#279 Le mal-être adolescent: conséquence d’une société violente ? avec Jerôme Colin

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#279 Le mal-être adolescent: conséquence d'une société violente ? avec Jerôme Colin
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Jérôme Colin est journaliste et auteur de 3 romans dont le derniers “les dragons” sorti chez Allary est un bijou.
D’abord parce que l’histoire est poignante mais aussi et surtout parce que le sujet est passionnant et important : le mal-être psychologique des enfants et des adolescents.

Jérôme nous emmène dans son voyage à travers la réalité souvent négligée de la souffrance des jeunes.

Avec son livre “Les Dragons”, Jérôme aborde des sujets sensibles et met en lumière les préoccupations grandissantes autour de la santé mentale des jeunes.

Ensemble, nous tentons de comprendre pourquoi de plus en plus de jeunes sont touchés par ces troubles et comment les proches et principalement les parents peuvent agir pour leur venir en aide.

On va se poser une question étrange et pourtant réelle : qui est véritablement malades? Ces ados qui ne veulent pas de ce monde qu’on leur propose et envisagent le suicide ou les adultes qui se compromettent tous les jours pour vivre dans cette société quitte à faire burn-out sur Burn-out par manque de sens.

C’est un sujet très peu abordé dans les médias alors que selon Jerôme 1 jeune sur 3 dit souffrir de trouble anxieux et 1 sur 10 à avoir envisagé le suicide.
Ce sujet fait peur aux adultes donc on minimise en se disant que c’est sans doute lié à l’adolescence ou que c’est à cause des écrans mais nous faisons fausse route et nous voilons la face en réalité.

Préparez-vous pour un épisode captivant qui vous fera réfléchir sur les enjeux cruciaux de la santé mentale chez les enfants et les adolescents.

C’est parti pour un moment d’échange et de réflexion dans cet épisode spécial de Vlan avec Jérôme Colin.
Un extrait des questions que l’on se pose :
1. Quelle est votre opinion sur le fait que les jeunes préfèrent rester dans un environnement sécurisant plutôt que d’entrer dans la psychiatrie adulte ?

2. Pensez-vous que les réseaux sociaux amplifient les désirs vides chez les jeunes ? Pourquoi ?

3. Comment percevez-vous la négligence des problèmes psychiatriques et psychologiques des enfants et des adolescents dans les médias ?

4. Quel est votre avis sur l’augmentation des tentatives de suicide chez les jeunes filles après la fin du Covid ?

Comment cela peut-il être expliqué ?5. Trouvez-vous que la violence est présente dans notre société ? Dans quelles mesures ?

6. Que pensez-vous de la notion de normalité chez les enfants confrontés à des troubles psychologiques ou psychiatriques ?

7. Selon vous, en quoi le livre “Les Dragons” contribue-t-il à la conversation sur la souffrance des adolescents ?

8. Quelle est l’importance de reconnaître et de traiter sérieusement les problèmes de santé mentale chez les jeunes ?

9. Comment considérez-vous les propos racistes et hallucinants diffusés à la télévision française et leur impact sur la société ?

10. Que pensez-vous de l’importance de l’inclusion et de la responsabilité dans l’éducation des enfants ?

Suggestion d’autres épisodes à écouter :

 

jerome [00:00:00]:

Il y a

greg [00:00:00]:

un sujet dont on parle pas beaucoup, et qui en même temps est très présent, peut-être même dans notre propre famille, c’est les problèmes psychiatriques, parfois psychologiques, des enfants et des adolescents. C’est pas un sujet rigolo, et c’est sans doute aussi pour ça que personne n’en parle, ou qu’on en parle très peu finalement dans les médias. Alors qu’en fait c’est une réalité. Aujourd’hui on a un quart des jeunes femmes qui ont des problèmes psychologiques voire psychiatriques. Aujourd’hui j’ai l’immense plaisir de recevoir un journaliste qui s’appelle Jérôme Collin qui a écrit un roman qui s’appelle Les Dragons, que j’ai trouvé admirable, vraiment très prenant. Et ensemble, on va parler de ce sujet, qui est un peu lourd, je vous l’accorde. En même temps, on va essayer de comprendre pourquoi les jeunes, et voire de plus en plus jeunes, ont des problèmes lourds de psychiatrie ou de psychologie. Comment et qu’est-ce que ces jeunes pensent Pourquoi on en arrive là Est-ce que c’est l’impact de la société Est-ce que c’est l’impact du capitalisme Est-ce que ces enfants sont anormaux, peut-être Vous allez voir, c’est une discussion assez touchante que moi j’ai beaucoup aimé.

greg [00:01:02]:

Je vous laisse l’écouter, allez v’là, c’est parti Bonjour à tous, bonjour Jérôme.

jerome [00:01:13]:

Bonjour.

greg [00:01:14]:

Comment tu te sens aujourd’hui

jerome [00:01:16]:

Aujourd’hui… Bon, Moi je suis belge et je suis à Paris là donc je suis toujours content d’être à Paris donc ça va mieux que d’habitude.

greg [00:01:24]:

C’est une question qui a jamais eu autant de sens dans ce podcast puisqu’on va parler de psychiatrie et on va parler de la psychiatrie des adolescents qui est un sujet finalement qui est extrêmement présent mais dont on parle pas beaucoup j’ai l’impression étrangement.

jerome [00:01:37]:

Il est extrêmement présent dans nos vies parce qu’on a tous de plus en plus et c’est de ça qu’il faut s’inquiéter des jeunes qui vont mal autour de nous. Or on voit que les grands médias ne s’emparent pas de la question. Et ça c’est extrêmement inquiétant je trouve et une de mes explications c’est qu’en fait ça fait peur aux adultes. C’est à dire que les adultes, par exemple avec mon livre Les Dragons, qui raconte l’histoire d’amour entre deux ados dans un centre psychiatrique et la fille en l’occurrence elle est déjà en train de passer une étape à savoir qu’elle a envie de mourir, elle veut plus vivre dans ce monde-ci, et bien cette question-là elle terrifie les adultes. Et il y a beaucoup de gens qui me disent est-ce qu’il faut faire lire ce livre aux gens de 16, 17, 18 ans Et moi j’ai posé la question à des psychiatres évidemment, parce que je me sens responsable du livre que j’ai

greg [00:02:26]:

écrit.

jerome [00:02:27]:

Et les psychiatres s’avaient fait marrer. Ils disent évidemment que oui. C’est un livre qui fait peur aux adultes, mais les enfants et les jeunes, les ados qui le lisent, ils savent très bien dans quel monde ils vivent. C’est pas du tout un livre qui leur fait peur. On voit que c’est une question qui fait peur à nous, à notre génération, celle des adultes.

greg [00:02:43]:

Pourquoi t’as décidé de t’en parler de ce sujet C’est ton troisième livre, c’est ça Pourquoi t’as décidé de parler de psychiatrie adolescente

jerome [00:02:50]:

Pour trois raisons principales. Parce que j’ai été un ado massivement renvoyé de l’école, moi, quand j’étais gamin, parce que je faisais du bruit et qu’on me disait de me taire. Alors J’y arrivais deux minutes, mais à la troisième, je craquais, je dérangeais. Parce que j’ai eu trois enfants qui ont traversé l’adolescence. J’ai vu la difficulté, ce que c’est de grandir aujourd’hui, etc. Et leur souffrance, d’une certaine manière. Et puis, j’ai lu des statistiques comme tout le monde, j’ai lu des statistiques qui m’ont effrayé. Un enfant sur trois aujourd’hui déclare souffrir de troubles anxieux et de dépression.

jerome [00:03:26]:

Un enfant sur trois. Un enfant sur dix déclare avoir déjà pensé au suicide. Ce qui veut dire que si tu prends une classe avec 30 élèves, il y en a trois qui ont déjà eu envie de mourir. Depuis la fin du Covid, les tentatives de suicide chez les jeunes filles ont augmenté de 50%. Alors quand on lit ce genre de truc, on peut l’oublier, mais moi je peux pas. C’est-à-dire qu’à un moment, ça m’alerte, quoi. Je me dis qu’est-ce qui se passe Il se passe quelque chose là, pour le moment. Et donc j’ai téléphoné à des psychiatres, j’ai interviewé des psychiatres, journalistes par ailleurs au moins en Belgique, et ils m’ont dit l’étendue des dégâts, ils m’ont dit la hauteur de la vague actuelle et surtout leur terreur du tsunami à venir parce que selon eux ce problème il n’est pas en train de se régler vu qu’effectivement personne ne le prend à bras le corps et à partir de là j’ai voulu parler de la souffrance des ados parce qu’il y a quand même une question qu’on doit se poser, nous les adultes, c’est ça veut dire quoi un monde où des enfants de 14, 15, 16 ans ont envie de mourir Qu’est-ce que ça veut dire de nous

greg [00:04:28]:

Je vais te poser des questions qui vont être choquantes peut-être pour toi. Est-ce que c’est pas inhérent à l’adolescence de vouloir mourir, de vouloir suicider C’est toujours une idée qui traverse un moment donné dans ton adolescence. Et la deuxième qui est associée, est-ce que les statistiques sont pas en pleine croissance tout simplement parce qu’aujourd’hui, on prend en considération un peu plus les ados et la maladie psychiatrique ce qui n’était pas le cas avant.

jerome [00:04:52]:

Sur la première question, est-ce que c’est l’adolescence qui fait qu’ils vont mal Très très très très très partiellement. Moi j’ai, pour réaliser, pour écrire Les Dragons, je voulais écrire une histoire d’amour entre deux ados, un gamin de 15 ans et une jeune fille de 17 ans et demi qui est prête à sortir parce qu’à 18 ans elle doit quitter le centre. Mais je connaissais pas bien les centres, et donc j’ai fait une immersion. J’ai fait une immersion de 3 mois dans un centre psychiatrique pour ados en Belgique, où j’ai été rencontrer les soignants, mais où j’ai été surtout rencontrer les jeunes, à qui j’avais mille questions à poser. Qui êtes-vous Combien êtes-vous De quoi vous souffrez Qu’est-ce que vous pensez de ma génération Etc. Et tous, tous, et particulièrement une à qui je dédie le livre m’a dit de manière continuelle tu diras Jérôme que c’est pas l’adolescence qu’on souffre vraiment elle m’a répété ça des dizaines de fois il faut pas croire que c’est juste l’adolescence. C’est aussi ce que le monde leur fait, ce que leurs pères leur font, ce que l’école leur font, ce que leur famille leur font. Faut pas…

jerome [00:05:56]:

Ce serait très facile pour nous et pour notre génération de se débarrasser du problème, ce que font les médias et les adultes aujourd’hui en disant mais c’est l’adolescence. Non, c’est pas vrai. En fait, c’est pas que l’adolescence. La principale partie de leur souffrance, c’est la main de l’homme, le patriarcat, surtout les jeunes filles que tu découvres dans ces centres. C’est l’absence de sens qu’on leur propose dans le monde à venir, des idéaux mais de néant quoi. Tu vois C’est tout ça, c’est nous. Il faut pas… C’est très facile pour nous de se dégager de nos responsabilités.

jerome [00:06:30]:

Et après sur les études, il est assez probable qu’on s’intéresse aux études de plus en plus aux ados, sinon que les chiffres sont quand même ce qu’ils sont. Quand ils font des études aujourd’hui, il y a un enfant sur trois qui dit « moi je souffre de dépression, de troubles anxieux ».

greg [00:06:42]:

Est-ce que tu dirais, pour rebondir sur ce que tu disais, que c’est eux qui sont à côté de la plaque ou que c’est les gamins qui, ou nous d’ailleurs, adultes, qui se conforment au système, qui sont malades.

jerome [00:06:58]:

Ça c’est des discussions que j’ai eues avec eux. Pour replacer le truc, en fait, quand j’ai fait ce Team Immersion, j’ai rencontré beaucoup beaucoup de jeunes. Je suis resté trois mois dans ce centre et au début j’ai été exposer mon projet d’écrire un roman et de venir les rencontrer parce que c’était un sujet trop sérieux, je pouvais pas écrire n’importe quoi. Et je leur ai dit je vais me mettre à la table de la cuisine, là venez me voir. Ils m’ont laissé trois jours tout seul. Ce qui veut dire déjà qu’ils ont une certaine méfiance vis-à-vis de nous, les adultes, méfiance que je comprenais mille fois. Et en fait, le quatrième jour, il y a une jeune fille qui est arrivée, elle s’appelait Nell, c’est important de dire son prénom pour moi aujourd’hui, et elle m’a dit qu’est-ce que vous voulez savoir exactement Et on a commencé, on a commencé, on a commencé à parler. Et avec elle, j’ai parlé des heures, des jours, des semaines, vraiment.

jerome [00:07:49]:

Parce que c’est elle qui habite le livre en fait, c’est le personnage de Colette dans le livre, c’est vraiment cette jeune fille-là qui habite ce personnage-là. Et elle, un jour, elle m’a dit « Mais tu sais Jérôme, La vraie question, c’est pas pourquoi j’ai envie de mourir. C’est pourquoi vous tous, vous voulez vivre. Et c’est exactement ce que tu dis, en fait, Grégory. C’est de se dire mais qui est malade, en fait Qui est malade Un jeune en colère contre le monde qu’on lui propose ou nous, les adultes, qui sommes capables d’un tas absolument dégueulasse de compromissions pour pouvoir vivre dans le monde, exister et se lever le matin avec le sourire aux lèvres. Un jour Nell elle m’a dit tu sais toi Jérôme t’es capable de passer devant un homeless, devant un sans-abri, d’aller retrouver trois minutes après un copain à une terrasse et de raconter tes vacances. Et j’ai bien été obligé de lui dire que, en fait, j’étais capable de faire ça. Voilà.

jerome [00:08:45]:

C’est vrai, elle a raison.

greg [00:08:46]:

Et elle

jerome [00:08:46]:

m’a dit, moi je suis incapable. Moi je ne veux pas vivre dans ce monde-là. Qui a raison en réalité Qui est malade C’est une super question à se poser.

greg [00:08:58]:

Et en fait, Il y a vraiment cette idée, on parlait tout à l’heure de neurosciences, que le système éducatif finalement, c’est une machine à conformer et c’est pas forcément une machine à libérer, à permettre aux enfants de faire ce qu’ils ont envie de faire. Tu vois, c’est vraiment une machine qui te conforme. Et finalement, ceux qui réussissent le mieux dans ce système sont ceux qui vont le faire perdurer, finalement. C’est tout le problème. Et du coup, ça continue pour arriver à la situation dans laquelle on est aujourd’hui. C’est quoi la vision qu’ils ont du monde, ces ados-là, justement C’est hyper intriguant et peut-être que tu vois, ça va servir aussi à des parents qui nous écoutent de mieux comprendre leurs propres ados, finalement.

jerome [00:09:45]:

Ouais, et de mieux comprendre l’ado qu’ils ont été aussi peut-être, parce qu’on n’analyse pas au moment où on les traverse. Il y a plusieurs questions. La première chose, c’est la question de l’école, tu vois, qui est une question terriblement en Belgique. Je milite par exemple contre l’exclusion scolaire. Je suis contre l’exclusion scolaire. Alors je comprends qu’il y a des classes, c’est difficile de vivre avec des gamins dedans parce que c’est difficile de donner la classe, mais que l’institution scolaire et que l’état prévoient une classe pour ces enfants là où on va les chérir, les réparer, Ils vont se réparer tous ensemble parce qu’on se répare avec le gros. Non, on exclut les enfants. Il faut savoir que dans les centres psychiatriques, la vérité, c’est qu’il y a plein d’enfants qui ont d’abord été exclus de l’école.

jerome [00:10:28]:

Ça a été la première zone d’exclusion. Quand même, quand il y a des professeurs dans un conseil de classe aujourd’hui, il faut penser à la responsabilité qu’on a de renvoyer chez lui, dans sa chambre, tout seul, un enfant qui est déjà isolé. On va l’isoler d’autant plus, et on sait très bien que les enfants qui vont valdinguer en psychiatrie, la réalité c’est qu’il faut surtout pas les isoler. Il faut les laisser avec leur père parce que quand ils s’isolent, ça va d’autant plus mal. Et ça c’est vraiment une question scolaire et évidemment une question parce qu’effectivement c’est une usine à normativité l’école et donc l’enfant différent ça va être tais-toi, dans le couloir, dégage. C’est les trois étapes. Pour moi une société ne peut pas fonctionner comme ça parce que le pire c’est que les meilleurs de la classe, ils vont voir ce système où on exclut celui qui ne correspond pas. Qu’est-ce qu’ils vont faire quand ceux-là vont devenir patrons Ils vont faire la même chose.

jerome [00:11:25]:

Ils vont exclure. Et quand même, une société qui exclue comme ça à bras le corps et de manière systémique, moi je trouve pas que c’est un super modèle de société à venir quoi et ça ça m’inquiète beaucoup. La vision qu’ils ont de nous, vraiment faut être prête à l’entendre, la compromission, La compromission. Ils disent comment vous parvenez à accepter ça Comment vous parvenez à être un maillon de la machine en sachant très bien que nous allons tous dans le mur Sur l’écologie, sur le travail, sur le sens de la famille, etc. Ils ont une vision apocalyptique de nous. Ils sont en rébellion, ils veulent pas nous ressembler, ça c’est l’adolescence normale. Mais ils ont un jugement sur nous, ces enfants là, qui est assez… Après, il faut savoir dire aussi que c’est des enfants qui ont subi la violence des adultes.

jerome [00:12:17]:

Que ce soit une violence physique ou une violence psychique, assez souvent, pas tous, mais assez souvent. Donc évidemment ils ont de notre monde et du monde des adultes une vision très jugeante et on peut pas leur donner tort, une fois de plus, qui est malade.

greg [00:12:33]:

Qu’est-ce que tu as envie de dire à… Moi je pense qu’il y a moins d’ados qui m’écoutent que des parents. Je sais pas s’il y a des parents d’ados, mais il y a plus des parents. Qu’est-ce que tu as envie de dire à des parents qui traversent ce genre de situation avec leur propre ado, c’est-à-dire, ou qui se posent des questions, qui ne savent pas comment gérer. Comment tu réétablis le discours, pas le discours, mais la discussion finalement

jerome [00:13:03]:

Moi je suis, Moi en tant que père j’ai trois enfants et le dernier ça a été très compliqué, il a arrêté l’école à 13 ans par exemple. Et donc il a eu un parcours compliqué. Aujourd’hui il a 19 ans. Et c’est un, assurer cet enfant de notre amour inconditionnel. Parce qu’en fait il a besoin d’avoir au moins une sécurité dans la vie. Donc l’assurer profondément de cet amour inconditionnel qu’ont les parents pour leurs enfants, si on est capable de le faire. Ça c’est, je pense, le plus important. Ne pas l’isoler.

jerome [00:13:41]:

Ne pas le laisser dans sa chambre tout le temps, etc. Ça ne répare rien. Le pousser dans le monde. Avoir des amis, avoir des pères, avoir une classe, quelle qu’elle soit, on s’en fout, mais qu’il sorte dans le monde et lui faire comprendre ce que j’ai compris moi et ce que j’espère… Le livre Les Dragons, j’espère qu’il ne hurle que ça, c’est on ne se répare pas seul, il faut les autres. Et essayer de faire comprendre à cet enfant qu’il doit aller avec les autres pour se réparer parce que seul, on ne va probablement nulle part.

greg [00:14:15]:

Mais le problème, c’est que ces ados, ils n’ont pas envie. En fait, il y a un mouvement assez général. Et on va parler un petit peu des écrans aussi, parce que ce qu’on observe, il y a eu cet article, je ne sais pas si tu l’as lu, c’est il y a quelques années, 2017, auquel je me réfère assez régulièrement, qui était dans The Atlantic, qui s’appelle Have Smartphones Destroyed the Generation Et en fait, ce qu’on voit, c’est que les ados, finalement, et de manière assez étrange, ils prennent moins de risques que nous. Ils ont moins de rapports sexuels. Il y en a plein qui sont de plus en plus asexuels. Ils font moins de bêtises, en fait. Ils restent derrière leur écran et parce qu’ils sont protégés finalement, même s’ils font les malins etc. En vrai, ils vont pas trop dans le monde.

greg [00:14:57]:

Et en fait, ce que tu dis effectivement, je pense que la solitude, et on va en parler de la solitude parce que c’est évidemment un problème majeur, enfin au même central, aussi pour les adultes d’ailleurs, comment tu fais pour faire sortir un ado de sa chambre quand il n’a pas envie en fait

jerome [00:15:13]:

Ça c’est tout clair, il faudrait que le monde soit attirant. En fait c’est ça la réalité et elle est là probablement notre responsabilité à nous c’est que le monde dehors il n’est pas attirant. C’est marrant aujourd’hui les enfants vivent dedans, dans la maison, seul. Nous pour la plupart on vivait beaucoup plus dehors avec les autres. Il faut vraiment chercher de ce côté là, je pense, parce que la faute aux écrans probablement, mais la faute à l’intérieur, surtout au fait qu’ils restent à l’intérieur et qu’ils s’isolent à l’intérieur même s’ils sont avec les autres, ils sont quand même seuls. Et ça c’est un vrai problème. Et je pense que pousser un adolescent d’or ça sert à rien parce que le monde il sera ce qu’il est dans la rue. Qu’est-ce qu’on leur propose En fait c’est à nous de réfléchir à ça.

jerome [00:16:05]:

Et moi je vois que la classe politique en Belgique et en France, je la vois très peu réfléchir à cette question alors que ses enfants y votent, ou ils vont voter demain. C’est quand même étonnant qu’on ne se dise pas, bon il y a un problème de psychiatrie adolescente, de mal-être adolescente, de dépression adolescente, etc. Et que l’on soit incapables, nous, de réfléchir au fait qu’en fait, on ne leur propose rien de vrai. On leur propose des plaisirs à court terme. Tu vas acheter ça, tu vas acheter ça. Et c’est vrai que acheter, ça remplit quelque chose en nous, mais de manière très courte. C’est de la drogue, quoi. Et après, le lendemain, on a une descente et puis il faut remonter.

jerome [00:16:41]:

Qu’est-ce qu’on propose comme idéal Parce qu’une société, pour que les enfants aient envie de sortir, il faut qu’ils courent tous après un idéal. Moi je trouve que le capitalisme, il n’y a pas énormément d’idéaux à long terme que propose le capitalisme. Je pense même très honnêtement qu’il n’y en a pas. Et je pense qu’une des raisons pour laquelle les enfants restent chez eux, c’est parce qu’ils n’ont pas d’idéaux derrière lesquels courir quand ils sortent.

greg [00:17:06]:

Mais alors si je reviens aux parents, parce que là tu vas à un niveau de société et les parents malheureusement ils n’ont pas cette capacité de faire changer le monde dans lequel on vit. Encore une fois tu vois comment tu fais, c’est-à-dire que qu’est-ce que tu racontes à ton gosse dans le monde dans lequel on vit, qui ne va pas changer, malheureusement, en tout cas, j’espère, mais pas tout de suite et pas à court terme, mais pas dans les dimensions qu’on aimerait. Enfin, je veux dire, enfin bref, on va pas rentrer dans des questions politiques, mais c’est assez terrible ce qui est en train de se passer. Qu’est-ce que tu lui racontes Comment tu lui donnes de l’espoir dans ce contexte

jerome [00:17:45]:

Ouais, bah, Dans Les Dragons, il y a une scène où le personnage principal, Jérôme, il est confronté à un psychiatre. Jérôme, en fait, il était turbulent à l’école, on l’a toujours dit de se taire, qu’il était con et qu’il devait sortir de la classe. Et pour la première fois, alors qu’il n’aime pas ce psychiatre, c’est un adulte, Ce mec va lui parler comme à un adulte. Le psychiatre va lui parler comme pas un débile. Et en fait ce qui va lui expliquer finalement, c’est que l’isolement est une maladie, que le monde attend de toi que tu t’isoles parce que plus tu t’isoles dans ta chambre avec ton téléphone, plus tu reçois de la publicité. Et le monde aujourd’hui, ça l’arrange très bien que tu sois isolé. Donc la rébellion, c’est de sortir dans la rue avec les autres. C’est d’aller avec les autres.

jerome [00:18:31]:

Et ça, je trouve que c’est un des trucs importants que le psychiatre dit à ce gamin. C’est que la vie, une fois de plus, c’est un truc qui se pratique en extérieur.

greg [00:18:41]:

En fait, ce que tu dis, enfin, moi ce que j’entends, en tout cas, c’est que la meilleure manière de se rebeller, c’est… Parce qu’en fait, quelque part, la société, elle a envie que les individus qui n’aiment pas son système s’isolent. Parce que du coup, comme ça, ils n’embêtent personne.

jerome [00:18:58]:

Un peu bien sûr, parce que tout seul, on ne va rien changer.

greg [00:19:01]:

C’est ça. Mais alors du coup, il va aller dans le monde. Mais tu vas aller dans le monde pour quoi Pour te conformer ou tu vas aller dans le monde pour te rebeller Mais si tu te rebelles, est-ce que du coup, tu vas pas faire des choses, tu vois, des exactions qui sont pas forcément très, on va dire, pas correctes. C’est pas le mot, mais tu vois ce que je veux dire Parce que si tu finis en prison ça marche pas non plus en fait.

jerome [00:19:22]:

Non, ça marche pas non plus. Ce que le psychiatre dit à Jérôme dans le livre c’est… En fait, tu vas devoir sortir. Et tu vas devoir sortir dans le monde tel qu’il est, parce que le monde, il ne va pas changer pour toi. Et tu vas, quoi qu’il arrive, devoir trouver ta place dans le monde tel qu’il est. C’est comme ça. Tu n’auras pas le choix. Le monde ne va pas changer pour toi.

jerome [00:19:46]:

C’est toi qui vas devoir rentrer dans le monde et t’y adapter. Alors, est-ce que ça veut dire se compromettre Oui ou non, chacun va décider. Aujourd’hui, moi, je trouve que se pose vraiment la question de la violence. La question de la violence dans la société aujourd’hui, c’est assez intéressant quand même, parce qu’il y a une morale qui nous dit qu’on ne peut pas être en colère, qu’on ne peut pas être violent. C’est de ça aussi dont ça parle les dragons. Or le système il est violent. Et pourquoi donc aujourd’hui, c’est une vraie question que je me pose, sans légitimer la violence, mais au moins y réfléchir, pourquoi on ne pourrait pas répondre à la violence par la violence Pourquoi il n’y aurait qu’un côté qui puisse être à ce point violent Quand un ministre signe un papier dans son bureau, il y a des répercussions directes sur quelqu’un qui habite en Poitou-Charentes et qui termine pas le mois quand il signe un papier ou l’autre. C’est une forme de violence.

jerome [00:20:42]:

Pourquoi est-ce que cette violence ne peut pas être tombée Je suis pas sûr, moi, qu’on puisse combattre de manière pacifique un système violent. Voilà. Et ces enfants qui sont là, ils sont violents. Et les pauvres d’eux, ils sont violents envers eux-mêmes. Parce qu’en fait on ne leur donne pas le droit d’être violent sur ceux qui mériteraient qu’on soit violent avec eux. C’est ça qui est terrible quand tu rentres en psychiatrie adolescente aussi. Tu vois la capacité de ces jeunes à se faire mal. Tu rentres en psychiatrie, tu découvres l’automutilation.

jerome [00:21:15]:

Les lésions auto-infligées, il y en a plein. C’est contagieux. Aujourd’hui, il y a des comptes à Instagram qui font l’apologie de l’automutilation. On en est là, je veux dire. Et se retourner sur soi-même, se faire mal parce qu’on a mal, Je veux dire, nous, on ne serait pas touchés par ça, nous les adultes. C’est terrible. Mais

greg [00:21:37]:

est-ce que l’automutilation, ce n’est pas une méthode pour rester en vie, justement, pour se prouver qu’on est vivant Ils

jerome [00:21:41]:

le disent tous. Ils le disent tous les enfants à qui j’ai parlé, disent ça. Et tous les psychiatres aussi, en fait, c’est se donner un mal physique pour avoir… Pour supprimer un mal psychique. Mais c’est comme la drogue aussi, demain il faut recommencer. Et c’est un cercle absolument vicieux, mais c’est ça l’automutilation. Et c’est terrible de voir ces jeunes filles notamment, parce qu’on ne leur a jamais donné l’autorisation de projeter leur violence sur les autres. C’est ça l’éducation d’une jeune fille aujourd’hui.

jerome [00:22:15]:

C’est si tu souffres tu te taies. Tu vas pas embêter les autres avec ça. Et ça va se régler, t’inquiète pas, c’est l’adolescence. Mais c’est pas vrai, c’est pas l’adolescence, c’est la souffrance. Et la capacité de ces jeunes filles à se faire mal à elles-mêmes, de faire mal aux autres, Je trouve que c’est dingue. Est-ce que tu

greg [00:22:32]:

mettrais l’anorexie dans ce même schéma C’est-à-dire, pour le coup, c’est se faire mal aussi d’une certaine manière,

jerome [00:22:39]:

parce que

greg [00:22:39]:

le bisexuel, c’est de disparaître, d’être transparent quelque part. Il y a eu une forme de contrôle aussi, je crois, dans l’anorexie. Moi, je n’ai pas expérimenté, mais je connais un petit peu le sujet malgré tout. Est-ce que tu mets l’anorexie dans ces mêmes troubles anxieux, on va dire

jerome [00:22:56]:

Moi, je ne suis pas psychiatre, que je sois clair. Je suis romancier et journaliste et j’ai fait une grande enquête, j’ai fait mon immersion, etc. Pour écrire les dragons. Donc c’est pas la même chose, mais j’ai effectivement fait beaucoup, beaucoup… Oui, on est dans la même notion. L’anorexie, c’est se faire souffrir, c’est se faire mal, c’est malmener son propre corps,

greg [00:23:17]:

quand même, tu vois. Non, je te posais la question plus pour savoir si tu avais rencontré des jeunes filles qui étaient dans cette maladie.

jerome [00:23:24]:

Oui, oui, oui, il y en a dans tous les centres. C’est une maladie du siècle, une fois de plus, il faut que ça nous alerte parce qu’il y en a beaucoup, il y en a plus qu’avant. C’est ça la réalité et surtout ça arrive plus jeune. Aujourd’hui les psychiatres que j’ai rencontrés sont très inquiets notamment par l’arrivée de symptômes lourds plus jeunes. Ça c’est quelques dernières années. Et ça ils comprennent pas encore, je pense, bien. Faut poser la question à d’autres, il y en a peut-être qui ont des réponses. Mais ça c’est un phénomène qui les inquiète beaucoup, c’est de voir arriver des jeunes filles de 12, 13, 14 ans et des jeunes garçons avec des symptômes lourds.

jerome [00:24:04]:

Ce qui arrivait moins avant.

greg [00:24:07]:

Tu disais, on a affirmé tous les deux comme ça, très rapidement, que la société était hyper violente. En quoi elle est violente selon toi, mais surtout ce que te disent les enfants. Donc j’ai compris cette compromission par rapport au SDF. À mon sens, elle est violente à plein d’endroits, mais j’aimerais bien comprendre selon toi ou selon les enfants ou les ados, en l’occurrence, que t’as interviewé, En quoi la société, elle est violente

jerome [00:24:37]:

Selon eux, avec toutes les interviews que j’ai réalisées d’eux, etc. Elle est violente parce qu’on leur explique. Je trouve que le temps de l’enfance s’est rétréci. Et pour ça elle est violente pour eux. C’est-à-dire que dès qu’ils rentrent à l’école, ça va c’est gentil quelques années, mais une fois qu’ils ont 10 ans, 10 ans On leur dit il faudrait être le premier. Parce que si t’es pas le premier, après ça va être plus compliqué et ça va être dur la vie. Et tu sais, à 12 ans ou 13 ans, il va falloir faire un peu des coudes parce que la place que toi tu vaudras dans quelques années, il y en a d’autres qui la vaudront. Faudra te battre, etc.

jerome [00:25:15]:

Et quand est-ce qu’on leur laisse le temps d’être des enfants et pas des compétiteurs Et le pire, c’est qu’une fois qu’ils ont fini leurs études, qu’ils ont 18 ans, qu’ils vont rentrer à l’université, à la fac, en professionnel, etc. Apprendre un métier, bah ils réalisent que 1, il y a peu de débouchés, que c’était comme ça et que ça n’a pas de sens. Parce que le travail aujourd’hui a perdu un peu de son sens. Preuve, les burn-out à répétition de tous les adultes qui travaillent, ils sont pas fatigués physiquement. En fait, ils manquent de sens dans leur travail. Et en fait, voilà des enfants à qui on a dit vous allez vous battre toute votre vie, ils ont un premier boulot et ils ne trouvent pas de sens. C’est ça qui est violent. C’est l’absence d’idéal selon moi.

jerome [00:26:04]:

Pourquoi on fait les choses Pour tendre tous ensemble vers quoi Je trouve que ce vers quoi, il n’existe plus aujourd’hui. Et ça, il ressemble à ça comme une énorme violence. En fait le truc, c’est Peter Pan. C’est ne grandissez pas c’est une arnaque. Ils ont pas envie d’être adultes. C’est moche. Ils voient leurs parents s’embrasser de loin le matin à peine, rentrer vannés du travail, décrocher du boulot à cause d’un burn-out ou tout l’autre, être dépassé, le 14 du mois le compte qui est à zéro. Ils voient ça les gamins, ils doivent se battre pour ça.

jerome [00:26:44]:

Moi, je me bats pas pour ça.

greg [00:26:47]:

Du coup tu vois, quand je t’écoute, je me dis… Ça revient à la question qu’on a traité tout à l’heure, mais… Je me dis, mais que penser des gamins qui eux, comply, quoi, tu vois Qui après, ils vont rentrer dans leur rang.

jerome [00:26:57]:

Qui vont

greg [00:26:57]:

C’est super… Enfin, quelque part, tu te dis… Qui est

jerome [00:27:00]:

malade C’est toujours la même chose. C’est la question géniale que tu as posé tantôt. C’est en fait, qui est malade Pour nous les parents, il ne faut pas se mentir. C’est toujours mieux d’avoir un enfant qui est dans la norme et qui va étudier à l’école parce qu’en fait c’est facile et on se dit que sa vie sera plus facile. Elle ne sera pas nécessairement plus heureuse, elle sera plus facile. Moi en tant que père j’ai souhaité ça de mes enfants. Qu’ils soient dans la norme et que leur vie soit facile. Maintenant ça n’a pas été toujours le cas Et une fois que les tempêtes, folles, passent, etc.

jerome [00:27:39]:

Tu vois quand même naître des jeunes adultes qui ont des failles, etc. Mais qui sont intéressants. Parce qu’ils ont dû réfléchir, ils ont dû se bouger, ils n’ont pas… Ils n’étaient pas fit avec ce qu’on leur proposait. La pièce du puzzle ne rentrait pas quoi. Et c’est quand même je trouve assez intéressant les parcours cabossés, l’air de rien. Moi je me rappelle j’étais furieux d’être envoyé de l’école, quand je suis devenu adulte j’étais plutôt très isolé et puis j’ai toujours du mal à être un peu dans le groupe avec les autres, je comprends pas bien comment on fait etc… Je pense que c’est pour ça que je fais de la radio en Belgique.

jerome [00:28:18]:

C’est pour me lier aux autres. C’est pour ça que j’écris Les Dragons, c’est pour me lier aux autres, etc. Et j’ai un sac à dos comme ça, avec des peurs, des angoisses tout le temps. Ben, très honnêtement, je suis pas sûr de vouloir échanger avec un imbécile heureux. Des fois je les envie, mais je trouve que ma vie intérieure, en fait, elle me fait partiellement souffrir, mais elle me plaît. Alors est-ce que c’est du masochisme J’en sais rien, mais du coup je la trouve intéressante. Voilà. C’est souvent une question qu’on se pose quand on

greg [00:28:52]:

a beaucoup beaucoup de choses en tête. C’est est-ce que ce serait pas mieux quand même d’être un imbécile heureux

jerome [00:28:59]:

On les envie des fois.

greg [00:29:00]:

Parfois. Pourquoi tu les as appelés les dragons Alors

jerome [00:29:07]:

je voulais créer une communauté parce que je sais combien ces enfants là qui souffrent, pas seulement en psychiatrie, mais qui souffrent, sont nombreux et Je voulais leur donner un nom, créer une communauté. Et je cherchais en écrivant le livre. Et en fait, quand j’ai fait mon immersion, j’ai découvert l’automutilation. Et l’automutilation, notamment sur les avant-bras, sur les jambes et dans d’autres parties du corps, une fois que ça cicatrise, ça fait des formes de croûte. Et je me rappelle, j’étais à ma table et j’ai écrit écaille serpent etc etc sur une feuille de travail et puis quelques jours plus tard je suis tombé sur un article sur internet sur le globe de Lenox. Le globe de Lenox c’est le premier globe terrestre en trois dimensions qu’on a retrouvé. Il date de 1504, il est exposé à la New York Public Library et le mec qu’il a fait qui s’appelle Pan Lenox, Lenox est l’acheteur du globe. Au sud de l’Asie, il a dessiné un dragon et il a écrit Ix sunt Dracones, ici sont les dragons.

jerome [00:30:05]:

Et ça voulait dire terra incognita. C’est-à-dire là, on sait pas ce que c’est. Et Cégennes, c’est ça. On ne sait pas ce que c’est. Et surtout, l’histoire nous a montré que derrière, il y avait l’Océanie, que l’autre liste plutôt jolie, hein. Et ce côté « on a peur, c’est dangereux », mais en fait, ça révèle, si on traverse, il y a des merveilles, ça m’a fait penser à eux. Parce qu’une fois que je suis allé à leur rencontre, moi, de ces jeunes, Je les ai trouvés merveilleux, je les ai aimés profondément, tu vois, j’ai eu une empathie folle pour eux. Et c’est des enfants merveilleux.

jerome [00:30:39]:

Très honnêtement, si tous les enfants étaient comme ça, le monde irait mieux. C’est ça la vérité. Et donc, en recoupant ces deux choses-là, ici sont les dragons, je voyais le centre. Et c’est pour ça que j’ai mis une banderole dans le roman à l’entrée du centre où il est écrit ici sont les dragons.

greg [00:30:54]:

Ça pourrait même être… On pourrait envisager en tout cas que ce soit une communauté en ligne, de dire pour les gamins qui se sentent un peu à côté.

jerome [00:31:04]:

C’est mon rêve, j’attends le livre. En Belgique, ça marche très, très, très, très bien. En France, c’est plus lent, c’est normal. Et c’est mon rêve qu’ils s’en emparent et qu’ils aient leur communauté à eux parce que communauté ça veut dire les autres et et si on a un jour qui créé cette communauté etc je serai l’homme le plus heureux du monde parce que c’est ce que je veux montrer vous n’êtes pas seul c’est ce que c’est ce que les dragons hurlent en fait c’est Vous croyez que dans votre chambre à isoler que vous êtes le seul à pas dormir la nuit et à être assaillis par des monstres mais la vérité c’est que nous sommes tellement nombreux et croyez pas aussi dans la rue vous croyez des gens qui ont l’air normaux ils ne le sont pas. Ils font bien illusion. Et qu’ils se rendent compte de ça en fait, ces gosses. Et même nous adultes, qu’on n’est pas seul. Et ça, c’est…

jerome [00:31:56]:

Cette communauté, ici sont les dragons, j’en rêve.

greg [00:32:01]:

Est-ce que… Je sais pas si t’es très familier avec les travaux de Jung et si tu travailles sur les ombres. Est-ce que justement les dragons, en tout cas ces personnes qu’on n’arrive pas à catégoriser ou qu’on catégorise comme dérangés, fous, tu peux utiliser tous les mots que tu souhaites, qui sont plus ou moins positifs ou insultants. Est-ce que c’est pas une sorte de dark side de la société et en fait, tout le travail sur les ombres c’est de dire il faut la reconnaître pour que ça se calme, parce que si tu ne la reconnais pas, ça augmente en fait quelque part.

jerome [00:32:39]:

C’est toute la question aujourd’hui, on parlait au début des grands médias qui ne s’emparent pas de cette question et des adultes à qui ça fait particulièrement peur, beaucoup plus qu’aux enfants, parce que les enfants, ils savent très bien dans quel monde ils vivent et ils savent leur réalité. Ils ont tous un copain qui va mal ou eux, etc. Et la reconnaissance par notre société de cette souffrance des enfants, de ces tombes, elle est primordiale. Mais pour ça, il faut évidemment que les grands médias, que la politique ensuite s’en charge et fasse son travail en fait. Mais c’est compliqué en fait parce que 1. Ça nous fait peur et donc on préfère un petit peu regarder de l’autre côté. Et deux, quand même, ces enfants-là, la vérité, c’est qu’ils sont le symptôme criant d’un monde qui ne fonctionne pas. Et donc, les reconnaître, ce serait accepter le fait que notre modèle ne fonctionne pas.

jerome [00:33:32]:

Qui est prêt à faire ça aujourd’hui Qui est prêt à faire

greg [00:33:36]:

ça C’est une blague, c’est une mauvaise blague. Ouais, elle est mauvaise.

jerome [00:33:43]:

Mais c’est ça en fait, parce que la vérité c’est que ce monde où il y a de plus en plus de riches, de plus en plus de pauvres, où il y a de plus en plus de racisme, le retour de l’homophobie… Enfin, je veux dire, c’est effroyable ce qui est en train de se passer. Nous en Belgique, on a un truc qui s’appelle Evrace, c’est-à-dire que dans les classes, ils vont aller enseigner aux jeunes la sexualité. Ils vont pas enseigner aux jeunes à faire des fellations. Ils vont juste expliquer ce que c’est la sexualité dans nos vies. Ça fait un tollé. Il y a quatre écoles où on a essayé de foutre le feu en Belgique.

greg [00:34:14]:

Mais non.

jerome [00:34:14]:

Oui, C’est ça la vérité. Le retour du sacré, le retour de la religion, etc. C’est très puissant. Il y a quatre écoles, à la région de Charleroi, qui est une ville importante en Belgique, où il y a eu des départs de feu, où il était mis sur les murs, « No Evras », « Non » à ce nouveau cours qui va expliquer l’amour, les autres, un peu la sexualité, mais pas de manière pragmatique. On va juste leur dire que la sexualité ça fait partie de la vie et qu’il y a des choses bien, il y a des choses interdites. On va vraiment leur expliquer à se protéger et avoir une vie sexuelle agréable, qu’il ne soit pas un trauma. C’est quand même ça qu’on veut leur expliquer. Il y a des gens qui s’y opposent et ils sont très nombreux.

greg [00:34:52]:

Mais ils ne sont pas au courant que, globalement, 50% des gamins de 11 ans ont déjà vu un porno Ben, ils

jerome [00:34:58]:

se cachent les yeux. C’est le principe absolu. C’est que les mecs qui ont foutu le feu aux quatre écoles, ils n’ont pas brûlé les écoles, il y a eu des départs de feu. Évidemment, ils se cachent les yeux, parce que la vérité c’est que leur gosse, statistiquement, il a déjà vu des pornos. Et justement, il doit être guéri de ça parce que la sexualité, elle ne va pas être conforme à sa sexualité, à cet enfant. Et elle peut être traumatisante d’ailleurs. Et ben non. Parce qu’il se cache les yeux.

jerome [00:35:26]:

Mon fils ou ma fille sont immaculés. Mais la vérité c’est que c’est pas vrai. Et donc tant que nous, on n’acceptera pas que nos enfants vivent dans une société qui nous échappe un peu et qu’on doit y faire face, ça n’ira pas en réalité.

greg [00:35:40]:

Est-ce que mettre son enfant dans un centre psychiatrique pour adolescents, Est-ce que c’est une solution ou est-ce que c’est une forme d’échec d’une certaine manière Pas de la société, je parle vraiment des parents. Mais la

jerome [00:35:57]:

famille Ah ben c’est rien en échec. Ça, il faut que les choses soient claires. Dans les dragons, c’est… Je dis très clair, quand tu as mal, dis que tu as mal, quand tu es triste, dis que tu es triste. Il faut un courage. Courage. Donc on est loin de l’échec absolument fou pour dire qu’on va mal. C’est dur de dire qu’on va mal aux autres alors que toute la société nous dit d’être bien.

jerome [00:36:20]:

Toute la société nous dit d’être

greg [00:36:21]:

bien, qu’on a

jerome [00:36:22]:

tout pour être bien. C’est dur à 16 ans de dire j’ai besoin d’aide. Donc un, le courage immense de ces gamins, je trouve, le courage immense des parents de reconnaître la souffrance de leur enfant et de pas dire, mais c’est l’adolescence Joséphine, tu vois. Quel courage il faut en tant que parent pour accepter que notre enfant, malgré, pas toujours, mais parfois, l’amour qu’on leur porte. Et donc loin de l’échec, salutations, respect total aux parents qui prennent ça à bras le corps et qui justement ne mettent pas le problème sous le tapis. Et d’arriver en psychiatrie, mais c’est comme aller voir un psy, c’est comme dire j’ai besoin d’aide, on n’arrive pas toujours en psychiatrie, c’est pas toujours des cas extrêmes, il y en a plein, il y en a des milliers, des dizaines de milliers en France mais des enfants qui vont mal il y en a bien plus que ça. Et c’est pas un échec familial, c’est un échec collectif. C’est enfin se poser la question, qu’est ce qu’il se passe Chiffrer ça très sérieusement.

jerome [00:37:30]:

Quelles sont les réponses qu’on peut apporter comme pansement, vite Et quelles sont les réponses qu’on peut apporter comme pansement, vite, et quelles sont les réponses qu’on peut apporter à long terme, pour que cette vague, elle se calme. Parce que si on ne fait rien, il n’y a aucune raison, aucune raison pour que ça s’arrange.

greg [00:37:47]:

T’as donné des statistiques tout à l’heure, moi j’en avais une autre qui était aux Etats-Unis mais je crois que c’est 4 filles sur 10, donc 40% c’est énorme, qui ados, qui envisagent de se suicider quoi, ou en tout cas qui, peut-être pas se suicident, mais en tout cas qui sont en trouble psychiatrique fort, on va dire.

jerome [00:38:04]:

Mais on réalise pas là, les chiffres. Enormes. Les chiffres sont fous. C’est ça qu’il faut… C’est pour ça que moi j’écris Les Dragons, c’est pour ça que je viens en parler ce matin, c’est pour ça que je vais dans les librairies tous les soirs en Belgique et en France, et c’est pour ça surtout que j’ai écrit pendant deux ans ce livre, c’est parce que ce problème me paraît absolument primordial et que justement j’ai l’impression que les médias et la politique ne s’en emparent pas alors que moi je vois ça comme une priorité absolue de société parce que qu’est ce qu’on a de plus précieux dans une société que les jeunes qui la composent Une voiture Non hein Et je suis très étonné, mais je pense que comme ils sont le symptôme du fait que ça va mal, ça remet en cause trop de choses pour le moment.

greg [00:38:56]:

Et du coup comment réagissent les personnes que tu rencontres justement dans les librairies ou dans les médias, parce qu’en fait, ils sont implicitement complices, quelque part, de ces systèmes. On les tous, hein Ah, oui, oui, oui, oui. Bah, il y

jerome [00:39:12]:

en a plein qui sont d’accord avec ça. Il y en a qui sont pas d’accord. Il y en a qui se cachent les yeux mais tu sais, il y a une semaine j’étais à la RTBF et il y avait un mec dans un énorme 4×4 allemand qui laissait tourner son moteur depuis un quart d’heure dans le truc Et à un moment ça m’énerve et je vais le voir et je lui dis « Vous pouvez pas juste couper votre moteur, franchement ça va pas changer la face de la Terre, mais c’est mieux ça que le contraire. » Le mec m’a dit « Mais va te faire foutre, je pollue pas » Bah ça, ok. Mais ça, voilà, c’est ça le monde, c’est que tout le monde n’est pas convaincu par les mêmes choses. C’est ça la réalité du monde dans lequel on vit en fait. Et ça va s’étendre à tous les sujets dont celui qui nous occupe aujourd’hui.

greg [00:40:01]:

Comment on fait pour éviter, tu disais, tous les enfants finissent pas en psychiatrie, heureusement, quand on est parent et qu’on a envie que son enfant grandisse sainement, pas forcément qu’il conforme, mais en tout cas qu’il grandisse sainement, comment on fait avant d’arriver à des extrémités comme un centre psychiatrique pour ados

jerome [00:40:23]:

Mais ce dont on parlait un petit peu tout à l’heure, assurer l’enfant d’un amour inconditionnel parce qu’il a besoin au moins, au moins de cette base-là, De savoir que s’il tombe, il y aura au moins deux personnes ou une, un parent, qui sera là pour l’aimer. Ça, je pense que c’est la base de la base de la base. C’est le plus important, je pense. Après, c’est pas toujours de la faute des parents.

greg [00:40:48]:

Des fois, ça l’est. C’est systémique, de toute façon.

jerome [00:40:50]:

Des fois, ça l’est clairement. Oui, des fois,

greg [00:40:52]:

il y a attouchement. Exactement.

jerome [00:40:54]:

Les violences sexuelles, notamment au sein de la famille, c’est aussi des chiffres qui sont colossaux. Et des fois, les parents n’en peuvent rien dans ce qui est en train d’advenir. Donc vraiment, je pense que le seul truc, c’est de manier ses enfants avec précaution et de les mettre si possible quand c’est possible, parce que ce n’est pas toujours possible. On ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas tout le temps ses amis, à l’air de rien. On est des fois attirés par ce qui nous convient pas, etc. Mais c’est d’essayer de les mettre au minimum dans un univers sécurisant, où ils se sentent pas tout le temps en insécurité, notamment affective. Et rien que ces petites choses là, c’est probablement le début d’une réparation.

greg [00:41:43]:

Et tu me disais tout à l’heure que les centres psychiatriques pour ados, ils sont très importants parce qu’une fois qu’on passe à l’âge adulte c’est pas du tout la même chose. Est-ce que tu peux nous parler de ça des minutes

jerome [00:41:52]:

Ouais, la psychiatrie adulte, il y a plus de monde pour pas beaucoup plus de personnel. Il y a des méthodes qui sont différentes dans la psychiatrie adulte que dans la psychiatrie adolescente. La psychiatrie adulte va plus facilement médiquer les patients, notamment, alors que dans la psychiatrie adolescente, on les médique, bien sûr, quand il y a besoin, mais on fait beaucoup plus attention, évidemment, à ça. On n’en fait pas des zombies. Et donc, il y a vraiment comme une urgence à ce que les choses se règlent quand ils sont jeunes pour ne pas basculer dans la psychiatrie adulte. C’est une priorité pour les psychiatres qui s’occupent d’adolescents.

greg [00:42:35]:

Parce que la psychiatrie adulte, et c’est un peu dans le livre en tout cas, on retrouve ça avec cette héroïne, je sais pas si on peut appeler ça

jerome [00:42:44]:

comme ça,

greg [00:42:46]:

qui ne veut pas y aller en fait, dans cette psychiatrie adulte. Parce qu’elle est plus difficile et peut-être il y a plus d’isolement aussi non

jerome [00:42:54]:

Elle veut pas y aller pour plein de raisons, parce que le seul endroit auquel elle appartient c’est là. Parce qu’en fait on parlait d’espace sécurisant tout à l’heure. En réalité, l’hôpital psychiatrique dans lequel moi je suis allé, les portes sont ouvertes. C’est-à-dire que les enfants, s’ils veulent s’échapper, très franchement c’est simple, la nuit c’est un peu fermé, il y a un gardien, mais s’ils veulent se barrer, franchement, c’est d’une simplicité folle. Y’en a qui se barrent le premier jour, deux heures après ils sont de retour et quand on leur dit qu’il faut sortir après huit semaines, parce qu’en fait après huit semaines ils doivent sortir une semaine parce que la vie est pas là, elle est à l’extérieur. Ça sent le retour

greg [00:43:32]:

dans le livre d’ailleurs.

jerome [00:43:33]:

Ouais, et ben en fait ils n’ont plus envie de sortir de temps en temps. Parce qu’ils ont trouvé un univers sécurisant, où les autres souffrent aussi comme eux, donc ils ne sont pas différents, où il y a quand même une forme de bienveillance là-bas, des gens qui s’occupent d’eux, qui essayent d’être gentils avec eux alors qu’à la maison c’est pas toujours le cas, ou dans le groupe d’amis c’est pas toujours le cas, ou sur les réseaux sociaux c’est pas toujours le cas. Par exemple quand ils se blessent, quand ils s’automutilent, il y a une infirmière qui est là pour réparer, mettre les pansements, avoir les bons mots, les bons gestes, au bon moment, etc. Et cet univers sécurisant, ils n’ont pas nécessairement envie de le quitter, et ils savent très bien que la psychiatrie adulte ce n’est pas du tout ça. Ils n’ont pas envie à 18 ans de se retrouver avec des gens qu’on en dise de plus. Ils ont envie d’être avec leur tribu, ils ont envie de rester entre jeunes. Et l’héroïne des dragons Colette, elle est autre part. Le jeune gamin quand il la voit la première fois, lui il veut se barrer du centre.

jerome [00:44:33]:

Il arrive dans le centre, il veut se barrer. Il pose un bout de shit sur la table en se disant si il voit le bout de shit, parce que c’est vrai en plus t’as de la drogue, on te vire. Et il dit génial j’ai un bout de shit dans le revers de ma veste, je vais le mettre là, je vais me faire virer. Il va manger, paf elle arrive, il tombe fou amoureux et il fait tout pour pas se faire virer à cause du bout de chute. Et en fait il tombe absolument fou amoureux d’elle, elle a deux ans de plus que lui et il se dit si je l’aime et qu’elle m’aime on va se sauver mutuellement. Ce qui moi je crois est vrai dans la vie. Je pense que l’amour sauve pas le monde, mais l’amour il sauve quand même un peu les gens de temps en temps. Et lui il croit à ça, mais moi je crois aussi à ça.

jerome [00:45:11]:

Et le souci, c’est que elle, elle est déjà un peu autre part. C’est-à-dire qu’elle, elle a envie de mourir, elle ne voit plus de sens et elle a pris une décision quand même. Et cette décision, c’est de ne plus vivre. Et ça c’est évidemment toute l’histoire du livre. Est-ce qu’ils vont s’aimer Est-ce qu’ils ne vont pas s’aimer Et voilà, c’est ça, c’est ça cette histoire.

greg [00:45:37]:

Est-ce que ça va la sauver Est-ce qu’ils vont se sauver tous les deux Il y a une figure aussi qui est très présente, c’est celle du soignant qui est très costaud.

jerome [00:45:45]:

Qui s’appelle Smensk, oui.

greg [00:45:47]:

Voilà. Est-ce que, enfin, parce qu’en fait, là on parle des ados évidemment, et c’est tout le sujet, mais les soignants, ils ont un rôle majeur. On sait aujourd’hui qu’ils sont eux-mêmes pas très soignés, c’est-à-dire qu’en fait, c’est des bas salaires, ils vivent dans des conditions qui ne sont pas terribles. Les médecins, c’est différent, bien sûr, mais les soignants, c’est quand même… C’est hyper dur de vivre avec des ados qui sont dans des situations de désespoir intense. Et eux-mêmes, finalement, ils doivent gérer ça. Donc, ça a du sens. Mais en même temps, ils sont dans des conditions qui sont très précaires.

greg [00:46:19]:

Est-ce que cette figure, tu l’as récupérée d’un des centres dans lequel tu es allé, ou est-ce que tu l’as complètement imaginée Et c’est quoi le rôle des soignants dans ce genre de centre

jerome [00:46:30]:

Le rôle des soignants, éducateurs, infirmières, psychiatres, psychologues, etc. Gardiens. Femmes de ménage. Tout le monde travaille. C’est-à-dire que, en fait, la femme de ménage ou la cuisinière dans le centre, elle participe à la réparation. Parce que ce n’est pas une soignante et donc les jeunes vont plus facilement aller vers elle. Et elle a un rôle évidemment de représenter une belle version de ce que c’est un adulte et elle va avoir des contacts très forts avec les enfants. Et ça c’est vraiment intéressant, c’est sortir de son rôle et être à la fois effectivement la dame qui va nettoyer le sol, mais aussi la dame qui va réparer.

jerome [00:47:16]:

Et ça c’est formidable. Et moi je l’ai pas mise dans le livre parce que je voulais… Ça ne rentrait pas. Et je voulais ce personnage de Smeans, qui est un éducateur un peu plus dur que les autres, mais qui a un peu le même regard. Un peu cassé que les enfants. Et je voulais faire le parallèle évidemment en me demandant si ces soignants que j’ai rencontrés moi beaucoup dans les centres, est-ce qu’on devient soignant pour des enfants quand on n’a pas été soi-même un enfant à sauver Et c’était une des questions. Et l’autre question, c’était se dire, est-ce que nous sommes vraiment nombreux à faire semblant d’être normaux, de ne pas avoir trop trop de blessures Et ce personnage-là, c’était ça. C’est comme le personnage principal en fait qui a soi-disant réussi sa vie parce qu’aujourd’hui il fait de la radio et il est connu dans son pays et etc.

jerome [00:48:09]:

Il s’est sorti de là, il est sorti de la route qu’on avait tracée pour lui. Combien nous sommes à faire semblant d’avoir eu des vies simples. Et est-ce que nous avons raison de faire semblant d’avoir eu des vies simples ou est-ce qu’on devrait plus exposer le fait que ça n’a pas toujours été simple Ce qui serait une source d’espoir pour ceux pour qui c’est pas simple aujourd’hui, etc. Et j’ai voulu, à travers le personnage de Smensk, essayer de parler de ça.

greg [00:48:37]:

C’est un peu un anti Instagram ou un anti réseau sociaux de manière générale, parce que c’est vrai que sur Instagram, quand tu vas là, maintenant, il y a un peu plus de place pour la vulnérabilité, mais qui est une vulnérabilité acceptable.

jerome [00:48:48]:

Tu

greg [00:48:48]:

vois ce que je veux dire En fait, moi, ça ne me le fait pas trop, mais je sais par contre que Instagram, ça a des vraies répercussions mentales chez les gens. Moi, j’ai cette chance de… Parce que je sais que ce n’est pas la réalité. Donc,

jerome [00:49:02]:

du coup,

greg [00:49:02]:

j’en ai trop conscience pour que ça me touche. Voilà. Mais c’est vrai que c’est Regarde ma meilleure vie, en fait. Tombe amoureux de ma meilleure vie.

jerome [00:49:10]:

Et jalouse-moi.

greg [00:49:11]:

Et jalouse-moi d’une certaine manière. Et aime-moi pour que je puisse t’ignorer quelque part. Il y a un peu de ça. Donc, est-ce que c’est pas ce livre aussi une sorte de pied de nez ou pied de nez, je sais pas, mais à tout ce qui se passe sur Instagram et TikTok et concert

jerome [00:49:28]:

Ouais, je pense. Je pense que c’est ça, c’est ouvrir la cage thoracique, montrer le cœur, plutôt que déguiser et mettre des filtres, ça c’est sûr, c’est sûr et certain. Cette espèce de création, de désir chez l’autre, de choses qu’il ne pourra pas avoir, est une horreur de notre société aujourd’hui. C’est marrant parce que à Bruxelles il y a une avenue très connue qui s’appelle l’avenue Louise avec des magasins de luxe et là il y a je peux dire les marques, il y a Gucci, Louis Vuitton etc etc. Je passais un samedi matin la semaine dernière, et il y avait une barrière devant chez Louis Vuitton avec des gens qui faisaient la file. Et c’était fou parce qu’ils avaient 20 ans. Et en fait, je me suis arrêté. Moi je suis journaliste, donc je pose des questions à tout le monde dans la rue, c’est une horreur.

jerome [00:50:16]:

Et j’ai demandé à des gamins, vous allez acheter quoi Ah bah je vais acheter une ceinture, je vais acheter une casquette, tu vois les trucs les moins chers du magasin. Et t’as travaillé pour ça Et y en a un il m’a dit j’ai travaillé trois semaines et je vais m’acheter une casquette. Et on a créé chez lui un désir dégueulasse. Et il a travaillé trois semaines, à mon avis, deux heures par jour dans un bar, enfin j’en sais rien, et il a été s’acheter une casquette. Et il a le droit. Mais nous on n’a pas le droit de lui créer ce désir. Et ce que fait Instagram, c’est créer des désirs vides, vides. La beauté absolue, le parer, enfin tout ce que Instagram vend comme nouveau désir, ce que la pub faisait avant, mais ce qu’Intagram amplifie colossalement chez les jeunes, le TikTok, et regarde ce que tu ne pourras jamais avoir et on a, ils sont prêts à consacrer une dose d’énergie folle pour en avoir un petit peu.

jerome [00:51:15]:

Ça veut dire rien en fait Et ça, ça m’inquiète beaucoup parce que ça va créer beaucoup de frustration. Ça va créer beaucoup d’injustice aussi parce que, en fait, pourquoi moi, je n’ai pas droit En fait, le gamin dans les dragons, il dit ça. C’est moi qui ai choisi que la maison de mon père, c’était la plus moche de la rue. C’est moi qui ai choisi qu’on avait une vieille bagnole. Tu vois Non C’est comme ça Comment voulez-vous, à un moment, que ces enfants après, ils trouvent que c’est juste On leur crée exactement le même désir que le fils du prince, mais eux ils n’y ont pas droit. Évidemment qu’ils trouvent qu’il y a de l’injustice.

greg [00:51:55]:

Une question un peu on the side, mais pour le professionnel que tu es. Tu disais tout à l’heure que les médias, ils ne parlent pas trop de ce genre de problématiques. Pour toi, c’est quoi le rôle des journalistes Parce qu’en fait, ils sont beaucoup décriés. Il y a un énorme problème de confiance dans le journalisme. On voit de plus en plus de la binarité aussi dans les médias. Et je me dis sur ce sujet là, mais de manière générale, sur les autres sujets, est-ce que le rôle d’un journaliste n’est pas d’être, on dit, donc si c’est bleu et rouge, admettons les idées, High Confidence Blue, High Confidence Red, donc c’est très confiant dans le rouge, très confiant dans le bleu. Et est-ce que la place journaliste, c’est pas d’être High Confidence Grey, tu vois, au milieu Bien

jerome [00:52:41]:

sûr, au milieu. Le journalisme, c’est écrire ou dire ce que certains n’ont pas envie d’entendre. Ça je pense que c’est très important. C’est une des bases de notre métier. Moi je suis intervieweur plutôt à la radio belge et là c’est partager des émotions. Une fois de plus dire, en fait, on n’est pas seul. Tu vois, on partage des histoires, on partage des émotions. C’est très différent, la presse en Belgique et en France.

jerome [00:53:12]:

Très, très différent. La presse belge a encore une forme de grande curiosité, etc. Mais c’est très expliquable parce qu’on est un petit pays à côté de deux très grands, que sont l’Allemagne et la France. Et en fait, on est négligeable. Quoi qu’on pense, tout le monde s’en fout. J’expliquais toujours, J’imagine toujours le bureau de Vladimir Poutine et un conseiller à lui qui arrive pour dire « le premier ministre belge a condamné votre action, monsieur Poutine ». Il n’en a rien à foutre. Qui ça Exactement.

jerome [00:53:40]:

Il dit « c’est où ça » Et ça c’est nous, la Belgique. On est négligeable. Et donc ça nous donne vachement de liberté. Vous, vous êtes un pays puissant, un des pays les plus puissants d’Europe, que vous vouliez ou pas. Et oui, en Europe, vous dirigez l’Europe quand même avec l’Allemagne. Et je vois chez vous une binarité plus grande que chez nous. Par exemple, il y a un truc très bizarre en Fédération Vallonnie-Brussel, là où j’habite, c’est la partie francophone de la Belgique. Il n’y a pas de partie d’extrême droite.

jerome [00:54:10]:

Je n’ai pas dit qu’il n’y avait pas de racisme. Il y en a, c’est systémique.

greg [00:54:13]:

Ce n’est pas forcément lié, mais…

jerome [00:54:14]:

Mais il n’y a pas de partie d’extrême droite. Ça n’existe pas chez nous. Et je me pose toujours la question du pourquoi. Il y a moins… Et ça c’est très choquant pour nous quand on regarde la télé française par exemple, il n’y a pas l’expression de propos homophobes ou racistes dans nos médias. Ça n’existe pas, c’est condamné. Donc il y a ce qu’on appelle un cordon sanitaire qui ne donne pas la parole à ces gens-là. Alors est-ce que c’est une forme de censure, etc.? On peut se poser la question, mais en tout cas c’est ce qui existe chez nous.

jerome [00:54:48]:

Et quand on entend nous, la télévision française par exemple, et certaines chaînes en particulier, où on entend des propos hallucinants, des propos racistes, à l’égard de grandes écoutes sur des émissions qui font un million de spectateurs, nous vraiment on comprend pas. Chez nous on ne comprend pas ça. Et je pense que c’est un problème la binarité de la France aujourd’hui, la manière dont les médias sont un peu cadenassés, soit parce qu’il est célèbre, soit parce qu’il est polémique. Je pense que c’est dangereux. Et en même temps, il y a tellement de journalistes déments en France, de magazines déments en France, encore d’émissions démentes en France où les gens prennent le temps de décrypter, d’analyser avec des ordinateurs brillantissimes. Donc ça va. Mais c’est vrai qu’on voit depuis quelques années et notamment à cause de Bolloré, les rachats de Bolloré, que ce soit évidemment Canal, Europe, GDD, etc. Et on se dit quand même que les élections présidentielles chez vous c’est dans trois ans.

jerome [00:55:57]:

On se dit qu’il attaque tôt, que c’est pas fini, qu’il y aura d’autres rachats. Et on se dit qu’ils sont au début de leur transformation, ces médias-là, et on trouve déjà ça grave. Donc je suis assez inquiet, moi, pour le paysage médiatique francophone-français, sur cette libération absolue de la parole dégueulasse.

greg [00:56:14]:

Ouais, c’est assez fou. En fait, c’est… Et ça fait lien avec tout ce qu’on se raconte.

jerome [00:56:18]:

Oui, exactement.

greg [00:56:19]:

Parce qu’en fait, pour moi, le journalisme a un rôle majeur. Mais ce qui est intéressant, tu vois, moi, quand je regarde, par exemple, sur mon podcast et je réfléchis à l’audience, c’est pas que je sais pas comment ça marche. Je sais bien que les gens, ils ont envie d’avoir des gens célèbres, ils ont envie d’avoir des histoires individuelles, ils ont envie d’avoir de la… Tu vois, un intervieweur qui rentre dedans, etc. Bon, c’est pas moi. Et du coup, je ne respecte pas ces règles de base. Je ne respecte pas que je n’ai pas accès à ces gens-là. C’est juste que je n’ai pas envie de faire ça parce que ça m’intéresse pas.

greg [00:56:47]:

Et puis dans le

jerome [00:56:48]:

podcast, il y a la place pour tout le monde surtout. Et c’est ça qui est génial.

greg [00:56:50]:

Mais si tu veux avoir de l’audience, néanmoins, ce qui intéresse les gens, ça reste ça. Et c’est ça qui est pervers. C’est-à-dire qu’à un moment donné, tu parlais tout à l’heure des journalistes qui font un travail de fond, etc. Mais c’est pas forcément ce que les gens consomment. En tout cas, c’est pas ce que la majorité de gens consomment. Et ça, c’est aussi… Je sais pas si c’est le syndrome, je sais pas exactement à quoi c’est lié, mais c’est hyper intéressant, je trouve, que… Alors que c’est les médias ou les papiers ou les…

greg [00:57:17]:

Peu importe, documentaires, les livres qui devraient être vus, lus, entendus, ben finalement, l’attention se porte ailleurs sur des histoires individuelles, de gens célèbres dont on suppose une vie xy.

jerome [00:57:33]:

Je me pose la même question. Je fais de la radio tous les jours sur Service Public Belge et je sais que je dois faire un minimum d’audience. Et c’est vrai que je vais recevoir dans la semaine prochaine Sophie Marsot, mais que je vais aussi, par ailleurs, contrebalancer et recevoir d’autres personnes absolument inconnues. Et c’est une forme d’équilibre et c’est une réalité. Mais c’est marrant ce que tu dis, la majorité… Et si on commençait à s’en foutre de la majorité Si on l’envoyait à la merde, la majorité, une bonne fois pour toutes, parce que la majorité qui arrive chez vous, moi j’ai envie de l’envoyer à la merde, j’ai pas envie d’en faire partie du tout. Et vraiment j’ai envie de la combattre mais férocement. Et si on arrêtait de parler en termes de majorité et qu’on pensait en termes de minorité, sans communautarisme, surtout, parce que je pense que c’est ça qui va faire qu’on va échouer, c’est qu’on va avoir 10 000 minorités, et aucune ne va être assez puissante pour émerger.

jerome [00:58:31]:

Et si on parvient à faire parler les minorités sans communautarisme, sans la la la la la, et qu’il y ait une forme d’unité, de combat vers la norme, quel monde formidable ce serait dans les dragons il y a une espèce de petite proposition comme ça, utopique, j’en ai très conscience, où on dit la force est d’aimer le faible. C’est ce que le lecteur sort de la lecture des souriers des hommes de John Steinbeck. La force est d’aimer le faible. Si aujourd’hui dans notre société la force c’était pas d’avoir une voiture allemande ou d’être PDG, mais que la force c’était reconnue par toutes et tous comme le fait d’aimer les plus faibles, bah moi je préférerais vivre dans cette société là.

greg [00:59:22]:

Voilà. Mais

jerome [00:59:24]:

ça, ça peut venir que d’en dessous parce que ceux d’en haut, ils ne vont jamais décider ça.

greg [00:59:27]:

Ah bah non Ils n’ont pas aucun intérêt. Non. Le potel s’appelle Vlaan, donc j’aimerais savoir à quoi tu veux ouvrir et où claquer la porte.

jerome [00:59:40]:

Où ouvrir Où claquer Où et comme tu veux. Putain c’est une bonne question. Je veux ouvrir la porte sur ces centres de soins pour adolescents, c’est ce que je fais dans les Dragons 1 très clairement, pour qu’on sache que les enfants ne souffrent pas que à cause de leur adolescence, mais à cause d’une souffrance réelle. Parce que c’est ce qu’ils m’ont demandé de dire, tous et toutes. Et la porte que je vais ouvrir, c’est clairement celle-là.

greg [01:00:20]:

Merci beaucoup Jérôme.

jerome [01:00:21]:

Merci à toi Calco.

greg [01:00:30]:

L’épisode sur vos réseaux sociaux Instagram stories Facebook LinkedIn où vous voulez. Je suis Grégory Pouilly, vous pouvez me retrouver sur l’intégralité des plateformes sous le nom Greg from Paris. Si vous avez des idées pour des invités, si vous avez des commentaires, n’hésitez surtout pas à m’envoyer un message. Allez, Merci et à bientôt.

