Vlan #112 Que peut on apprendre des autres peuples avec Frédéric Lopez

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GRÉGORY : Ce qui m’intéresse, moi, c’est ton retour d’expériences sur les différents peuples que tu as pu aller voir. Parce qu’en réalité, on a tendance à penser que la manière dont on fait “société” nous, c’est-à-dire via la science et largement supérieure, et moi, quand je regarde, par exemple, quand on détruit l’Amazonie, alors bien sûr, ça me fait de la peine pour les arbres, mais en même temps, moi, ce qui me fait encore plus de peine, c’est qu’on est en train de détruire un savoir millénaire de gens qui habitent dans ces forêts et qui ont vraiment un savoir très puissant en réalité. Et toi, tu as eu cette chance de pouvoir aller observer finalement et vivre avec, sur des périodes plus ou moins limitées, différents peuples. La première question, c’est l’expérience qui ta le plus marqué dans tout ça ? C’est toujours une question difficile…

FRÉDÉRIC : C’est compliqué de dire laquelle m’a le plus marqué parce que ce n’est jamais pour les mêmes choses. J’ai beaucoup de charge émotionnelle, mais il y a un souvenir qui donne beaucoup d’espoir parce qu’en fait, il ne s’agit pas d’idéaliser les traditions et d’imaginer que nous, on aurait compris. Ce serait un peu caricatural. On pourrait même débattre sur ce que tu disais, j’ai la sensation que les sociétés occidentales se sentent un peu supérieures dans leur manière de faire société. On pourrait presque donner des exemples de ça pour voir pourquoi tu as cette sensation de forme d’arrogance. Mais en tout cas, ce qui est sûr, c’est que quand j’ai commencé “rendez-vous en terre inconnue”, on allait voir les peuples autochtones, ce que les Nations unies appellent la mémoire de l’humanité, ce sont des gens isolés qui ne sont pas dans notre système. Quand j’ai commencé il y a treize ans, ils étaient 5% de la population mondiale et aujourd’hui, ils sont 3%. Donc, à ce titre-là, c’est important pour moi de leur donner la parole, de les écouter, de les entendre, et c’est vrai que ce sont des minorités, la plupart d’entre eux, dans leur propre pays, ils sont souvent méprisés parce qu’ils incarnent le passé. Et donc ce sont des pays qui ont envie d’être sur le concert des nations et qui ont l’impression d’être modernes. Ça, c’est le truc qui passe partout et du coup, la plupart des gens qu’on est allé voir sont méprisés, parfois même harcelés. Donc c’est quelque chose de très émouvant pour mon équipe et pour moi d’avoir leur confiance. Parce que finalement, les gens de l’extérieur, ils n’étaient jamais très bien intentionnés et nous, on avait juste envie d’enregistrer leur parole. Et parmi toutes les rencontres, il y en a une qui m’a spécialement marqué. On est en Éthiopie, en Abyssinie, 4000 mètres d’altitude. On est chez Cissé qui agriculteur, et lui comme tout le monde dans la vallée, alors que c’est interdit officiellement d’un pays, il a marié sa fille dans un mariage arrangé lorsqu’elle avait douze ans. Quand il a 43 ans, il apprend à lire et à écrire, et le seul petit livre qu’il a à la maison, ce sont les droits de l’homme, de la femme et de l’enfant. Et du coup, il dit lui-même, ce sont ses propres mots “J’ai enterré ma fille vivante”. Alors moi, je pense à tous les gens qui nous entourent et qui ne reconnaissent pas leurs erreurs. Lui reconnaît son erreur, il est dur avec lui et il décide de sauver sa fille suivante, qui a seize ans quand on la rencontre et il veut qu’elle aille à l’école. Et c’est là que les ennuis commencent pour lui parce qu’en fait, il est contre les traditions. Donc en fait il est la honte de sa famille, ses frères, de ses amis. Il est exclu, rejetés et on sait que pour un être humain, ce qui a de pire, c’est le rejet. Et puis surtout, il a des ennemis, c’est la famille adverse, si j’ose dire, c’est à dire ceux à qui il a promis sa fille parce qu’il a reçu des cadeaux. Et malgré tout ça, il va continuer, nous, on le voit à la sortie de l’église, personne ne l’écoute vraiment, il explique que ce n’est pas bien de marier son enfant si jeune, etc. On a l’habitude de retourner voir les gens qu’on a filmés quatre ou cinq ans plus tard pour leur montrer les films, voir s’ils se reconnaissent. Et cette fois, Adriana Karembeu a voulu absolument y aller, avec mon équipe. Et puis, à un moment donné, elle lui pose la question suivante, elle lui dit “Mais Cissé, bon, nous, on sait ce que tu nous as apporté et on va parler de ça ensemble. Mais nous, notre rencontre, qu’est-ce que ça t’a apporté ?”. Et là, vraiment, très naturellement, sans mettre d’effet, etc, j’essaie de le dire aussi rapidement que lui. Il dit “En fait, avant de vous connaître, je ne savais pas que j’étais courageux”, et il a réussi à éradiquer le fléau. Et moi, je ne savais pas qu’en portant notre regard sur quelqu’un, on pouvait lui donner de la force. On peut changer la vie des gens juste en leur apportant de l’attention. C’est ça que ça m’a appris. Donc cette rencontre, elle est puissante parce que c’est l’arbre au milieu du torrent, c’est-à-dire que ce n’est pas la meilleure des traditions, le mariage arrangé à l’âge de douze ans. D’ailleurs, tout ce qui se passe là-bas, ça tombe sous le coup de la loi, parce que c’est un enlèvement, quand il s’agit de la fille, parce qu’elle ne sait pas, le jour même, on lui dit, c’est la fête, c’est ton mariage, ça veut dire quoi ? C’est qu’on t’arrache à ta famille, donc c’est un enlèvement. Et puis on peut parler de viol, et on peut même parler de pédophilie, donc ça fait beaucoup et donc ce sont des traumas hallucinants. Et de voir que ça, c’est perpétuent pour des raisons de tradition. C’est étonnant. Donc c’est un très bon souvenir parce que cet homme avait un sourire extrêmement lumineux. Il me donnait beaucoup d’espoir et donc même dans cette espèce de noirceur, il me donne foi en l’humanité.

