Vlan #133 Comment faire à nouveau confiance aux politiques? Avec David Djaiz

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GRÉGORY : Tu es prof à Sciences Po de philosophie politique, tu as écrit un bouquin qui s’appelle Slow Democracy, qui est assez passionnant et qui parle de récits autour de la politique. La conversation qu’on a engagée, c’est pour ça que je me suis dit, qu’il fallait absolument que tu viennes sur VLAN pour en parler, c’est de se dire comment on réintéressent les gens à la politique ? J’ai l’impression, enfin, moi, c’est ma sensation, qu’aujourd’hui les politiques, on ne peut plus leur faire confiance, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas du tout alignés. Ils se font élire sur un truc, ils te tiennent un discours et en fait, ils font un truc qui n’a rien à voir. Ce n’est pas une question de parti, c’est juste qu’ils sont tous pareils. À la limite, Trump est quasiment plus rassurant parce qu’en fait, il dit ce qu’il fait, il fait ce qu’il dit. Donc au moins, il n’y a pas de surprise. C’est aussi sans doute pour ça que son taux de popularité ne bouge pas. Les politiques en France qui sont modérés, démocrates, on sait absolument pas pourquoi on vote. Comment on fait pour réintéresser les gens à la politique et pour leur redonner confiance dans la politique ?

DAVID : Alors, je pense qu’avant de se demander comment on fait, il faut essayer de comprendre pourquoi il y a une telle crise et pourquoi les gens s’intéressent plus à la politique. L’explication qu’on entend souvent dans les médias, au café, dans les discussions, les repas de famille, c’est qu’au fond, les gens sont devenus individualistes, ils sont avec leurs réseaux sociaux, ils ont leurs sorties, leurs amis et finalement, ils se sont repliés sur leur sphère privée. Ça, c’est vrai, mais je pense que ce n’est pas la cause. Ça, c’est plutôt la conséquence. La cause, à mon avis, c’est ce que j’essaye d’expliquer dans mon livre, depuis 40 ans, il y a eu une perte de pouvoir sur soi, de la démocratie, notamment dans les pays occidentaux. C’est-à-dire les politiques arrivés aux responsabilités ne pouvaient pas faire ce pour quoi ils avaient été élus ou trahissaient instantanément les promesses sur lesquelles ils avaient fondé leur programme électoral. Ça s’explique en partie par la mondialisation économique, c’est-à-dire par le fait qu’aujourd’hui l’économie, elle est globale. Le capitalisme, il est mondialisé, mais les peuples continuent de se gouverner dans les frontières des nations. Quand on arrive sur un programme très volontariste, on dit qu’on va changer la vie et bien, on se retrouve aux responsabilités et souvent, on est impuissant. Donc mon bouquin, c’est une tentative de montrer comment est ce qu’on peut reconstruire du pouvoir sur soi, reconstruire de la politique qui change les choses, et je crois que c’est le moyen pour réintéresser les gens.

GRÉGORY : Quand tu dis ça, cette hyper financiarisation du monde qui amène à des conséquences qui sont hallucinantes. Moi j’ai la sensation que les politiques, ils n’ont plus de pouvoir, en réalité ils se font élire, mais ils sont complètement pieds et mains liés. D’abord parce qu’il y a cette mondialisation et cette question de comment je gère la croissance, comment je gère le chômage, comment je gère la compétition internationale. Je ne peux pas prendre des décisions dans mon pays parce que je ne serai plus compétitif en tant que pays. Puis, ils ont aussi le fait qu’ils sont ruinés quelque part, ils ont plus d’argent, l’hôpital, il n’y a pas d’argent, l’éducation, il n’y a pas d’argent, etc. Tu te dis, mais en fait où est cet argent et comment ça se fait que le modèle ne fonctionne plus.

