Vlan #127 A quoi ressemblera la mondialisation post-covid19

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GRÉGORY : On va faire un truc assez inédit parce qu’en fait, on a fait un épisode ensemble que je n’ai pas encore diffusé, et on en fait déjà un second parce que l’actualité nous y pousse et parce que tu as écrit un papier passionnant sur le sujet, qui est le futur de la mondialisation. Ce qu’on voit à travers la situation aujourd’hui, c’est que cette mondialisation nous a posé des soucis et nous pose des soucis. Qu’est-ce que cette crise, cette guerre, comme dirait Macron, nous apprend de la mondialisation ?

DAVID : Tu as l’art d’entrer dans le vif du sujet sans ambages. Je voudrais d’abord, avant de répondre à ta question qui est évidemment vital, dire que nous sommes face à une crise sanitaire et une crise économique, puisque de la crise sanitaire découlera une crise économique d’une ampleur inédite. Ces deux crises sont en effet globales puisqu’on voit que désormais les cinq continents sont touchés par des mesures d’ordre public, sanitaire, très dur. Il y a près de 2 milliards d’individus qui sont confinés dans leur domicile et afin d’éviter la propagation de l’épidémie et surtout cette fameuse courbe dont on a pas mal montré dans les médias une explosion des cas qui entraînerait la saturation des capacités hospitalières, donc tous les efforts aujourd’hui doivent être concentrés sur la réduction de la propagation de l’épidémie, l’écrasement de la courbe et puis aussi sur des mesures d’urgence économique qui évitent à la fois les licenciements qu’on commence à voir par millions aux États Unis. Heureusement en Europe, on a des filets de sécurité comme le chômage partiel qui évitent cette situation. Puisque des entreprises mettent la clé sous la porte parce que c’est une chose que l’offre et la demande soit perturbée le temps de la lutte contre l’épidémie et c’est même nécessaire si on veut empêcher la catastrophe sanitaire. Mais il ne faut pas que, durant cette interruption brutale de l’activité économique, les entreprises mettent massivement la clé sous la porte ou que les salariés soient licenciés parce que ça entraînerait ensuite des conséquences de long terme désastreuses. Le tissu économique serait durablement affecté. Il faut que la puissance publique mette tout en œuvre à la fois sur le front sanitaire et sur le front économique. Cela étant dit, et j’en reviens tout de suite à ta question, ça ne doit pas nous empêcher de réfléchir à l’après, de mettre un peu de profondeur dans ce qui se passe, et effectivement, je pense qu’on ne peut pas comprendre ce qui se passe sans réfléchir à la question de la mondialisation. Alors qu’est-ce que c’est que la mondialisation, depuis 40 ans, c’est une augmentation générale des interdépendances. On connaît bien les interdépendances économiques, on le voit avec l’augmentation des échanges commerciaux, par exemple la levée des barrières douanières qui est continue depuis 40 ans. On le voit aussi avec l’intégration financière depuis les années 80, les systèmes financiers sont très imbriqués les uns avec les autres. Puis on le voit aussi avec l’augmentation de la mobilité des personnes, j’ai un chiffre en tête, les flux touristiques, qui sont un bon indice de cette mondialisation, 1,4 milliard de personnes ont pris l’avion à des fins touristiques dans le monde en 2018. Donc on voit qu’il y a des interdépendances qui sont très fortes et forcément quand il y a une faiblesse, un accident qui intervient en un point local du système, si cette faiblesse n’est pas détectée rapidement ou contenue rapidement, eh bien ça peut entraîner une crise globale. On l’a vu en 2008 avec la crise des subprices, il y avait sur le marché du logement américain de plus en plus de ménages qui, à cause de la crise immobilière, n’arrivaient plus à rembourser leur crédit. Sauf que souvent, ces crédits hypothécaires étaient adossés à des actifs financiers et ces actifs financiers étaient transmis d’établissements financiers à établissements financiers par le jeu des imbrications de bilans. Quand le marché du logement américain s’est effondré, il y a eu des effets en cascade qui nous ont mené à la fois à la crise financière qu’on connaît, à une grave crise économique, une récession et puis même à la crise des dettes souveraines en Europe. Même si c’est un domaine complètement différent, l’épidémie que nous traversons, que nous connaissons aujourd’hui, la pandémie même, puisque c’est à un phénomène mondial de coronavirus, c’est exactement la même mécanique de