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Description de l’épisode

Frédéric Lopez est un journaliste, producteur et il a animé cette émission “rdv en terre inconnue” que j’ai beaucoup apprécié.

Nommé pendant un temps le présentateur préféré des français, Frédéric m’a surtout intéressé car sans avoir le diplôme d’ethnologue, il est allé à la rencontre de peuples qui vivent de manière différente de la notre.

Ces peuples se font de plus en plus rares et c’est en cela qu’ils sont précieux et qu’il est intéressant de mieux comprendre leur manière de vivre.

Comme Frédéric le rappelle l’idée n’est certainement pas de tomber dans la caricature de se dire que ces peuples autochtones sont bien meilleurs que les nôtres qui n’avons rien compris puisque nous avons, à travers le consumérisme outrancier, détruit notre propre habitat. Par de nombreux aspects et à travers les histoires que nous raconte Frédéric on se rend compte que parfois il y a des coutumes que nous sommes heureux d’avoir abolies mais il y a également une sagesse millénaire simplement humaine qu’il est aussi bon de rappeler.

Frédéric partage avec nous ce qu’il a appris au bout du monde, comment il envisage la société de l’information aujourd’hui, le regard qu’il porte sur notre société, les solution que lui a mis en place pour se sentir mieux.

Frédéric qui nous emporte à travers ses récits dans ces histoires qui nous dépasse.

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Transcription partielle de l’épisode

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GRÉGORY : Ce qui m’intéresse, moi, c’est ton retour d’expériences sur les différents peuples que tu as pu aller voir. Parce qu’en réalité, on a tendance à penser que la manière dont on fait “société” nous, c’est-à-dire via la science et largement supérieure, et moi, quand je regarde, par exemple, quand on détruit l’Amazonie, alors bien sûr, ça me fait de la peine pour les arbres, mais en même temps, moi, ce qui me fait encore plus de peine, c’est qu’on est en train de détruire un savoir millénaire de gens qui habitent dans ces forêts et qui ont vraiment un savoir très puissant en réalité. Et toi, tu as eu cette chance de pouvoir aller observer finalement et vivre avec, sur des périodes plus ou moins limitées, différents peuples. La première question, c’est l’expérience qui ta le plus marqué dans tout ça ? C’est toujours une question difficile…

