient quasiment le contenu. Ça m’a fasciné, cette dimension, parce qu’on est dans un pays, on dit que les Français, ce sont des super râleurs, ils n’arrêtent pas de tout critiquer, etc. Je me suis dit, mais c’est d’autant plus logique qu’on critique tout car on ne connaît pas notre projet, c’est-à-dire qu’on critique par rapport à un truc qu’on ne connaît pas. On a 40 pages d’une loi fondamentale qui s’impose à tout, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune loi en France, aucun article, aucun décret qui peut être anticonstitutionnel. Ce mot, il veut juste dire c’est contre le projet de société. On peut être contre le projet de société ou dire tiens, le président fait n’importe quoi, le gouvernement fait n’importe quoi, etc, mais il fait n’importe quoi par rapport à quoi ? C’est quoi le point de repère ? Le point de repère, c’est quand même qu’on a la constitution. Il n’y a que ça qui existe fondamentalement en France qui dit, c’est ça le projet de société.

La suite à écouter sur Vlan !

Menu