DAVID : C’est vrai qu’ils ont perdu du pouvoir depuis 40 ans. Regarde par exemple la politique monétaire qui est essentielle pour un pays. Aujourd’hui, ce sont des banques centrales qui sont indépendantes. Là, on est en pleine crise coronavirus. L’économie est en train de tousser et donc il va y avoir une intervention monétaire, mais elle est décidée par des technocrates et des banquiers indépendants. Donc c’est vrai qu’il y a cette perte de pouvoir. Mais moi, je pense qu’on en a beaucoup plus qu’on ne le croit. Les peuples ont beaucoup plus de pouvoir qu’ils ne le croient. Les citoyens ont beaucoup plus de pouvoir qu’ils ne le croient. Je crois que pour réenchanter en quelque sorte la politique, il faut retrouver le sens, c’est ce que tu disais dans ton introduction, le sens  des récits, c’est-à-dire d’être capable de raconter de quel monde on veut sortir et dans quel monde on veut entrer. Je crois que la période que nous traversons aujourd’hui, de grandes crises climatiques, de grandes crises du capitalisme, c’est une période qui est très intéressante pour ça, parce qu’on est à la charnière. On est dans un grand moment de transition et c’est le moment du retour des grands récits.

GRÉGORY : Justement, vers où on va, on parle énormément, je sais que tu critiques beaucoup ça, mais on parle énormément des 30 Glorieuses comme d’un moment incroyable ou tout le monde avait de l’argent, il y avait énormément de croissance, les salaires augmentaient, il y avait de l’inflation, mais finalement c’était super, il n’y avait pas de chômage ou très peu de chômage, etc. Ça, c’est le récit qu’on a tous en tête et tout le monde s’appuie là-dessus, puis après, c’est la crise économique de 2008, ce n’est pas terrible. C’est quoi ce nouveau récit ? Comment est-ce qu’on peut réinventer le capitalisme en dehors du fait qu’on n’a pas trop le choix dans l’absolu, et comment on fait pour allier finalement capitalisme, écologie, confort, est-ce que c’est même envisageable ?

DAVID : Tu as raison déjà de poser la référence aux 30 glorieuses parce qu’effectivement, c’est une période dont on a dans l’imaginaire collectif un souvenir plutôt nostalgique, parce que c’est la période de nos parents et nos parents ils disaient que la vie s’améliorait, les salaires augmentaient, etc. Je te donne juste un chiffre, entre 1945 et 1975, le niveau de vie des ouvriers a été multiplié par 3, depuis 1975, il a à peu près stagné, c’est-à-dire que les salaires ont augmenté au même rythme que le coût de la vie. Donc, tu vois bien que ce n’est pas pour rien qu’on fantasme un peu sur cette période. Après les 30 glorieuses, elle avait aussi énormément de défauts. C’était l’hyper pollution, la consommation de masse, la standardisation et la révolte de Mai 1968, c’était une révolte contre toutes ces tares. Mais c’est vrai que depuis 40 ans, on a l’impression d’être dans une période un peu indéfinissable, un peu déprimante pour tout dire, et il faut qu’on trouve un modèle de rechange. Évidemment, ce modèle de rechange, ça ne pourra pas être les 30 Glorieuses parce que ça ne pourra pas être la croissance d’un côté, je branche un tuyau sur la croissance et avec ce tuyau, j’alimente la société, c’est-à-dire que les gains de productivité servent à financer les hausses de salaires, le bien-être de la société, parce que ça, c’est destructeur pour l’environnement, destructeur pour nos déséquilibres. Aujourd’hui, tout le récit qu’il faut inventer, c’est un récit beaucoup plus sobre, beaucoup plus en phase avec notre environnement, beaucoup plus en phase avec la biosphère. Ce qui est passionnant, c’est que ça nécessite de tout repenser : comment on habite, comment on se déplace, comment on pense, comment on désigne, comment on market, comment on crée de la valeur, comment on réfléchit. Nos rapports intrafamiliaux, nos rapports amicaux, tout doit être repensé au prisme ou au tamis de cette soutenabilité environnementale. Mais moi, ce qui m’inquiète, c’est que je ne vois pas beaucoup d’efforts d’envergure pour essayer de penser ce nouveau monde.

La suite à écouter sur Vlan !

Description de l’épisode

David Djaiz est normalien, énarque, professeur à Science Po de philosophie politique, haut fonctionnaire et auteur de Slow Democratie.

Il est déjà venu sur ce podcast pendant le confinement pour parler de la mondialisation mais étrangement cet épisode a été enregistré bien avant cette crise, le 4 mars 2020 précisément.

Il pourrait donc vous surprendre car nous ne parlons pas nécessairement de la gestion de la crise mais vous verrez que les problèmes étaient déjà là donc l’épisode va vous passionner je crois.