Description de l’épisode

Jérôme Colin est journaliste et auteur de 3 romans dont le derniers “les dragons” sorti chez Allary est un bijou.
D’abord parce que l’histoire est poignante mais aussi et surtout parce que le sujet est passionnant et important : le mal-être psychologique des…

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Transcription partielle de l’épisode

VLAN! Podcast
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#279 Le mal-être adolescent: conséquence d'une société violente ? avec Jerôme Colin
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Jérôme Colin est journaliste et auteur de 3 romans dont le derniers “les dragons” sorti chez Allary est un bijou.
D’abord parce que l’histoire est poignante mais aussi et surtout parce que le sujet est passionnant et important : le mal-être psychologique des enfants et des adolescents.

Jérôme nous emmène dans son voyage à travers la réalité souvent négligée de la souffrance des jeunes.

Avec son livre “Les Dragons”, Jérôme aborde des sujets sensibles et met en lumière les préoccupations grandissantes autour de la santé mentale des jeunes.

Ensemble, nous tentons de comprendre pourquoi de plus en plus de jeunes sont touchés par ces troubles et comment les proches et principalement les parents peuvent agir pour leur venir en aide.

On va se poser une question étrange et pourtant réelle : qui est véritablement malades? Ces ados qui ne veulent pas de ce monde qu’on leur propose et envisagent le suicide ou les adultes qui se compromettent tous les jours pour vivre dans cette société quitte à faire burn-out sur Burn-out par manque de sens.

C’est un sujet très peu abordé dans les médias alors que selon Jerôme 1 jeune sur 3 dit souffrir de trouble anxieux et 1 sur 10 à avoir envisagé le suicide.
Ce sujet fait peur aux adultes donc on minimise en se disant que c’est sans doute lié à l’adolescence ou que c’est à cause des écrans mais nous faisons fausse route et nous voilons la face en réalité.

Préparez-vous pour un épisode captivant qui vous fera réfléchir sur les enjeux cruciaux de la santé mentale chez les enfants et les adolescents.

C’est parti pour un moment d’échange et de réflexion dans cet épisode spécial de Vlan avec Jérôme Colin.
Un extrait des questions que l’on se pose :
1. Quelle est votre opinion sur le fait que les jeunes préfèrent rester dans un environnement sécurisant plutôt que d’entrer dans la psychiatrie adulte ?

2. Pensez-vous que les réseaux sociaux amplifient les désirs vides chez les jeunes ? Pourquoi ?

3. Comment percevez-vous la négligence des problèmes psychiatriques et psychologiques des enfants et des adolescents dans les médias ?

4. Quel est votre avis sur l’augmentation des tentatives de suicide chez les jeunes filles après la fin du Covid ?

Comment cela peut-il être expliqué ?5. Trouvez-vous que la violence est présente dans notre société ? Dans quelles mesures ?

6. Que pensez-vous de la notion de normalité chez les enfants confrontés à des troubles psychologiques ou psychiatriques ?

7. Selon vous, en quoi le livre “Les Dragons” contribue-t-il à la conversation sur la souffrance des adolescents ?

8. Quelle est l’importance de reconnaître et de traiter sérieusement les problèmes de santé mentale chez les jeunes ?

9. Comment considérez-vous les propos racistes et hallucinants diffusés à la télévision française et leur impact sur la société ?

10. Que pensez-vous de l’importance de l’inclusion et de la responsabilité dans l’éducation des enfants ?

Suggestion d’autres épisodes à écouter :

 

jerome [00:00:00]:

Il y a

greg [00:00:00]:

un sujet dont on parle pas beaucoup, et qui en même temps est très présent, peut-être même dans notre propre famille, c’est les problèmes psychiatriques, parfois psychologiques, des enfants et des adolescents. C’est pas un sujet rigolo, et c’est sans doute aussi pour ça que personne n’en parle, ou qu’on en parle très peu finalement dans les médias. Alors qu’en fait c’est une réalité. Aujourd’hui on a un quart des jeunes femmes qui ont des problèmes psychologiques voire psychiatriques. Aujourd’hui j’ai l’immense plaisir de recevoir un journaliste qui s’appelle Jérôme Collin qui a écrit un roman qui s’appelle Les Dragons, que j’ai trouvé admirable, vraiment très prenant. Et ensemble, on va parler de ce sujet, qui est un peu lourd, je vous l’accorde. En même temps, on va essayer de comprendre pourquoi les jeunes, et voire de plus en plus jeunes, ont des problèmes lourds de psychiatrie ou de psychologie. Comment et qu’est-ce que ces jeunes pensent Pourquoi on en arrive là Est-ce que c’est l’impact de la société Est-ce que c’est l’impact du capitalisme Est-ce que ces enfants sont anormaux, peut-être Vous allez voir, c’est une discussion assez touchante que moi j’ai beaucoup aimé.

greg [00:01:02]:

Je vous laisse l’écouter, allez v’là, c’est parti Bonjour à tous, bonjour Jérôme.

jerome [00:01:13]:

Bonjour.

greg [00:01:14]:

Comment tu te sens aujourd’hui

jerome [00:01:16]:

Aujourd’hui… Bon, Moi je suis belge et je suis à Paris là donc je suis toujours content d’être à Paris donc ça va mieux que d’habitude.

greg [00:01:24]:

C’est une question qui a jamais eu autant de sens dans ce podcast puisqu’on va parler de psychiatrie et on va parler de la psychiatrie des adolescents qui est un sujet finalement qui est extrêmement présent mais dont on parle pas beaucoup j’ai l’impression étrangement.

jerome [00:01:37]:

Il est extrêmement présent dans nos vies parce qu’on a tous de plus en plus et c’est de ça qu’il faut s’inquiéter des jeunes qui vont mal autour de nous. Or on voit que les grands médias ne s’emparent pas de la question. Et ça c’est extrêmement inquiétant je trouve et une de mes explications c’est qu’en fait ça fait peur aux adultes. C’est à dire que les adultes, par exemple avec mon livre Les Dragons, qui raconte l’histoire d’amour entre deux ados dans un centre psychiatrique et la fille en l’occurrence elle est déjà en train de passer une étape à savoir qu’elle a envie de mourir, elle veut plus vivre dans ce monde-ci, et bien cette question-là elle terrifie les adultes. Et il y a beaucoup de gens qui me disent est-ce qu’il faut faire lire ce livre aux gens de 16, 17, 18 ans Et moi j’ai posé la question à des psychiatres évidemment, parce que je me sens responsable du livre que j’ai

greg [00:02:26]:

écrit.

jerome [00:02:27]:

Et les psychiatres s’avaient fait marrer. Ils disent évidemment que oui. C’est un livre qui fait peur aux adultes, mais les enfants et les jeunes, les ados qui le lisent, ils savent très bien dans quel monde ils vivent. C’est pas du tout un livre qui leur fait peur. On voit que c’est une question qui fait peur à nous, à notre génération, celle des adultes.

greg [00:02:43]:

Pourquoi t’as décidé de t’en parler de ce sujet C’est ton troisième livre, c’est ça Pourquoi t’as décidé de parler de psychiatrie adolescente

jerome [00:02:50]:

Pour trois raisons principales. Parce que j’ai été un ado massivement renvoyé de l’école, moi, quand j’étais gamin, parce que je faisais du bruit et qu’on me disait de me taire. Alors J’y arrivais deux minutes, mais à la troisième, je craquais, je dérangeais. Parce que j’ai eu trois enfants qui ont traversé l’adolescence. J’ai vu la difficulté, ce que c’est de grandir aujourd’hui, etc. Et leur souffrance, d’une certaine manière. Et puis, j’ai lu des statistiques comme tout le monde, j’ai lu des statistiques qui m’ont effrayé. Un enfant sur trois aujourd’hui déclare souffrir de troubles anxieux et de dépression.

jerome [00:03:26]:

Un enfant sur trois. Un enfant sur dix déclare avoir déjà pensé au suicide. Ce qui veut dire que si tu prends une classe avec 30 élèves, il y en a trois qui ont déjà eu envie de mourir. Depuis la fin du Covid, les tentatives de suicide chez les jeunes filles ont augmenté de 50%. Alors quand on lit ce genre de truc, on peut l’oublier, mais moi je peux pas. C’est-à-dire qu’à un moment, ça m’alerte, quoi. Je me dis qu’est-ce qui se passe Il se passe quelque chose là, pour le moment. Et donc j’ai téléphoné à des psychiatres, j’ai interviewé des psychiatres, journalistes par ailleurs au moins en Belgique, et ils m’ont dit l’étendue des dégâts, ils m’ont dit la hauteur de la vague actuelle et surtout leur terreur du tsunami à venir parce que selon eux ce problème il n’est pas en train de se régler vu qu’effectivement personne ne le prend à bras le corps et à partir de là j’ai voulu parler de la souffrance des ados parce qu’il y a quand même une question qu’on doit se poser, nous les adultes, c’est ça veut dire quoi un monde où des enfants de 14, 15, 16 ans ont envie de mourir Qu’est-ce que ça veut dire de nous

greg [00:04:28]:

Je vais te poser des questions qui vont être choquantes peut-être pour toi. Est-ce que c’est pas inhérent à l’adolescence de vouloir mourir, de vouloir suicider C’est toujours une idée qui traverse un moment donné dans ton adolescence. Et la deuxième qui est associée, est-ce que les statistiques sont pas en pleine croissance tout simplement parce qu’aujourd’hui, on prend en considération un peu plus les ados et la maladie psychiatrique ce qui n’était pas le cas avant.

jerome [00:04:52]:

Sur la première question, est-ce que c’est l’adolescence qui fait qu’ils vont mal Très très très très très partiellement. Moi j’ai, pour réaliser, pour écrire Les Dragons, je voulais écrire une histoire d’amour entre deux ados, un gamin de 15 ans et une jeune fille de 17 ans et demi qui est prête à sortir parce qu’à 18 ans elle doit quitter le centre. Mais je connaissais pas bien les centres, et donc j’ai fait une immersion. J’ai fait une immersion de 3 mois dans un centre psychiatrique pour ados en Belgique, où j’ai été rencontrer les soignants, mais où j’ai été surtout rencontrer les jeunes, à qui j’avais mille questions à poser. Qui êtes-vous Combien êtes-vous De quoi vous souffrez Qu’est-ce que vous pensez de ma génération Etc. Et tous, tous, et particulièrement une à qui je dédie le livre m’a dit de manière continuelle tu diras Jérôme que c’est pas l’adolescence qu’on souffre vraiment elle m’a répété ça des dizaines de fois il faut pas croire que c’est juste l’adolescence. C’est aussi ce que le monde leur fait, ce que leurs pères leur font, ce que l’école leur font, ce que leur famille leur font. Faut pas…

jerome [00:05:56]:

Ce serait très facile pour nous et pour notre génération de se débarrasser du problème, ce que font les médias et les adultes aujourd’hui en disant mais c’est l’adolescence. Non, c’est pas vrai. En fait, c’est pas que l’adolescence. La principale partie de leur souffrance, c’est la main de l’homme, le patriarcat, surtout les jeunes filles que tu découvres dans ces centres. C’est l’absence de sens qu’on leur propose dans le monde à venir, des idéaux mais de néant quoi. Tu vois C’est tout ça, c’est nous. Il faut pas… C’est très facile pour nous de se dégager de nos responsabilités.

jerome [00:06:30]:

Et après sur les études, il est assez probable qu’on s’intéresse aux études de plus en plus aux ados, sinon que les chiffres sont quand même ce qu’ils sont. Quand ils font des études aujourd’hui, il y a un enfant sur trois qui dit « moi je souffre de dépression, de troubles anxieux ».

greg [00:06:42]:

Est-ce que tu dirais, pour rebondir sur ce que tu disais, que c’est eux qui sont à côté de la plaque ou que c’est les gamins qui, ou nous d’ailleurs, adultes, qui se conforment au système, qui sont malades.

jerome [00:06:58]:

Ça c’est des discussions que j’ai eues avec eux. Pour replacer le truc, en fait, quand j’ai fait ce Team Immersion, j’ai rencontré beaucoup beaucoup de jeunes. Je suis resté trois mois dans ce centre et au début j’ai été exposer mon projet d’écrire un roman et de venir les rencontrer parce que c’était un sujet trop sérieux, je pouvais pas écrire n’importe quoi. Et je leur ai dit je vais me mettre à la table de la cuisine, là venez me voir. Ils m’ont laissé trois jours tout seul. Ce qui veut dire déjà qu’ils ont une certaine méfiance vis-à-vis de nous, les adultes, méfiance que je comprenais mille fois. Et en fait, le quatrième jour, il y a une jeune fille qui est arrivée, elle s’appelait Nell, c’est important de dire son prénom pour moi aujourd’hui, et elle m’a dit qu’est-ce que vous voulez savoir exactement Et on a commencé, on a commencé, on a commencé à parler. Et avec elle, j’ai parlé des heures, des jours, des semaines, vraiment.

jerome [00:07:49]:

Parce que c’est elle qui habite le livre en fait, c’est le personnage de Colette dans le livre, c’est vraiment cette jeune fille-là qui habite ce personnage-là. Et elle, un jour, elle m’a dit « Mais tu sais Jérôme, La vraie question, c’est pas pourquoi j’ai envie de mourir. C’est pourquoi vous tous, vous voulez vivre. Et c’est exactement ce que tu dis, en fait, Grégory. C’est de se dire mais qui est malade, en fait Qui est malade Un jeune en colère contre le monde qu’on lui propose ou nous, les adultes, qui sommes capables d’un tas absolument dégueulasse de compromissions pour pouvoir vivre dans le monde, exister et se lever le matin avec le sourire aux lèvres. Un jour Nell elle m’a dit tu sais toi Jérôme t’es capable de passer devant un homeless, devant un sans-abri, d’aller retrouver trois minutes après un copain à une terrasse et de raconter tes vacances. Et j’ai bien été obligé de lui dire que, en fait, j’étais capable de faire ça. Voilà.

jerome [00:08:45]:

C’est vrai, elle a raison.

greg [00:08:46]:

Et elle

jerome [00:08:46]:

m’a dit, moi je suis incapable. Moi je ne veux pas vivre dans ce monde-là. Qui a raison en réalité Qui est malade C’est une super question à se poser.

greg [00:08:58]:

Et en fait, Il y a vraiment cette idée, on parlait tout à l’heure de neurosciences, que le système éducatif finalement, c’est une machine à conformer et c’est pas forcément une machine à libérer, à permettre aux enfants de faire ce qu’ils ont envie de faire. Tu vois, c’est vraiment une machine qui te conforme. Et finalement, ceux qui réussissent le mieux dans ce système sont ceux qui vont le faire perdurer, finalement. C’est tout le problème. Et du coup, ça continue pour arriver à la situation dans laquelle on est aujourd’hui. C’est quoi la vision qu’ils ont du monde, ces ados-là, justement C’est hyper intriguant et peut-être que tu vois, ça va servir aussi à des parents qui nous écoutent de mieux comprendre leurs propres ados, finalement.

jerome [00:09:45]:

Ouais, et de mieux comprendre l’ado qu’ils ont été aussi peut-être, parce qu’on n’analyse pas au moment où on les traverse. Il y a plusieurs questions. La première chose, c’est la question de l’école, tu vois, qui est une question terriblement en Belgique. Je milite par exemple contre l’exclusion scolaire. Je suis contre l’exclusion scolaire. Alors je comprends qu’il y a des classes, c’est difficile de vivre avec des gamins dedans parce que c’est difficile de donner la classe, mais que l’institution scolaire et que l’état prévoient une classe pour ces enfants là où on va les chérir, les réparer, Ils vont se réparer tous ensemble parce qu’on se répare avec le gros. Non, on exclut les enfants. Il faut savoir que dans les centres psychiatriques, la vérité, c’est qu’il y a plein d’enfants qui ont d’abord été exclus de l’école.

jerome [00:10:28]:

Ça a été la première zone d’exclusion. Quand même, quand il y a des professeurs dans un conseil de classe aujourd’hui, il faut penser à la responsabilité qu’on a de renvoyer chez lui, dans sa chambre, tout seul, un enfant qui est déjà isolé. On va l’isoler d’autant plus, et on sait très bien que les enfants qui vont valdinguer en psychiatrie, la réalité c’est qu’il faut surtout pas les isoler. Il faut les laisser avec leur père parce que quand ils s’isolent, ça va d’autant plus mal. Et ça c’est vraiment une question scolaire et évidemment une question parce qu’effectivement c’est une usine à normativité l’école et donc l’enfant différent ça va être tais-toi, dans le couloir, dégage. C’est les trois étapes. Pour moi une société ne peut pas fonctionner comme ça parce que le pire c’est que les meilleurs de la classe, ils vont voir ce système où on exclut celui qui ne correspond pas. Qu’est-ce qu’ils vont faire quand ceux-là vont devenir patrons Ils vont faire la même chose.

jerome [00:11:25]:

Ils vont exclure. Et quand même, une société qui exclue comme ça à bras le corps et de manière systémique, moi je trouve pas que c’est un super modèle de société à venir quoi et ça ça m’inquiète beaucoup. La vision qu’ils ont de nous, vraiment faut être prête à l’entendre, la compromission, La compromission. Ils disent comment vous parvenez à accepter ça Comment vous parvenez à être un maillon de la machine en sachant très bien que nous allons tous dans le mur Sur l’écologie, sur le travail, sur le sens de la famille, etc. Ils ont une vision apocalyptique de nous. Ils sont en rébellion, ils veulent pas nous ressembler, ça c’est l’adolescence normale. Mais ils ont un jugement sur nous, ces enfants là, qui est assez… Après, il faut savoir dire aussi que c’est des enfants qui ont subi la violence des adultes.

jerome [00:12:17]:

Que ce soit une violence physique ou une violence psychique, assez souvent, pas tous, mais assez souvent. Donc évidemment ils ont de notre monde et du monde des adultes une vision très jugeante et on peut pas leur donner tort, une fois de plus, qui est malade.

greg [00:12:33]:

Qu’est-ce que tu as envie de dire à… Moi je pense qu’il y a moins d’ados qui m’écoutent que des parents. Je sais pas s’il y a des parents d’ados, mais il y a plus des parents. Qu’est-ce que tu as envie de dire à des parents qui traversent ce genre de situation avec leur propre ado, c’est-à-dire, ou qui se posent des questions, qui ne savent pas comment gérer. Comment tu réétablis le discours, pas le discours, mais la discussion finalement

jerome [00:13:03]:

Moi je suis, Moi en tant que père j’ai trois enfants et le dernier ça a été très compliqué, il a arrêté l’école à 13 ans par exemple. Et donc il a eu un parcours compliqué. Aujourd’hui il a 19 ans. Et c’est un, assurer cet enfant de notre amour inconditionnel. Parce qu’en fait il a besoin d’avoir au moins une sécurité dans la vie. Donc l’assurer profondément de cet amour inconditionnel qu’ont les parents pour leurs enfants, si on est capable de le faire. Ça c’est, je pense, le plus important. Ne pas l’isoler.

jerome [00:13:41]:

Ne pas le laisser dans sa chambre tout le temps, etc. Ça ne répare rien. Le pousser dans le monde. Avoir des amis, avoir des pères, avoir une classe, quelle qu’elle soit, on s’en fout, mais qu’il sorte dans le monde et lui faire comprendre ce que j’ai compris moi et ce que j’espère… Le livre Les Dragons, j’espère qu’il ne hurle que ça, c’est on ne se répare pas seul, il faut les autres. Et essayer de faire comprendre à cet enfant qu’il doit aller avec les autres pour se réparer parce que seul, on ne va probablement nulle part.

greg [00:14:15]:

Mais le problème, c’est que ces ados, ils n’ont pas envie. En fait, il y a un mouvement assez général. Et on va parler un petit peu des écrans aussi, parce que ce qu’on observe, il y a eu cet article, je ne sais pas si tu l’as lu, c’est il y a quelques années, 2017, auquel je me réfère assez régulièrement, qui était dans The Atlantic, qui s’appelle Have Smartphones Destroyed the Generation Et en fait, ce qu’on voit, c’est que les ados, finalement, et de manière assez étrange, ils prennent moins de risques que nous. Ils ont moins de rapports sexuels. Il y en a plein qui sont de plus en plus asexuels. Ils font moins de bêtises, en fait. Ils restent derrière leur écran et parce qu’ils sont protégés finalement, même s’ils font les malins etc. En vrai, ils vont pas trop dans le monde.

greg [00:14:57]:

Et en fait, ce que tu dis effectivement, je pense que la solitude, et on va en parler de la solitude parce que c’est évidemment un problème majeur, enfin au même central, aussi pour les adultes d’ailleurs, comment tu fais pour faire sortir un ado de sa chambre quand il n’a pas envie en fait

jerome [00:15:13]:

Ça c’est tout clair, il faudrait que le monde soit attirant. En fait c’est ça la réalité et elle est là probablement notre responsabilité à nous c’est que le monde dehors il n’est pas attirant. C’est marrant aujourd’hui les enfants vivent dedans, dans la maison, seul. Nous pour la plupart on vivait beaucoup plus dehors avec les autres. Il faut vraiment chercher de ce côté là, je pense, parce que la faute aux écrans probablement, mais la faute à l’intérieur, surtout au fait qu’ils restent à l’intérieur et qu’ils s’isolent à l’intérieur même s’ils sont avec les autres, ils sont quand même seuls. Et ça c’est un vrai problème. Et je pense que pousser un adolescent d’or ça sert à rien parce que le monde il sera ce qu’il est dans la rue. Qu’est-ce qu’on leur propose En fait c’est à nous de réfléchir à ça.

jerome [00:16:05]:

Et moi je vois que la classe politique en Belgique et en France, je la vois très peu réfléchir à cette question alors que ses enfants y votent, ou ils vont voter demain. C’est quand même étonnant qu’on ne se dise pas, bon il y a un problème de psychiatrie adolescente, de mal-être adolescente, de dépression adolescente, etc. Et que l’on soit incapables, nous, de réfléchir au fait qu’en fait, on ne leur propose rien de vrai. On leur propose des plaisirs à court terme. Tu vas acheter ça, tu vas acheter ça. Et c’est vrai que acheter, ça remplit quelque chose en nous, mais de manière très courte. C’est de la drogue, quoi. Et après, le lendemain, on a une descente et puis il faut remonter.

jerome [00:16:41]:

Qu’est-ce qu’on propose comme idéal Parce qu’une société, pour que les enfants aient envie de sortir, il faut qu’ils courent tous après un idéal. Moi je trouve que le capitalisme, il n’y a pas énormément d’idéaux à long terme que propose le capitalisme. Je pense même très honnêtement qu’il n’y en a pas. Et je pense qu’une des raisons pour laquelle les enfants restent chez eux, c’est parce qu’ils n’ont pas d’idéaux derrière lesquels courir quand ils sortent.

greg [00:17:06]:

Mais alors si je reviens aux parents, parce que là tu vas à un niveau de société et les parents malheureusement ils n’ont pas cette capacité de faire changer le monde dans lequel on vit. Encore une fois tu vois comment tu fais, c’est-à-dire que qu’est-ce que tu racontes à ton gosse dans le monde dans lequel on vit, qui ne va pas changer, malheureusement, en tout cas, j’espère, mais pas tout de suite et pas à court terme, mais pas dans les dimensions qu’on aimerait. Enfin, je veux dire, enfin bref, on va pas rentrer dans des questions politiques, mais c’est assez terrible ce qui est en train de se passer. Qu’est-ce que tu lui racontes Comment tu lui donnes de l’espoir dans ce contexte

jerome [00:17:45]:

Ouais, bah, Dans Les Dragons, il y a une scène où le personnage principal, Jérôme, il est confronté à un psychiatre. Jérôme, en fait, il était turbulent à l’école, on l’a toujours dit de se taire, qu’il était con et qu’il devait sortir de la classe. Et pour la première fois, alors qu’il n’aime pas ce psychiatre, c’est un adulte, Ce mec va lui parler comme à un adulte. Le psychiatre va lui parler comme pas un débile. Et en fait ce qui va lui expliquer finalement, c’est que l’isolement est une maladie, que le monde attend de toi que tu t’isoles parce que plus tu t’isoles dans ta chambre avec ton téléphone, plus tu reçois de la publicité. Et le monde aujourd’hui, ça l’arrange très bien que tu sois isolé. Donc la rébellion, c’est de sortir dans la rue avec les autres. C’est d’aller avec les autres.

jerome [00:18:31]:

Et ça, je trouve que c’est un des trucs importants que le psychiatre dit à ce gamin. C’est que la vie, une fois de plus, c’est un truc qui se pratique en extérieur.

greg [00:18:41]:

En fait, ce que tu dis, enfin, moi ce que j’entends, en tout cas, c’est que la meilleure manière de se rebeller, c’est… Parce qu’en fait, quelque part, la société, elle a envie que les individus qui n’aiment pas son système s’isolent. Parce que du coup, comme ça, ils n’embêtent personne.

jerome [00:18:58]:

Un peu bien sûr, parce que tout seul, on ne va rien changer.

greg [00:19:01]:

C’est ça. Mais alors du coup, il va aller dans le monde. Mais tu vas aller dans le monde pour quoi Pour te conformer ou tu vas aller dans le monde pour te rebeller Mais si tu te rebelles, est-ce que du coup, tu vas pas faire des choses, tu vois, des exactions qui sont pas forcément très, on va dire, pas correctes. C’est pas le mot, mais tu vois ce que je veux dire Parce que si tu finis en prison ça marche pas non plus en fait.

jerome [00:19:22]:

Non, ça marche pas non plus. Ce que le psychiatre dit à Jérôme dans le livre c’est… En fait, tu vas devoir sortir. Et tu vas devoir sortir dans le monde tel qu’il est, parce que le monde, il ne va pas changer pour toi. Et tu vas, quoi qu’il arrive, devoir trouver ta place dans le monde tel qu’il est. C’est comme ça. Tu n’auras pas le choix. Le monde ne va pas changer pour toi.

jerome [00:19:46]:

C’est toi qui vas devoir rentrer dans le monde et t’y adapter. Alors, est-ce que ça veut dire se compromettre Oui ou non, chacun va décider. Aujourd’hui, moi, je trouve que se pose vraiment la question de la violence. La question de la violence dans la société aujourd’hui, c’est assez intéressant quand même, parce qu’il y a une morale qui nous dit qu’on ne peut pas être en colère, qu’on ne peut pas être violent. C’est de ça aussi dont ça parle les dragons. Or le système il est violent. Et pourquoi donc aujourd’hui, c’est une vraie question que je me pose, sans légitimer la violence, mais au moins y réfléchir, pourquoi on ne pourrait pas répondre à la violence par la violence Pourquoi il n’y aurait qu’un côté qui puisse être à ce point violent Quand un ministre signe un papier dans son bureau, il y a des répercussions directes sur quelqu’un qui habite en Poitou-Charentes et qui termine pas le mois quand il signe un papier ou l’autre. C’est une forme de violence.

jerome [00:20:42]:

Pourquoi est-ce que cette violence ne peut pas être tombée Je suis pas sûr, moi, qu’on puisse combattre de manière pacifique un système violent. Voilà. Et ces enfants qui sont là, ils sont violents. Et les pauvres d’eux, ils sont violents envers eux-mêmes. Parce qu’en fait on ne leur donne pas le droit d’être violent sur ceux qui mériteraient qu’on soit violent avec eux. C’est ça qui est terrible quand tu rentres en psychiatrie adolescente aussi. Tu vois la capacité de ces jeunes à se faire mal. Tu rentres en psychiatrie, tu découvres l’automutilation.

jerome [00:21:15]:

Les lésions auto-infligées, il y en a plein. C’est contagieux. Aujourd’hui, il y a des comptes à Instagram qui font l’apologie de l’automutilation. On en est là, je veux dire. Et se retourner sur soi-même, se faire mal parce qu’on a mal, Je veux dire, nous, on ne serait pas touchés par ça, nous les adultes. C’est terrible. Mais

greg [00:21:37]:

est-ce que l’automutilation, ce n’est pas une méthode pour rester en vie, justement, pour se prouver qu’on est vivant Ils

jerome [00:21:41]:

le disent tous. Ils le disent tous les enfants à qui j’ai parlé, disent ça. Et tous les psychiatres aussi, en fait, c’est se donner un mal physique pour avoir… Pour supprimer un mal psychique. Mais c’est comme la drogue aussi, demain il faut recommencer. Et c’est un cercle absolument vicieux, mais c’est ça l’automutilation. Et c’est terrible de voir ces jeunes filles notamment, parce qu’on ne leur a jamais donné l’autorisation de projeter leur violence sur les autres. C’est ça l’éducation d’une jeune fille aujourd’hui.

jerome [00:22:15]:

C’est si tu souffres tu te taies. Tu vas pas embêter les autres avec ça. Et ça va se régler, t’inquiète pas, c’est l’adolescence. Mais c’est pas vrai, c’est pas l’adolescence, c’est la souffrance. Et la capacité de ces jeunes filles à se faire mal à elles-mêmes, de faire mal aux autres, Je trouve que c’est dingue. Est-ce que tu

greg [00:22:32]:

mettrais l’anorexie dans ce même schéma C’est-à-dire, pour le coup, c’est se faire mal aussi d’une certaine manière,

jerome [00:22:39]:

parce que

greg [00:22:39]:

le bisexuel, c’est de disparaître, d’être transparent quelque part. Il y a eu une forme de contrôle aussi, je crois, dans l’anorexie. Moi, je n’ai pas expérimenté, mais je connais un petit peu le sujet malgré tout. Est-ce que tu mets l’anorexie dans ces mêmes troubles anxieux, on va dire

jerome [00:22:56]:

Moi, je ne suis pas psychiatre, que je sois clair. Je suis romancier et journaliste et j’ai fait une grande enquête, j’ai fait mon immersion, etc. Pour écrire les dragons. Donc c’est pas la même chose, mais j’ai effectivement fait beaucoup, beaucoup… Oui, on est dans la même notion. L’anorexie, c’est se faire souffrir, c’est se faire mal, c’est malmener son propre corps,

greg [00:23:17]:

quand même, tu vois. Non, je te posais la question plus pour savoir si tu avais rencontré des jeunes filles qui étaient dans cette maladie.

jerome [00:23:24]:

Oui, oui, oui, il y en a dans tous les centres. C’est une maladie du siècle, une fois de plus, il faut que ça nous alerte parce qu’il y en a beaucoup, il y en a plus qu’avant. C’est ça la réalité et surtout ça arrive plus jeune. Aujourd’hui les psychiatres que j’ai rencontrés sont très inquiets notamment par l’arrivée de symptômes lourds plus jeunes. Ça c’est quelques dernières années. Et ça ils comprennent pas encore, je pense, bien. Faut poser la question à d’autres, il y en a peut-être qui ont des réponses. Mais ça c’est un phénomène qui les inquiète beaucoup, c’est de voir arriver des jeunes filles de 12, 13, 14 ans et des jeunes garçons avec des symptômes lourds.

jerome [00:24:04]:

Ce qui arrivait moins avant.

greg [00:24:07]:

Tu disais, on a affirmé tous les deux comme ça, très rapidement, que la société était hyper violente. En quoi elle est violente selon toi, mais surtout ce que te disent les enfants. Donc j’ai compris cette compromission par rapport au SDF. À mon sens, elle est violente à plein d’endroits, mais j’aimerais bien comprendre selon toi ou selon les enfants ou les ados, en l’occurrence, que t’as interviewé, En quoi la société, elle est violente

jerome [00:24:37]:

Selon eux, avec toutes les interviews que j’ai réalisées d’eux, etc. Elle est violente parce qu’on leur explique. Je trouve que le temps de l’enfance s’est rétréci. Et pour ça elle est violente pour eux. C’est-à-dire que dès qu’ils rentrent à l’école, ça va c’est gentil quelques années, mais une fois qu’ils ont 10 ans, 10 ans On leur dit il faudrait être le premier. Parce que si t’es pas le premier, après ça va être plus compliqué et ça va être dur la vie. Et tu sais, à 12 ans ou 13 ans, il va falloir faire un peu des coudes parce que la place que toi tu vaudras dans quelques années, il y en a d’autres qui la vaudront. Faudra te battre, etc.

jerome [00:25:15]:

Et quand est-ce qu’on leur laisse le temps d’être des enfants et pas des compétiteurs Et le pire, c’est qu’une fois qu’ils ont fini leurs études, qu’ils ont 18 ans, qu’ils vont rentrer à l’université, à la fac, en professionnel, etc. Apprendre un métier, bah ils réalisent que 1, il y a peu de débouchés, que c’était comme ça et que ça n’a pas de sens. Parce que le travail aujourd’hui a perdu un peu de son sens. Preuve, les burn-out à répétition de tous les adultes qui travaillent, ils sont pas fatigués physiquement. En fait, ils manquent de sens dans leur travail. Et en fait, voilà des enfants à qui on a dit vous allez vous battre toute votre vie, ils ont un premier boulot et ils ne trouvent pas de sens. C’est ça qui est violent. C’est l’absence d’idéal selon moi.

jerome [00:26:04]:

Pourquoi on fait les choses Pour tendre tous ensemble vers quoi Je trouve que ce vers quoi, il n’existe plus aujourd’hui. Et ça, il ressemble à ça comme une énorme violence. En fait le truc, c’est Peter Pan. C’est ne grandissez pas c’est une arnaque. Ils ont pas envie d’être adultes. C’est moche. Ils voient leurs parents s’embrasser de loin le matin à peine, rentrer vannés du travail, décrocher du boulot à cause d’un burn-out ou tout l’autre, être dépassé, le 14 du mois le compte qui est à zéro. Ils voient ça les gamins, ils doivent se battre pour ça.

jerome [00:26:44]:

Moi, je me bats pas pour ça.

greg [00:26:47]:

Du coup tu vois, quand je t’écoute, je me dis… Ça revient à la question qu’on a traité tout à l’heure, mais… Je me dis, mais que penser des gamins qui eux, comply, quoi, tu vois Qui après, ils vont rentrer dans leur rang.

jerome [00:26:57]:

Qui vont

greg [00:26:57]:

C’est super… Enfin, quelque part, tu te dis… Qui est

jerome [00:27:00]:

malade C’est toujours la même chose. C’est la question géniale que tu as posé tantôt. C’est en fait, qui est malade Pour nous les parents, il ne faut pas se mentir. C’est toujours mieux d’avoir un enfant qui est dans la norme et qui va étudier à l’école parce qu’en fait c’est facile et on se dit que sa vie sera plus facile. Elle ne sera pas nécessairement plus heureuse, elle sera plus facile. Moi en tant que père j’ai souhaité ça de mes enfants. Qu’ils soient dans la norme et que leur vie soit facile. Maintenant ça n’a pas été toujours le cas Et une fois que les tempêtes, folles, passent, etc.

jerome [00:27:39]:

Tu vois quand même naître des jeunes adultes qui ont des failles, etc. Mais qui sont intéressants. Parce qu’ils ont dû réfléchir, ils ont dû se bouger, ils n’ont pas… Ils n’étaient pas fit avec ce qu’on leur proposait. La pièce du puzzle ne rentrait pas quoi. Et c’est quand même je trouve assez intéressant les parcours cabossés, l’air de rien. Moi je me rappelle j’étais furieux d’être envoyé de l’école, quand je suis devenu adulte j’étais plutôt très isolé et puis j’ai toujours du mal à être un peu dans le groupe avec les autres, je comprends pas bien comment on fait etc… Je pense que c’est pour ça que je fais de la radio en Belgique.

jerome [00:28:18]:

C’est pour me lier aux autres. C’est pour ça que j’écris Les Dragons, c’est pour me lier aux autres, etc. Et j’ai un sac à dos comme ça, avec des peurs, des angoisses tout le temps. Ben, très honnêtement, je suis pas sûr de vouloir échanger avec un imbécile heureux. Des fois je les envie, mais je trouve que ma vie intérieure, en fait, elle me fait partiellement souffrir, mais elle me plaît. Alors est-ce que c’est du masochisme J’en sais rien, mais du coup je la trouve intéressante. Voilà. C’est souvent une question qu’on se pose quand on

greg [00:28:52]:

a beaucoup beaucoup de choses en tête. C’est est-ce que ce serait pas mieux quand même d’être un imbécile heureux

jerome [00:28:59]:

On les envie des fois.

greg [00:29:00]:

Parfois. Pourquoi tu les as appelés les dragons Alors

jerome [00:29:07]:

je voulais créer une communauté parce que je sais combien ces enfants là qui souffrent, pas seulement en psychiatrie, mais qui souffrent, sont nombreux et Je voulais leur donner un nom, créer une communauté. Et je cherchais en écrivant le livre. Et en fait, quand j’ai fait mon immersion, j’ai découvert l’automutilation. Et l’automutilation, notamment sur les avant-bras, sur les jambes et dans d’autres parties du corps, une fois que ça cicatrise, ça fait des formes de croûte. Et je me rappelle, j’étais à ma table et j’ai écrit écaille serpent etc etc sur une feuille de travail et puis quelques jours plus tard je suis tombé sur un article sur internet sur le globe de Lenox. Le globe de Lenox c’est le premier globe terrestre en trois dimensions qu’on a retrouvé. Il date de 1504, il est exposé à la New York Public Library et le mec qu’il a fait qui s’appelle Pan Lenox, Lenox est l’acheteur du globe. Au sud de l’Asie, il a dessiné un dragon et il a écrit Ix sunt Dracones, ici sont les dragons.

jerome [00:30:05]:

Et ça voulait dire terra incognita. C’est-à-dire là, on sait pas ce que c’est. Et Cégennes, c’est ça. On ne sait pas ce que c’est. Et surtout, l’histoire nous a montré que derrière, il y avait l’Océanie, que l’autre liste plutôt jolie, hein. Et ce côté « on a peur, c’est dangereux », mais en fait, ça révèle, si on traverse, il y a des merveilles, ça m’a fait penser à eux. Parce qu’une fois que je suis allé à leur rencontre, moi, de ces jeunes, Je les ai trouvés merveilleux, je les ai aimés profondément, tu vois, j’ai eu une empathie folle pour eux. Et c’est des enfants merveilleux.

jerome [00:30:39]:

Très honnêtement, si tous les enfants étaient comme ça, le monde irait mieux. C’est ça la vérité. Et donc, en recoupant ces deux choses-là, ici sont les dragons, je voyais le centre. Et c’est pour ça que j’ai mis une banderole dans le roman à l’entrée du centre où il est écrit ici sont les dragons.

greg [00:30:54]:

Ça pourrait même être… On pourrait envisager en tout cas que ce soit une communauté en ligne, de dire pour les gamins qui se sentent un peu à côté.

jerome [00:31:04]:

C’est mon rêve, j’attends le livre. En Belgique, ça marche très, très, très, très bien. En France, c’est plus lent, c’est normal. Et c’est mon rêve qu’ils s’en emparent et qu’ils aient leur communauté à eux parce que communauté ça veut dire les autres et et si on a un jour qui créé cette communauté etc je serai l’homme le plus heureux du monde parce que c’est ce que je veux montrer vous n’êtes pas seul c’est ce que c’est ce que les dragons hurlent en fait c’est Vous croyez que dans votre chambre à isoler que vous êtes le seul à pas dormir la nuit et à être assaillis par des monstres mais la vérité c’est que nous sommes tellement nombreux et croyez pas aussi dans la rue vous croyez des gens qui ont l’air normaux ils ne le sont pas. Ils font bien illusion. Et qu’ils se rendent compte de ça en fait, ces gosses. Et même nous adultes, qu’on n’est pas seul. Et ça, c’est…

jerome [00:31:56]:

Cette communauté, ici sont les dragons, j’en rêve.

greg [00:32:01]:

Est-ce que… Je sais pas si t’es très familier avec les travaux de Jung et si tu travailles sur les ombres. Est-ce que justement les dragons, en tout cas ces personnes qu’on n’arrive pas à catégoriser ou qu’on catégorise comme dérangés, fous, tu peux utiliser tous les mots que tu souhaites, qui sont plus ou moins positifs ou insultants. Est-ce que c’est pas une sorte de dark side de la société et en fait, tout le travail sur les ombres c’est de dire il faut la reconnaître pour que ça se calme, parce que si tu ne la reconnais pas, ça augmente en fait quelque part.

jerome [00:32:39]:

C’est toute la question aujourd’hui, on parlait au début des grands médias qui ne s’emparent pas de cette question et des adultes à qui ça fait particulièrement peur, beaucoup plus qu’aux enfants, parce que les enfants, ils savent très bien dans quel monde ils vivent et ils savent leur réalité. Ils ont tous un copain qui va mal ou eux, etc. Et la reconnaissance par notre société de cette souffrance des enfants, de ces tombes, elle est primordiale. Mais pour ça, il faut évidemment que les grands médias, que la politique ensuite s’en charge et fasse son travail en fait. Mais c’est compliqué en fait parce que 1. Ça nous fait peur et donc on préfère un petit peu regarder de l’autre côté. Et deux, quand même, ces enfants-là, la vérité, c’est qu’ils sont le symptôme criant d’un monde qui ne fonctionne pas. Et donc, les reconnaître, ce serait accepter le fait que notre modèle ne fonctionne pas.

jerome [00:33:32]:

Qui est prêt à faire ça aujourd’hui Qui est prêt à faire

greg [00:33:36]:

ça C’est une blague, c’est une mauvaise blague. Ouais, elle est mauvaise.

jerome [00:33:43]:

Mais c’est ça en fait, parce que la vérité c’est que ce monde où il y a de plus en plus de riches, de plus en plus de pauvres, où il y a de plus en plus de racisme, le retour de l’homophobie… Enfin, je veux dire, c’est effroyable ce qui est en train de se passer. Nous en Belgique, on a un truc qui s’appelle Evrace, c’est-à-dire que dans les classes, ils vont aller enseigner aux jeunes la sexualité. Ils vont pas enseigner aux jeunes à faire des fellations. Ils vont juste expliquer ce que c’est la sexualité dans nos vies. Ça fait un tollé. Il y a quatre écoles où on a essayé de foutre le feu en Belgique.

greg [00:34:14]:

Mais non.

jerome [00:34:14]:

Oui, C’est ça la vérité. Le retour du sacré, le retour de la religion, etc. C’est très puissant. Il y a quatre écoles, à la région de Charleroi, qui est une ville importante en Belgique, où il y a eu des départs de feu, où il était mis sur les murs, « No Evras », « Non » à ce nouveau cours qui va expliquer l’amour, les autres, un peu la sexualité, mais pas de manière pragmatique. On va juste leur dire que la sexualité ça fait partie de la vie et qu’il y a des choses bien, il y a des choses interdites. On va vraiment leur expliquer à se protéger et avoir une vie sexuelle agréable, qu’il ne soit pas un trauma. C’est quand même ça qu’on veut leur expliquer. Il y a des gens qui s’y opposent et ils sont très nombreux.

greg [00:34:52]:

Mais ils ne sont pas au courant que, globalement, 50% des gamins de 11 ans ont déjà vu un porno Ben, ils

jerome [00:34:58]:

se cachent les yeux. C’est le principe absolu. C’est que les mecs qui ont foutu le feu aux quatre écoles, ils n’ont pas brûlé les écoles, il y a eu des départs de feu. Évidemment, ils se cachent les yeux, parce que la vérité c’est que leur gosse, statistiquement, il a déjà vu des pornos. Et justement, il doit être guéri de ça parce que la sexualité, elle ne va pas être conforme à sa sexualité, à cet enfant. Et elle peut être traumatisante d’ailleurs. Et ben non. Parce qu’il se cache les yeux.

jerome [00:35:26]:

Mon fils ou ma fille sont immaculés. Mais la vérité c’est que c’est pas vrai. Et donc tant que nous, on n’acceptera pas que nos enfants vivent dans une société qui nous échappe un peu et qu’on doit y faire face, ça n’ira pas en réalité.

greg [00:35:40]:

Est-ce que mettre son enfant dans un centre psychiatrique pour adolescents, Est-ce que c’est une solution ou est-ce que c’est une forme d’échec d’une certaine manière Pas de la société, je parle vraiment des parents. Mais la

jerome [00:35:57]:

famille Ah ben c’est rien en échec. Ça, il faut que les choses soient claires. Dans les dragons, c’est… Je dis très clair, quand tu as mal, dis que tu as mal, quand tu es triste, dis que tu es triste. Il faut un courage. Courage. Donc on est loin de l’échec absolument fou pour dire qu’on va mal. C’est dur de dire qu’on va mal aux autres alors que toute la société nous dit d’être bien.

jerome [00:36:20]:

Toute la société nous dit d’être

greg [00:36:21]:

bien, qu’on a

jerome [00:36:22]:

tout pour être bien. C’est dur à 16 ans de dire j’ai besoin d’aide. Donc un, le courage immense de ces gamins, je trouve, le courage immense des parents de reconnaître la souffrance de leur enfant et de pas dire, mais c’est l’adolescence Joséphine, tu vois. Quel courage il faut en tant que parent pour accepter que notre enfant, malgré, pas toujours, mais parfois, l’amour qu’on leur porte. Et donc loin de l’échec, salutations, respect total aux parents qui prennent ça à bras le corps et qui justement ne mettent pas le problème sous le tapis. Et d’arriver en psychiatrie, mais c’est comme aller voir un psy, c’est comme dire j’ai besoin d’aide, on n’arrive pas toujours en psychiatrie, c’est pas toujours des cas extrêmes, il y en a plein, il y en a des milliers, des dizaines de milliers en France mais des enfants qui vont mal il y en a bien plus que ça. Et c’est pas un échec familial, c’est un échec collectif. C’est enfin se poser la question, qu’est ce qu’il se passe Chiffrer ça très sérieusement.

jerome [00:37:30]:

Quelles sont les réponses qu’on peut apporter comme pansement, vite Et quelles sont les réponses qu’on peut apporter comme pansement, vite, et quelles sont les réponses qu’on peut apporter à long terme, pour que cette vague, elle se calme. Parce que si on ne fait rien, il n’y a aucune raison, aucune raison pour que ça s’arrange.

greg [00:37:47]:

T’as donné des statistiques tout à l’heure, moi j’en avais une autre qui était aux Etats-Unis mais je crois que c’est 4 filles sur 10, donc 40% c’est énorme, qui ados, qui envisagent de se suicider quoi, ou en tout cas qui, peut-être pas se suicident, mais en tout cas qui sont en trouble psychiatrique fort, on va dire.

jerome [00:38:04]:

Mais on réalise pas là, les chiffres. Enormes. Les chiffres sont fous. C’est ça qu’il faut… C’est pour ça que moi j’écris Les Dragons, c’est pour ça que je viens en parler ce matin, c’est pour ça que je vais dans les librairies tous les soirs en Belgique et en France, et c’est pour ça surtout que j’ai écrit pendant deux ans ce livre, c’est parce que ce problème me paraît absolument primordial et que justement j’ai l’impression que les médias et la politique ne s’en emparent pas alors que moi je vois ça comme une priorité absolue de société parce que qu’est ce qu’on a de plus précieux dans une société que les jeunes qui la composent Une voiture Non hein Et je suis très étonné, mais je pense que comme ils sont le symptôme du fait que ça va mal, ça remet en cause trop de choses pour le moment.

greg [00:38:56]:

Et du coup comment réagissent les personnes que tu rencontres justement dans les librairies ou dans les médias, parce qu’en fait, ils sont implicitement complices, quelque part, de ces systèmes. On les tous, hein Ah, oui, oui, oui, oui. Bah, il y

jerome [00:39:12]:

en a plein qui sont d’accord avec ça. Il y en a qui sont pas d’accord. Il y en a qui se cachent les yeux mais tu sais, il y a une semaine j’étais à la RTBF et il y avait un mec dans un énorme 4×4 allemand qui laissait tourner son moteur depuis un quart d’heure dans le truc Et à un moment ça m’énerve et je vais le voir et je lui dis « Vous pouvez pas juste couper votre moteur, franchement ça va pas changer la face de la Terre, mais c’est mieux ça que le contraire. » Le mec m’a dit « Mais va te faire foutre, je pollue pas » Bah ça, ok. Mais ça, voilà, c’est ça le monde, c’est que tout le monde n’est pas convaincu par les mêmes choses. C’est ça la réalité du monde dans lequel on vit en fait. Et ça va s’étendre à tous les sujets dont celui qui nous occupe aujourd’hui.

greg [00:40:01]:

Comment on fait pour éviter, tu disais, tous les enfants finissent pas en psychiatrie, heureusement, quand on est parent et qu’on a envie que son enfant grandisse sainement, pas forcément qu’il conforme, mais en tout cas qu’il grandisse sainement, comment on fait avant d’arriver à des extrémités comme un centre psychiatrique pour ados

jerome [00:40:23]:

Mais ce dont on parlait un petit peu tout à l’heure, assurer l’enfant d’un amour inconditionnel parce qu’il a besoin au moins, au moins de cette base-là, De savoir que s’il tombe, il y aura au moins deux personnes ou une, un parent, qui sera là pour l’aimer. Ça, je pense que c’est la base de la base de la base. C’est le plus important, je pense. Après, c’est pas toujours de la faute des parents.

greg [00:40:48]:

Des fois, ça l’est. C’est systémique, de toute façon.

jerome [00:40:50]:

Des fois, ça l’est clairement. Oui, des fois,

greg [00:40:52]:

il y a attouchement. Exactement.

jerome [00:40:54]:

Les violences sexuelles, notamment au sein de la famille, c’est aussi des chiffres qui sont colossaux. Et des fois, les parents n’en peuvent rien dans ce qui est en train d’advenir. Donc vraiment, je pense que le seul truc, c’est de manier ses enfants avec précaution et de les mettre si possible quand c’est possible, parce que ce n’est pas toujours possible. On ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas tout le temps ses amis, à l’air de rien. On est des fois attirés par ce qui nous convient pas, etc. Mais c’est d’essayer de les mettre au minimum dans un univers sécurisant, où ils se sentent pas tout le temps en insécurité, notamment affective. Et rien que ces petites choses là, c’est probablement le début d’une réparation.

greg [00:41:43]:

Et tu me disais tout à l’heure que les centres psychiatriques pour ados, ils sont très importants parce qu’une fois qu’on passe à l’âge adulte c’est pas du tout la même chose. Est-ce que tu peux nous parler de ça des minutes

jerome [00:41:52]:

Ouais, la psychiatrie adulte, il y a plus de monde pour pas beaucoup plus de personnel. Il y a des méthodes qui sont différentes dans la psychiatrie adulte que dans la psychiatrie adolescente. La psychiatrie adulte va plus facilement médiquer les patients, notamment, alors que dans la psychiatrie adolescente, on les médique, bien sûr, quand il y a besoin, mais on fait beaucoup plus attention, évidemment, à ça. On n’en fait pas des zombies. Et donc, il y a vraiment comme une urgence à ce que les choses se règlent quand ils sont jeunes pour ne pas basculer dans la psychiatrie adulte. C’est une priorité pour les psychiatres qui s’occupent d’adolescents.

greg [00:42:35]:

Parce que la psychiatrie adulte, et c’est un peu dans le livre en tout cas, on retrouve ça avec cette héroïne, je sais pas si on peut appeler ça

jerome [00:42:44]:

comme ça,

greg [00:42:46]:

qui ne veut pas y aller en fait, dans cette psychiatrie adulte. Parce qu’elle est plus difficile et peut-être il y a plus d’isolement aussi non

jerome [00:42:54]:

Elle veut pas y aller pour plein de raisons, parce que le seul endroit auquel elle appartient c’est là. Parce qu’en fait on parlait d’espace sécurisant tout à l’heure. En réalité, l’hôpital psychiatrique dans lequel moi je suis allé, les portes sont ouvertes. C’est-à-dire que les enfants, s’ils veulent s’échapper, très franchement c’est simple, la nuit c’est un peu fermé, il y a un gardien, mais s’ils veulent se barrer, franchement, c’est d’une simplicité folle. Y’en a qui se barrent le premier jour, deux heures après ils sont de retour et quand on leur dit qu’il faut sortir après huit semaines, parce qu’en fait après huit semaines ils doivent sortir une semaine parce que la vie est pas là, elle est à l’extérieur. Ça sent le retour

greg [00:43:32]:

dans le livre d’ailleurs.

jerome [00:43:33]:

Ouais, et ben en fait ils n’ont plus envie de sortir de temps en temps. Parce qu’ils ont trouvé un univers sécurisant, où les autres souffrent aussi comme eux, donc ils ne sont pas différents, où il y a quand même une forme de bienveillance là-bas, des gens qui s’occupent d’eux, qui essayent d’être gentils avec eux alors qu’à la maison c’est pas toujours le cas, ou dans le groupe d’amis c’est pas toujours le cas, ou sur les réseaux sociaux c’est pas toujours le cas. Par exemple quand ils se blessent, quand ils s’automutilent, il y a une infirmière qui est là pour réparer, mettre les pansements, avoir les bons mots, les bons gestes, au bon moment, etc. Et cet univers sécurisant, ils n’ont pas nécessairement envie de le quitter, et ils savent très bien que la psychiatrie adulte ce n’est pas du tout ça. Ils n’ont pas envie à 18 ans de se retrouver avec des gens qu’on en dise de plus. Ils ont envie d’être avec leur tribu, ils ont envie de rester entre jeunes. Et l’héroïne des dragons Colette, elle est autre part. Le jeune gamin quand il la voit la première fois, lui il veut se barrer du centre.

jerome [00:44:33]:

Il arrive dans le centre, il veut se barrer. Il pose un bout de shit sur la table en se disant si il voit le bout de shit, parce que c’est vrai en plus t’as de la drogue, on te vire. Et il dit génial j’ai un bout de shit dans le revers de ma veste, je vais le mettre là, je vais me faire virer. Il va manger, paf elle arrive, il tombe fou amoureux et il fait tout pour pas se faire virer à cause du bout de chute. Et en fait il tombe absolument fou amoureux d’elle, elle a deux ans de plus que lui et il se dit si je l’aime et qu’elle m’aime on va se sauver mutuellement. Ce qui moi je crois est vrai dans la vie. Je pense que l’amour sauve pas le monde, mais l’amour il sauve quand même un peu les gens de temps en temps. Et lui il croit à ça, mais moi je crois aussi à ça.

jerome [00:45:11]:

Et le souci, c’est que elle, elle est déjà un peu autre part. C’est-à-dire qu’elle, elle a envie de mourir, elle ne voit plus de sens et elle a pris une décision quand même. Et cette décision, c’est de ne plus vivre. Et ça c’est évidemment toute l’histoire du livre. Est-ce qu’ils vont s’aimer Est-ce qu’ils ne vont pas s’aimer Et voilà, c’est ça, c’est ça cette histoire.

greg [00:45:37]:

Est-ce que ça va la sauver Est-ce qu’ils vont se sauver tous les deux Il y a une figure aussi qui est très présente, c’est celle du soignant qui est très costaud.

jerome [00:45:45]:

Qui s’appelle Smensk, oui.

greg [00:45:47]:

Voilà. Est-ce que, enfin, parce qu’en fait, là on parle des ados évidemment, et c’est tout le sujet, mais les soignants, ils ont un rôle majeur. On sait aujourd’hui qu’ils sont eux-mêmes pas très soignés, c’est-à-dire qu’en fait, c’est des bas salaires, ils vivent dans des conditions qui ne sont pas terribles. Les médecins, c’est différent, bien sûr, mais les soignants, c’est quand même… C’est hyper dur de vivre avec des ados qui sont dans des situations de désespoir intense. Et eux-mêmes, finalement, ils doivent gérer ça. Donc, ça a du sens. Mais en même temps, ils sont dans des conditions qui sont très précaires.

greg [00:46:19]:

Est-ce que cette figure, tu l’as récupérée d’un des centres dans lequel tu es allé, ou est-ce que tu l’as complètement imaginée Et c’est quoi le rôle des soignants dans ce genre de centre

jerome [00:46:30]:

Le rôle des soignants, éducateurs, infirmières, psychiatres, psychologues, etc. Gardiens. Femmes de ménage. Tout le monde travaille. C’est-à-dire que, en fait, la femme de ménage ou la cuisinière dans le centre, elle participe à la réparation. Parce que ce n’est pas une soignante et donc les jeunes vont plus facilement aller vers elle. Et elle a un rôle évidemment de représenter une belle version de ce que c’est un adulte et elle va avoir des contacts très forts avec les enfants. Et ça c’est vraiment intéressant, c’est sortir de son rôle et être à la fois effectivement la dame qui va nettoyer le sol, mais aussi la dame qui va réparer.

jerome [00:47:16]:

Et ça c’est formidable. Et moi je l’ai pas mise dans le livre parce que je voulais… Ça ne rentrait pas. Et je voulais ce personnage de Smeans, qui est un éducateur un peu plus dur que les autres, mais qui a un peu le même regard. Un peu cassé que les enfants. Et je voulais faire le parallèle évidemment en me demandant si ces soignants que j’ai rencontrés moi beaucoup dans les centres, est-ce qu’on devient soignant pour des enfants quand on n’a pas été soi-même un enfant à sauver Et c’était une des questions. Et l’autre question, c’était se dire, est-ce que nous sommes vraiment nombreux à faire semblant d’être normaux, de ne pas avoir trop trop de blessures Et ce personnage-là, c’était ça. C’est comme le personnage principal en fait qui a soi-disant réussi sa vie parce qu’aujourd’hui il fait de la radio et il est connu dans son pays et etc.

jerome [00:48:09]:

Il s’est sorti de là, il est sorti de la route qu’on avait tracée pour lui. Combien nous sommes à faire semblant d’avoir eu des vies simples. Et est-ce que nous avons raison de faire semblant d’avoir eu des vies simples ou est-ce qu’on devrait plus exposer le fait que ça n’a pas toujours été simple Ce qui serait une source d’espoir pour ceux pour qui c’est pas simple aujourd’hui, etc. Et j’ai voulu, à travers le personnage de Smensk, essayer de parler de ça.

greg [00:48:37]:

C’est un peu un anti Instagram ou un anti réseau sociaux de manière générale, parce que c’est vrai que sur Instagram, quand tu vas là, maintenant, il y a un peu plus de place pour la vulnérabilité, mais qui est une vulnérabilité acceptable.

jerome [00:48:48]:

Tu

greg [00:48:48]:

vois ce que je veux dire En fait, moi, ça ne me le fait pas trop, mais je sais par contre que Instagram, ça a des vraies répercussions mentales chez les gens. Moi, j’ai cette chance de… Parce que je sais que ce n’est pas la réalité. Donc,

jerome [00:49:02]:

du coup,

greg [00:49:02]:

j’en ai trop conscience pour que ça me touche. Voilà. Mais c’est vrai que c’est Regarde ma meilleure vie, en fait. Tombe amoureux de ma meilleure vie.

jerome [00:49:10]:

Et jalouse-moi.

greg [00:49:11]:

Et jalouse-moi d’une certaine manière. Et aime-moi pour que je puisse t’ignorer quelque part. Il y a un peu de ça. Donc, est-ce que c’est pas ce livre aussi une sorte de pied de nez ou pied de nez, je sais pas, mais à tout ce qui se passe sur Instagram et TikTok et concert

jerome [00:49:28]:

Ouais, je pense. Je pense que c’est ça, c’est ouvrir la cage thoracique, montrer le cœur, plutôt que déguiser et mettre des filtres, ça c’est sûr, c’est sûr et certain. Cette espèce de création, de désir chez l’autre, de choses qu’il ne pourra pas avoir, est une horreur de notre société aujourd’hui. C’est marrant parce que à Bruxelles il y a une avenue très connue qui s’appelle l’avenue Louise avec des magasins de luxe et là il y a je peux dire les marques, il y a Gucci, Louis Vuitton etc etc. Je passais un samedi matin la semaine dernière, et il y avait une barrière devant chez Louis Vuitton avec des gens qui faisaient la file. Et c’était fou parce qu’ils avaient 20 ans. Et en fait, je me suis arrêté. Moi je suis journaliste, donc je pose des questions à tout le monde dans la rue, c’est une horreur.

jerome [00:50:16]:

Et j’ai demandé à des gamins, vous allez acheter quoi Ah bah je vais acheter une ceinture, je vais acheter une casquette, tu vois les trucs les moins chers du magasin. Et t’as travaillé pour ça Et y en a un il m’a dit j’ai travaillé trois semaines et je vais m’acheter une casquette. Et on a créé chez lui un désir dégueulasse. Et il a travaillé trois semaines, à mon avis, deux heures par jour dans un bar, enfin j’en sais rien, et il a été s’acheter une casquette. Et il a le droit. Mais nous on n’a pas le droit de lui créer ce désir. Et ce que fait Instagram, c’est créer des désirs vides, vides. La beauté absolue, le parer, enfin tout ce que Instagram vend comme nouveau désir, ce que la pub faisait avant, mais ce qu’Intagram amplifie colossalement chez les jeunes, le TikTok, et regarde ce que tu ne pourras jamais avoir et on a, ils sont prêts à consacrer une dose d’énergie folle pour en avoir un petit peu.

jerome [00:51:15]:

Ça veut dire rien en fait Et ça, ça m’inquiète beaucoup parce que ça va créer beaucoup de frustration. Ça va créer beaucoup d’injustice aussi parce que, en fait, pourquoi moi, je n’ai pas droit En fait, le gamin dans les dragons, il dit ça. C’est moi qui ai choisi que la maison de mon père, c’était la plus moche de la rue. C’est moi qui ai choisi qu’on avait une vieille bagnole. Tu vois Non C’est comme ça Comment voulez-vous, à un moment, que ces enfants après, ils trouvent que c’est juste On leur crée exactement le même désir que le fils du prince, mais eux ils n’y ont pas droit. Évidemment qu’ils trouvent qu’il y a de l’injustice.

greg [00:51:55]:

Une question un peu on the side, mais pour le professionnel que tu es. Tu disais tout à l’heure que les médias, ils ne parlent pas trop de ce genre de problématiques. Pour toi, c’est quoi le rôle des journalistes Parce qu’en fait, ils sont beaucoup décriés. Il y a un énorme problème de confiance dans le journalisme. On voit de plus en plus de la binarité aussi dans les médias. Et je me dis sur ce sujet là, mais de manière générale, sur les autres sujets, est-ce que le rôle d’un journaliste n’est pas d’être, on dit, donc si c’est bleu et rouge, admettons les idées, High Confidence Blue, High Confidence Red, donc c’est très confiant dans le rouge, très confiant dans le bleu. Et est-ce que la place journaliste, c’est pas d’être High Confidence Grey, tu vois, au milieu Bien

jerome [00:52:41]:

sûr, au milieu. Le journalisme, c’est écrire ou dire ce que certains n’ont pas envie d’entendre. Ça je pense que c’est très important. C’est une des bases de notre métier. Moi je suis intervieweur plutôt à la radio belge et là c’est partager des émotions. Une fois de plus dire, en fait, on n’est pas seul. Tu vois, on partage des histoires, on partage des émotions. C’est très différent, la presse en Belgique et en France.

jerome [00:53:12]:

Très, très différent. La presse belge a encore une forme de grande curiosité, etc. Mais c’est très expliquable parce qu’on est un petit pays à côté de deux très grands, que sont l’Allemagne et la France. Et en fait, on est négligeable. Quoi qu’on pense, tout le monde s’en fout. J’expliquais toujours, J’imagine toujours le bureau de Vladimir Poutine et un conseiller à lui qui arrive pour dire « le premier ministre belge a condamné votre action, monsieur Poutine ». Il n’en a rien à foutre. Qui ça Exactement.

jerome [00:53:40]:

Il dit « c’est où ça » Et ça c’est nous, la Belgique. On est négligeable. Et donc ça nous donne vachement de liberté. Vous, vous êtes un pays puissant, un des pays les plus puissants d’Europe, que vous vouliez ou pas. Et oui, en Europe, vous dirigez l’Europe quand même avec l’Allemagne. Et je vois chez vous une binarité plus grande que chez nous. Par exemple, il y a un truc très bizarre en Fédération Vallonnie-Brussel, là où j’habite, c’est la partie francophone de la Belgique. Il n’y a pas de partie d’extrême droite.

jerome [00:54:10]:

Je n’ai pas dit qu’il n’y avait pas de racisme. Il y en a, c’est systémique.

greg [00:54:13]:

Ce n’est pas forcément lié, mais…

jerome [00:54:14]:

Mais il n’y a pas de partie d’extrême droite. Ça n’existe pas chez nous. Et je me pose toujours la question du pourquoi. Il y a moins… Et ça c’est très choquant pour nous quand on regarde la télé française par exemple, il n’y a pas l’expression de propos homophobes ou racistes dans nos médias. Ça n’existe pas, c’est condamné. Donc il y a ce qu’on appelle un cordon sanitaire qui ne donne pas la parole à ces gens-là. Alors est-ce que c’est une forme de censure, etc.? On peut se poser la question, mais en tout cas c’est ce qui existe chez nous.

jerome [00:54:48]:

Et quand on entend nous, la télévision française par exemple, et certaines chaînes en particulier, où on entend des propos hallucinants, des propos racistes, à l’égard de grandes écoutes sur des émissions qui font un million de spectateurs, nous vraiment on comprend pas. Chez nous on ne comprend pas ça. Et je pense que c’est un problème la binarité de la France aujourd’hui, la manière dont les médias sont un peu cadenassés, soit parce qu’il est célèbre, soit parce qu’il est polémique. Je pense que c’est dangereux. Et en même temps, il y a tellement de journalistes déments en France, de magazines déments en France, encore d’émissions démentes en France où les gens prennent le temps de décrypter, d’analyser avec des ordinateurs brillantissimes. Donc ça va. Mais c’est vrai qu’on voit depuis quelques années et notamment à cause de Bolloré, les rachats de Bolloré, que ce soit évidemment Canal, Europe, GDD, etc. Et on se dit quand même que les élections présidentielles chez vous c’est dans trois ans.

jerome [00:55:57]:

On se dit qu’il attaque tôt, que c’est pas fini, qu’il y aura d’autres rachats. Et on se dit qu’ils sont au début de leur transformation, ces médias-là, et on trouve déjà ça grave. Donc je suis assez inquiet, moi, pour le paysage médiatique francophone-français, sur cette libération absolue de la parole dégueulasse.

greg [00:56:14]:

Ouais, c’est assez fou. En fait, c’est… Et ça fait lien avec tout ce qu’on se raconte.

jerome [00:56:18]:

Oui, exactement.

greg [00:56:19]:

Parce qu’en fait, pour moi, le journalisme a un rôle majeur. Mais ce qui est intéressant, tu vois, moi, quand je regarde, par exemple, sur mon podcast et je réfléchis à l’audience, c’est pas que je sais pas comment ça marche. Je sais bien que les gens, ils ont envie d’avoir des gens célèbres, ils ont envie d’avoir des histoires individuelles, ils ont envie d’avoir de la… Tu vois, un intervieweur qui rentre dedans, etc. Bon, c’est pas moi. Et du coup, je ne respecte pas ces règles de base. Je ne respecte pas que je n’ai pas accès à ces gens-là. C’est juste que je n’ai pas envie de faire ça parce que ça m’intéresse pas.

greg [00:56:47]:

Et puis dans le

jerome [00:56:48]:

podcast, il y a la place pour tout le monde surtout. Et c’est ça qui est génial.

greg [00:56:50]:

Mais si tu veux avoir de l’audience, néanmoins, ce qui intéresse les gens, ça reste ça. Et c’est ça qui est pervers. C’est-à-dire qu’à un moment donné, tu parlais tout à l’heure des journalistes qui font un travail de fond, etc. Mais c’est pas forcément ce que les gens consomment. En tout cas, c’est pas ce que la majorité de gens consomment. Et ça, c’est aussi… Je sais pas si c’est le syndrome, je sais pas exactement à quoi c’est lié, mais c’est hyper intéressant, je trouve, que… Alors que c’est les médias ou les papiers ou les…

greg [00:57:17]:

Peu importe, documentaires, les livres qui devraient être vus, lus, entendus, ben finalement, l’attention se porte ailleurs sur des histoires individuelles, de gens célèbres dont on suppose une vie xy.

jerome [00:57:33]:

Je me pose la même question. Je fais de la radio tous les jours sur Service Public Belge et je sais que je dois faire un minimum d’audience. Et c’est vrai que je vais recevoir dans la semaine prochaine Sophie Marsot, mais que je vais aussi, par ailleurs, contrebalancer et recevoir d’autres personnes absolument inconnues. Et c’est une forme d’équilibre et c’est une réalité. Mais c’est marrant ce que tu dis, la majorité… Et si on commençait à s’en foutre de la majorité Si on l’envoyait à la merde, la majorité, une bonne fois pour toutes, parce que la majorité qui arrive chez vous, moi j’ai envie de l’envoyer à la merde, j’ai pas envie d’en faire partie du tout. Et vraiment j’ai envie de la combattre mais férocement. Et si on arrêtait de parler en termes de majorité et qu’on pensait en termes de minorité, sans communautarisme, surtout, parce que je pense que c’est ça qui va faire qu’on va échouer, c’est qu’on va avoir 10 000 minorités, et aucune ne va être assez puissante pour émerger.

jerome [00:58:31]:

Et si on parvient à faire parler les minorités sans communautarisme, sans la la la la la, et qu’il y ait une forme d’unité, de combat vers la norme, quel monde formidable ce serait dans les dragons il y a une espèce de petite proposition comme ça, utopique, j’en ai très conscience, où on dit la force est d’aimer le faible. C’est ce que le lecteur sort de la lecture des souriers des hommes de John Steinbeck. La force est d’aimer le faible. Si aujourd’hui dans notre société la force c’était pas d’avoir une voiture allemande ou d’être PDG, mais que la force c’était reconnue par toutes et tous comme le fait d’aimer les plus faibles, bah moi je préférerais vivre dans cette société là.

greg [00:59:22]:

Voilà. Mais

jerome [00:59:24]:

ça, ça peut venir que d’en dessous parce que ceux d’en haut, ils ne vont jamais décider ça.

greg [00:59:27]:

Ah bah non Ils n’ont pas aucun intérêt. Non. Le potel s’appelle Vlaan, donc j’aimerais savoir à quoi tu veux ouvrir et où claquer la porte.

jerome [00:59:40]:

Où ouvrir Où claquer Où et comme tu veux. Putain c’est une bonne question. Je veux ouvrir la porte sur ces centres de soins pour adolescents, c’est ce que je fais dans les Dragons 1 très clairement, pour qu’on sache que les enfants ne souffrent pas que à cause de leur adolescence, mais à cause d’une souffrance réelle. Parce que c’est ce qu’ils m’ont demandé de dire, tous et toutes. Et la porte que je vais ouvrir, c’est clairement celle-là.

greg [01:00:20]:

Merci beaucoup Jérôme.

jerome [01:00:21]:

Merci à toi Calco.

greg [01:00:30]:

L’épisode sur vos réseaux sociaux Instagram stories Facebook LinkedIn où vous voulez. Je suis Grégory Pouilly, vous pouvez me retrouver sur l’intégralité des plateformes sous le nom Greg from Paris. Si vous avez des idées pour des invités, si vous avez des commentaires, n’hésitez surtout pas à m’envoyer un message. Allez, Merci et à bientôt.

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