propagation. C’est-à-dire qu’il y a eu un premier foyer de transmission dans la ville de Wuhan, en Chine, dans la région de l’Hubei. On ne sait pas encore exactement quel a été l’animal qui a assuré la transmission à l’Homme, qui a assuré ce qu’on appelle le passage de la barrière des espèces, entre autres entre l’animal et l’Homme. Mais ce qui est certain, c’est que ça s’est produit au marché des animaux de Wuhan et que très rapidement, dans cette ville, on s’est retrouvé en présence d’un foyer épidémique. Comme les autorités chinoises n’ont pas détecté le problème suffisamment tôt et ensuite ont manqué de transparence sur la réalité de ce virus, ils ont étouffé les données et détruit des preuves, pourchassées les médecins qui étaient des lanceurs d’alerte, l’épidémie s’est propagée très vite à la fois dans toute la Chine et surtout dans le monde entier. Il y a un site que je vous recommande, qui est le site du New York Times, qui a construit une infographie de la diffusion dans le temps du virus. Qu’est-ce qu’on voit qu’il a fait ce virus ? Il s’est diffusé selon les routes de la mondialisation, c’est-à-dire qu’il s’est propagé dans les grandes villes chinoises en empruntant les voies terrestres, puisque les porteurs voyageaient en train ou en avion à l’intérieur de la Chine, et il s’est propagé dans le reste du monde en empruntant les voies aériennes. Ce n’est pas un hasard si les principaux foyers épidémiques qui sont apparus, par exemple en Europe ou aux États-Unis, c’est d’abord autour des grands aéroports ou des hubs touristiques et commerciaux. L’Italie du Nord, c’est à la fois un hub touristique parce qu’il y a des centaines de milliers de visiteurs en provenance de la Chine qui visitent cette région chaque année. La Lombardie, c’est une région industrielle très ouverte sur le monde, une puissance exportatrice et les premiers malades sont arrivés dans ce hub. Ensuite, on voit que le virus se diffuse dans l’arrière-pays et là, il se diffuse dans l’arrière-pays avec d’autres mobilités qui prennent le relais, qui ne sont pas les mobilités transfrontalières de la mondialisation, mais qui sont les mobilités locales ou régionales. Par exemple, pourquoi est ce que le virus a autant sévi dans des petites villes en Italie comme Bergame ou Brescia, etc, c’est pour la raison simple que beaucoup de travailleurs qui travaillent dans l’agglomération de Milan ou il y a eu le premier foyer et bien chaque jour, ils font des trajets entre les petites et moyennes villes dans lesquelles ils vivent et l’agglomération de Milan. Ils ont vraisemblablement diffusé ce virus sans le savoir, bien sûr, puisque la plupart étaient porteurs sains, dans leur cellule familiale. Comme il y a beaucoup de solidarité intergénérationnelle en Italie, que les personnes âgées et même très âgées, on les garde dans les familles alors que dans d’autres pays, on les met plus souvent en établissements spécialisés, et bien malheureusement, ces personnes ont été contaminées beaucoup plus fortement, ce qui explique probablement la surmortalité qu’on constate en Italie et qu’on commence aussi à constater en Espagne ou on a le même phénomène. Mais tout ça pour se dire que la mondialisation n’est évidemment pas la cause de la diffusion du virus, mais elle constitue un milieu propice, puisque tu vois bien que toutes les cases ont été cochées. D’abord, comment est-ce que ce virus se transmet de l’homme à l’animal ? Eh bien, c’est parce qu’on multiplie les points de contact entre la faune sauvage dans laquelle peut apparaître ce type de virus, et l’Homme, à la fois par la monoculture intensive, par la contrebande d’animaux sauvages. Typiquement, la Chine pose un problème de ce point de vue là, parce que c’est un pays où il y a une urbanisation qui est très forte, avec des villes construites en quelques dizaines d’années de plusieurs millions d’habitants au contact de milieux sauvages et surtout des passages entre les deux, à travers par exemple le trafic d’animaux sauvages puisque les Chinois sont très consommateurs d’un certain nombre d’animaux, par exemple le pangolin, la civette, etc. Tu as un passage qui peut se faire dans ce contexte d’urbanisation. Ensuite, évidemment, les mobilités transfrontalières se sont chargées de diffuser l’épidémie au reste du monde. 

La suite à écouter sur Vlan !

Description de l’épisode

David Djaiz a 29 ans et et si vous ne le connaissez pas encore, je crois que vous allez entendre beaucoup son nom bientôt. Jeune normalien et énarque, professeur à Science Po mais aussi haut fonctionnaire et auteur.