Avec David on se demande sans faux semblants pour les politiques semblent être impuissants, pourquoi ils ne mettent pas en place les programmes pour lesquels ils se font élire, comment ils intègrent (ou pas) la problématique de l’écologie.

Vous allez voir que mes sujets de prédilection: le lien, les récits sont aussi au coeur de la réflexion de David.

Dans la mesure ou David est un soutien sans faille pour le nationalisme (non ce n’est pas un terme réservé à l’extrême droite) nous revenons beaucoup sur cette notion comme nous remettons en cause les 30 glorieuses comme étalon de la normalité.

Nous revenons aussi sur la problématique du partage des richesses bien sur et d’un ensemble de sujets qui devraient résonner pour vous.

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Transcription partielle de l’épisode

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GRÉGORY : Tu es prof à Sciences Po de philosophie politique, tu as écrit un bouquin qui s’appelle Slow Democracy, qui est assez passionnant et qui parle de récits autour de la politique. La conversation qu’on a engagée, c’est pour ça que je me suis dit, qu’il fallait absolument que tu viennes sur VLAN pour en parler, c’est de se dire comment on réintéressent les gens à la politique ? J’ai l’impression, enfin, moi, c’est ma sensation, qu’aujourd’hui les politiques, on ne peut plus leur faire confiance, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas du tout alignés. Ils se font élire sur un truc, ils te tiennent un discours et en fait, ils font un truc qui n’a rien à voir. Ce n’est pas une question de parti, c’est juste qu’ils sont tous pareils. À la limite, Trump est quasiment plus rassurant parce qu’en fait, il dit ce qu’il fait, il fait ce qu’il dit. Donc au moins, il n’y a pas de surprise. C’est aussi sans doute pour ça que son taux de popularité ne bouge pas. Les politiques en France qui sont modérés, démocrates, on sait absolument pas pourquoi on vote. Comment on fait pour réintéresser les gens à la politique et pour leur redonner confiance dans la politique ?

DAVID : Alors, je pense qu’avant de se demander comment on fait, il faut essayer de comprendre pourquoi il y a une telle crise et pourquoi les gens s’intéressent plus à la politique. L’explication qu’on entend souvent dans les médias, au café, dans les discussions, les repas de famille, c’est qu’au fond, les gens sont devenus individualistes, ils sont avec leurs réseaux sociaux, ils ont leurs sorties, leurs amis et finalement, ils se sont repliés sur leur sphère privée. Ça, c’est vrai, mais je pense que ce n’est pas la cause. Ça, c’est plutôt la conséquence. La cause, à mon avis, c’est ce que j’essaye d’expliquer dans mon livre, depuis 40 ans, il y a eu une perte de pouvoir sur soi, de la démocratie, notamment dans les pays occidentaux. C’est-à-dire les politiques arrivés aux responsabilités ne pouvaient pas faire ce pour quoi ils avaient été élus ou trahissaient instantanément les promesses sur lesquelles ils avaient fondé leur programme électoral. Ça s’explique en partie par la mondialisation économique, c’est-à-dire par le fait qu’aujourd’hui l’économie, elle est globale. Le capitalisme, il est mondialisé, mais les peuples continuent de se gouverner dans les frontières des nations. Quand on arrive sur un programme très volontariste, on dit qu’on va changer la vie et bien, on se retrouve aux responsabilités et souvent, on est impuissant. Donc mon bouquin, c’est une tentative de montrer comment est ce qu’on peut reconstruire du pouvoir sur soi, reconstruire de la politique qui change les choses, et je crois que c’est le moyen pour réintéresser les gens.

GRÉGORY : Quand tu dis ça, cette hyper financiarisation du monde qui amène à des conséquences qui sont hallucinantes. Moi j’ai la sensation que les politiques, ils n’ont plus de pouvoir, en réalité ils se font élire, mais ils sont complètement pieds et mains liés. D’abord parce qu’il y a cette mondialisation et cette question de comment je gère la croissance, comment je gère le chômage, comment je gère la compétition internationale. Je ne peux pas prendre des décisions dans mon pays parce que je ne serai plus compétitif en tant que pays. Puis, ils ont aussi le fait qu’ils sont ruinés quelque part, ils ont plus d’argent, l’hôpital, il n’y a pas d’argent, l’éducation, il n’y a pas d’argent, etc. Tu te dis, mais en fait où est cet argent et comment ça se fait que le modèle ne fonctionne plus.