FRÉDÉRIC : C’est compliqué de dire laquelle m’a le plus marqué parce que ce n’est jamais pour les mêmes choses. J’ai beaucoup de charge émotionnelle, mais il y a un souvenir qui donne beaucoup d’espoir parce qu’en fait, il ne s’agit pas d’idéaliser les traditions et d’imaginer que nous, on aurait compris. Ce serait un peu caricatural. On pourrait même débattre sur ce que tu disais, j’ai la sensation que les sociétés occidentales se sentent un peu supérieures dans leur manière de faire société. On pourrait presque donner des exemples de ça pour voir pourquoi tu as cette sensation de forme d’arrogance. Mais en tout cas, ce qui est sûr, c’est que quand j’ai commencé “rendez-vous en terre inconnue”, on allait voir les peuples autochtones, ce que les Nations unies appellent la mémoire de l’humanité, ce sont des gens isolés qui ne sont pas dans notre système. Quand j’ai commencé il y a treize ans, ils étaient 5% de la population mondiale et aujourd’hui, ils sont 3%. Donc, à ce titre-là, c’est important pour moi de leur donner la parole, de les écouter, de les entendre, et c’est vrai que ce sont des minorités, la plupart d’entre eux, dans leur propre pays, ils sont souvent méprisés parce qu’ils incarnent le passé. Et donc ce sont des pays qui ont envie d’être sur le concert des nations et qui ont l’impression d’être modernes. Ça, c’est le truc qui passe partout et du coup, la plupart des gens qu’on est allé voir sont méprisés, parfois même harcelés. Donc c’est quelque chose de très émouvant pour mon équipe et pour moi d’avoir leur confiance. Parce que finalement, les gens de l’extérieur, ils n’étaient jamais très bien intentionnés et nous, on avait juste envie d’enregistrer leur parole. Et parmi toutes les rencontres, il y en a une qui m’a spécialement marqué. On est en Éthiopie, en Abyssinie, 4000 mètres d’altitude. On est chez Cissé qui agriculteur, et lui comme tout le monde dans la vallée, alors que c’est interdit officiellement d’un pays, il a marié sa fille dans un mariage arrangé lorsqu’elle avait douze ans. Quand il a 43 ans, il apprend à lire et à écrire, et le seul petit livre qu’il a à la maison, ce sont les droits de l’homme, de la femme et de l’enfant. Et du coup, il dit lui-même, ce sont ses propres mots “J’ai enterré ma fille vivante”. Alors moi, je pense à tous les gens qui nous entourent et qui ne reconnaissent pas leurs erreurs. Lui reconnaît son erreur, il est dur avec lui et il décide de sauver sa fille suivante, qui a seize ans quand on la rencontre et il veut qu’elle aille à l’école. Et c’est là que les ennuis commencent pour lui parce qu’en fait, il est contre les traditions. Donc en fait il est la honte de sa famille, ses frères, de ses amis. Il est exclu, rejetés et on sait que pour un être humain, ce qui a de pire, c’est le rejet. Et puis surtout, il a des ennemis, c’est la famille adverse, si j’ose dire, c’est à dire ceux à qui il a promis sa fille parce qu’il a reçu des cadeaux. Et malgré tout ça, il va continuer, nous, on le voit à la sortie de l’église, personne ne l’écoute vraiment, il explique que ce n’est pas bien de marier son enfant si jeune, etc. On a l’habitude de retourner voir les gens qu’on a filmés quatre ou cinq ans plus tard pour leur montrer les films, voir s’ils se reconnaissent. Et cette fois, Adriana Karembeu a voulu absolument y aller, avec mon équipe. Et puis, à un moment donné, elle lui pose la question suivante, elle lui dit “Mais Cissé, bon, nous, on sait ce que tu nous as apporté et on va parler de ça ensemble. Mais nous, notre rencontre, qu’est-ce que ça t’a apporté ?”. Et là, vraiment, très naturellement, sans mettre d’effet, etc, j’essaie de le dire aussi rapidement que lui. Il dit “En fait, avant de vous connaître, je ne savais pas que j’étais courageux”, et il a réussi à éradiquer le fléau. Et moi, je ne savais pas qu’en portant notre regard sur quelqu’un, on pouvait lui donner de la force. On peut changer la vie des gens juste en leur apportant de l’attention. C’est ça que ça m’a appris. Donc cette rencontre, elle est puissante parce que c’est l’arbre au milieu du torrent, c’est-à-dire que ce n’est pas la meilleure des traditions, le mariage arrangé à l’âge de douze ans. D’ailleurs, tout ce qui se passe là-bas, ça tombe sous le coup de la loi, parce que c’est un enlèvement, quand il s’agit de la fille, parce qu’elle ne sait pas, le jour même, on lui dit, c’est la fête, c’est ton mariage, ça veut dire quoi ? C’est qu’on t’arrache à ta famille, donc c’est un enlèvement. Et puis on peut parler de viol, et on peut même parler de pédophilie, donc ça fait beaucoup et donc ce sont des traumas hallucinants. Et de voir que ça, c’est perpétuent pour des raisons de tradition. C’est étonnant. Donc c’est un très bon souvenir parce que cet homme avait un sourire extrêmement lumineux. Il me donnait beaucoup d’espoir et donc même dans cette espèce de noirceur, il me donne foi en l’humanité.

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