Il a écrit un livre politique qui se nomme “slow democratie” paru en 2019 qui propose de reprendre le contrôle d’une mondialisation débridée dont les dégâts se font sentir chaque jour.

On dit des pandémies qu’elles sont la marque d’un problème de société et il est assez évident que la crise sanitaire que nous traversons est une marque de cette mondialisation folle.

Nous avons enregistré avec David lors de la première semaine de confinement et j’aurais aimé diffusé cette discussion un peu plus tôt mais vous comprendrez pourquoi au début de notre conversation il reprend des éléments structurants.

Avec David nous revenons sur la manière dont cette mondialisation a conduit à des dysfonctionnements majeurs, comment nous pouvons revenir à une localisation et à une nation forte mais sans que cela soit “nationaliste” ou identitaire évidemment.

Une conversation plus économique que d’habitude mais il me semble que c’est essentiel de comprendre ces éléments pour comprendre ce qui va se passer par la suite au niveau national et international et se forger des avis éclairés.

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Transcription partielle de l’épisode

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DAVID : Tu as l’art d’entrer dans le vif du sujet sans ambages. Je voudrais d’abord, avant de répondre à ta question qui est évidemment vital, dire que nous sommes face à une crise sanitaire et une crise économique, puisque de la crise sanitaire découlera une crise économique d’une ampleur inédite. Ces deux crises sont en effet globales puisqu’on voit que désormais les cinq continents sont touchés par des mesures d’ordre public, sanitaire, très dur. Il y a près de 2 milliards d’individus qui sont confinés dans leur domicile et afin d’éviter la propagation de l’épidémie et surtout cette fameuse courbe dont on a pas mal montré dans les médias une explosion des cas qui entraînerait la saturation des capacités hospitalières, donc tous les efforts aujourd’hui doivent être concentrés sur la réduction de la propagation de l’épidémie, l’écrasement de la courbe et puis aussi sur des mesures d’urgence économique qui évitent à la fois les licenciements qu’on commence à voir par millions aux États Unis. Heureusement en Europe, on a des filets de sécurité comme le chômage partiel qui évitent cette situation. Puisque des entreprises mettent la clé sous la porte parce que c’est une chose que l’offre et la demande soit perturbée le temps de la lutte contre l’épidémie et c’est même nécessaire si on veut empêcher la catastrophe sanitaire. Mais il ne faut pas que, durant cette interruption brutale de l’activité économique, les entreprises mettent massivement la clé sous la porte ou que les salariés soient licenciés parce que ça entraînerait ensuite des conséquences de long terme désastreuses. Le tissu économique serait durablement affecté. Il faut que la puissance publique mette tout en œuvre à la fois sur le front sanitaire et sur le front économique. Cela étant dit, et j’en reviens tout de suite à ta question, ça ne doit pas nous empêcher de réfléchir à l’après, de mettre un peu de profondeur dans ce qui se passe, et effectivement, je pense qu’on ne peut pas comprendre ce qui se passe sans réfléchir à la question de la mondialisation. Alors qu’est-ce que c’est que la mondialisation, depuis 40 ans, c’est une augmentation générale des interdépendances. On connaît bien les interdépendances économiques, on le voit avec l’augmentation des échanges commerciaux, par exemple la levée des barrières douanières qui est continue depuis 40 ans. On le voit aussi avec l’intégration financière depuis les années 80, les systèmes financiers sont très imbriqués les uns avec les autres. Puis on le voit aussi avec l’augmentation de la mobilité des personnes, j’ai un chiffre en tête, les flux touristiques, qui sont un bon indice de cette mondialisation, 1,4 milliard de personnes ont pris l’avion à des fins touristiques dans le monde en 2018. Donc on voit qu’il y a des interdépendances qui sont très fortes et forcément quand il y a une faiblesse, un accident qui intervient en un point local du système, si cette faiblesse n’est pas détectée rapidement ou contenue rapidement, eh bien ça peut entraîner une crise globale. On l’a vu en 2008 avec la crise des subprices, il y avait sur le marché du logement américain de plus en plus de ménages qui, à cause de la crise immobilière, n’arrivaient plus à rembourser leur crédit. Sauf que souvent, ces crédits hypothécaires étaient adossés à des actifs financiers et ces actifs financiers étaient transmis d’établissements financiers à établissements financiers par le jeu des imbrications de bilans. Quand le marché du logement américain s’est effondré, il y a eu des effets