DAVID : C’est vrai qu’ils ont perdu du pouvoir depuis 40 ans. Regarde par exemple la politique monétaire qui est essentielle pour un pays. Aujourd’hui, ce sont des banques centrales qui sont indépendantes. Là, on est en pleine crise coronavirus. L’économie est en train de tousser et donc il va y avoir une intervention monétaire, mais elle est décidée par des technocrates et des banquiers indépendants. Donc c’est vrai qu’il y a cette perte de pouvoir. Mais moi, je pense qu’on en a beaucoup plus qu’on ne le croit. Les peuples ont beaucoup plus de pouvoir qu’ils ne le croient. Les citoyens ont beaucoup plus de pouvoir qu’ils ne le croient. Je crois que pour réenchanter en quelque sorte la politique, il faut retrouver le sens, c’est ce que tu disais dans ton introduction, le sens  des récits, c’est-à-dire d’être capable de raconter de quel monde on veut sortir et dans quel monde on veut entrer. Je crois que la période que nous traversons aujourd’hui, de grandes crises climatiques, de grandes crises du capitalisme, c’est une période qui est très intéressante pour ça, parce qu’on est à la charnière. On est dans un grand moment de transition et c’est le moment du retour des grands récits.

GRÉGORY : Justement, vers où on va, on parle énormément, je sais que tu critiques beaucoup ça, mais on parle énormément des 30 Glorieuses comme d’un moment incroyable ou tout le monde avait de l’argent, il y avait énormément de croissance, les salaires augmentaient, il y avait de l’inflation, mais finalement c’était super, il n’y avait pas de chômage ou très peu de chômage, etc. Ça, c’est le récit qu’on a tous en tête et tout le monde s’appuie là-dessus, puis après, c’est la crise économique de 2008, ce n’est pas terrible. C’est quoi ce nouveau récit ? Comment est-ce qu’on peut réinventer le capitalisme en dehors du fait qu’on n’a pas trop le choix dans l’absolu, et comment on fait pour allier finalement capitalisme, écologie, confort, est-ce que c’est même envisageable ?

DAVID : Tu as raison déjà de poser la référence aux 30 glorieuses parce qu’effectivement, c’est une période dont on a dans l’imaginaire collectif un souvenir plutôt nostalgique, parce que c’est la période de nos parents et nos parents ils disaient que la vie s’améliorait, les salaires augmentaient, etc. Je te donne juste un chiffre, entre 1945 et 1975, le niveau de vie des ouvriers a été multiplié par 3, depuis 1975, il a à peu près stagné, c’est-à-dire que les salaires ont augmenté au même rythme que le coût de la vie. Donc, tu vois bien que ce n’est pas pour rien qu’on fantasme un peu sur cette période. Après les 30 glorieuses, elle avait aussi énormément de défauts. C’était l’hyper pollution, la consommation de masse, la standardisation et la révolte de Mai 1968, c’était une révolte contre toutes ces tares. Mais c’est vrai que depuis 40 ans, on a l’impression d’être dans une période un peu indéfinissable, un peu déprimante pour tout dire, et il faut qu’on trouve un modèle de rechange. Évidemment, ce modèle de rechange, ça ne pourra pas être les 30 Glorieuses parce que ça ne pourra pas être la croissance d’un côté, je branche un tuyau sur la croissance et avec ce tuyau, j’alimente la société, c’est-à-dire que les gains de productivité servent à financer les hausses de salaires, le bien-être de la société, parce que ça, c’est destructeur pour l’environnement, destructeur pour nos déséquilibres. Aujourd’hui, tout le récit qu’il faut inventer, c’est un récit beaucoup plus sobre, beaucoup plus en phase avec notre environnement, beaucoup plus en phase avec la biosphère. Ce qui est passionnant, c’est que ça nécessite de tout repenser : comment on habite, comment on se déplace, comment on pense, comment on désigne, comment on market, comment on crée de la valeur, comment on réfléchit. Nos rapports intrafamiliaux, nos rapports amicaux, tout doit être repensé au prisme ou au tamis de cette soutenabilité environnementale. Mais moi, ce qui m’inquiète, c’est que je ne vois pas beaucoup d’efforts d’envergure pour essayer de penser ce nouveau monde.

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