en cascade qui nous ont mené à la fois à la crise financière qu’on connaît, à une grave crise économique, une récession et puis même à la crise des dettes souveraines en Europe. Même si c’est un domaine complètement différent, l’épidémie que nous traversons, que nous connaissons aujourd’hui, la pandémie même, puisque c’est à un phénomène mondial de coronavirus, c’est exactement la même mécanique de propagation. C’est-à-dire qu’il y a eu un premier foyer de transmission dans la ville de Wuhan, en Chine, dans la région de l’Hubei. On ne sait pas encore exactement quel a été l’animal qui a assuré la transmission à l’Homme, qui a assuré ce qu’on appelle le passage de la barrière des espèces, entre autres entre l’animal et l’Homme. Mais ce qui est certain, c’est que ça s’est produit au marché des animaux de Wuhan et que très rapidement, dans cette ville, on s’est retrouvé en présence d’un foyer épidémique. Comme les autorités chinoises n’ont pas détecté le problème suffisamment tôt et ensuite ont manqué de transparence sur la réalité de ce virus, ils ont étouffé les données et détruit des preuves, pourchassées les médecins qui étaient des lanceurs d’alerte, l’épidémie s’est propagée très vite à la fois dans toute la Chine et surtout dans le monde entier. Il y a un site que je vous recommande, qui est le site du New York Times, qui a construit une infographie de la diffusion dans le temps du virus. Qu’est-ce qu’on voit qu’il a fait ce virus ? Il s’est diffusé selon les routes de la mondialisation, c’est-à-dire qu’il s’est propagé dans les grandes villes chinoises en empruntant les voies terrestres, puisque les porteurs voyageaient en train ou en avion à l’intérieur de la Chine, et il s’est propagé dans le reste du monde en empruntant les voies aériennes. Ce n’est pas un hasard si les principaux foyers épidémiques qui sont apparus, par exemple en Europe ou aux États-Unis, c’est d’abord autour des grands aéroports ou des hubs touristiques et commerciaux. L’Italie du Nord, c’est à la fois un hub touristique parce qu’il y a des centaines de milliers de visiteurs en provenance de la Chine qui visitent cette région chaque année. La Lombardie, c’est une région industrielle très ouverte sur le monde, une puissance exportatrice et les premiers malades sont arrivés dans ce hub. Ensuite, on voit que le virus se diffuse dans l’arrière-pays et là, il se diffuse dans l’arrière-pays avec d’autres mobilités qui prennent le relais, qui ne sont pas les mobilités transfrontalières de la mondialisation, mais qui sont les mobilités locales ou régionales. Par exemple, pourquoi est ce que le virus a autant sévi dans des petites villes en Italie comme Bergame ou Brescia, etc, c’est pour la raison simple que beaucoup de travailleurs qui travaillent dans l’agglomération de Milan ou il y a eu le premier foyer et bien chaque jour, ils font des trajets entre les petites et moyennes villes dans lesquelles ils vivent et l’agglomération de Milan. Ils ont vraisemblablement diffusé ce virus sans le savoir, bien sûr, puisque la plupart étaient porteurs sains, dans leur cellule familiale. Comme il y a beaucoup de solidarité intergénérationnelle en Italie, que les personnes âgées et même très âgées, on les garde dans les familles alors que dans d’autres pays, on les met plus souvent en établissements spécialisés, et bien malheureusement, ces personnes ont été contaminées beaucoup plus fortement, ce qui explique probablement la surmortalité qu’on constate en Italie et qu’on commence aussi à constater en Espagne ou on a le même phénomène. Mais tout ça pour se dire que la mondialisation n’est évidemment pas la cause de la diffusion du virus, mais elle constitue un milieu propice, puisque tu vois bien que toutes les cases ont été cochées. D’abord, comment est-ce que ce virus se transmet de l’homme à l’animal ? Eh bien, c’est parce qu’on multiplie les points de contact entre la faune sauvage dans laquelle peut apparaître ce type de virus, et l’Homme, à la fois par la monoculture intensive, par la contrebande d’animaux sauvages. Typiquement, la Chine pose un problème de ce point de vue là, parce que c’est un pays où il y a une urbanisation qui est très forte, avec des villes construites en quelques dizaines d’années de plusieurs millions d’habitants au contact de milieux sauvages et surtout des passages entre les deux, à travers par exemple le trafic d’animaux sauvages puisque les Chinois sont très consommateurs d’un certain nombre d’animaux, par exemple le pangolin, la civette, etc. Tu as un passage qui peut se faire dans ce contexte d’urbanisation. Ensuite, évidemment, les mobilités transfrontalières se sont chargées de diffuser l’épidémie au reste du monde. 

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