Vlan #108 Pourquoi la culpabilisation écologique ne fonctionne pas? avec Albert Moukheiber

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GRÉGORY : Tu es docteur en neurosciences et psychologue, et tu as créé un laboratoire qui s’appelle Acte qui réfléchit aux freins comportementaux face à la crise climatique. J’avais envie de parler de ça avec toi parce que je pense que ça a créé pas mal d’anxiété et de questionnements chez tout le monde. On a tous des contradictions permanentes sur nos modes de vie. On ne sait pas ce qu’on doit faire, on ne sait pas comment le faire, etc, moi, ce que j’ai lu dans plusieurs bouquins ou autres, c’est qu’on avait plusieurs freins automatiques, par exemple sur la distance dans le temps, mais aussi la distance géographique. On essaie de mettre pleins de freins pour surtout pas changer notre mode de vie finalement, ou en tout cas les choses qui nous importent vraiment. Toi, qu’est-ce qui t’a donné envie de t’intéresser à ce sujet-là en particulier ?

ALBERT : Je m’intéresse déjà à comment on acquiert de la connaissance, comment on sait ce qu’on sait et ce qu’on appelle la flexibilité mentale, c’est-à-dire quelles sont les choses qui peuvent promouvoir, changer d’avis et les choses qui peuvent nous empêcher de changer d’avis selon les informations qui nous viennent du monde. D’autre part, je suis sensible, j’imagine, comme tout le monde, à l’urgence climatique ou en tout cas j’espère, comme tout le monde. Il y a un ami à moi qui est chercheur qui s’appelle Thibaut, il s’intéressait énormément à la question climatique, et il m’a proposé de fonder ce labo. Il m’a demandé si je voulais me joindre à lui et j’étais partant. On a fait Acte, qui est un peu le raisonnement critique appliqué au réchauffement climatique. D’un côté, on étudie les freins et de l’autre côté, on étudie qu’est-ce qui peut promouvoir l’action. Le but, ce n’est pas juste de comprendre pourquoi on ne fait rien, mais aussi de comprendre qu’est-ce qu’on pourrait faire pour que ça bouge.

GRÉGORY : Ce que tu dis, c’est de dire, il ne faut pas faire confiance justement à son cerveau. Quel impact ça a sur cette question climatique ? Par où on doit le prendre ? Qu’est-ce qu’on fait et qu’est-ce qu’on ne fait pas ? J’imagine que toi, tu as beaucoup bossé là-dessus.

ALBERT : Ce n’est pas qu’il ne faut pas faire confiance à son cerveau, mais on ne peut pas se faire confiance tout le temps. Le manque de confiance n’est pas un manque de confiance en soi. C’est : ne pas croire mes habitudes, ne pas croire mes pensées, ne pas croire mes émotions, ne pas croire mes intuitions. Paradoxalement, il faut avoir confiance en soi pour se permettre cette vue de la vulnérabilité vis-à-vis de soi. Effectivement, pour le climat, par exemple, c’est un sujet très complexe. Ce n’est pas par hasard que ça fait 30 ans qu’on essaye de convaincre tout le monde. On a eu beaucoup de mal à convaincre tout le monde que c’est vrai. Maintenant, il faut convaincre que c’est causé par l’homme parce qu’il y a beaucoup de gens qui ne sont pas climato sceptiques, mais qui disent oui, il y a un réchauffement climatique, mais ce n’est pas l’homme. Il y a un énorme travail de pédagogie quelque part. Comment est ce qu’on agit dans une situation ? Imaginez que vous êtes exposé à une information, elle devient une connaissance, quand vous interagissez avec une connaissance pendant un moment, elle devient une croyance. Une fois qu’une croyance est quelque part centrale pour vous, ça peut devenir une intention : je veux faire quelque chose. Une fois qu’on a l’intention, on peut passer à l’action. Par exemple, j’arrête de prendre l’avion. Je vais entre cette courbe de connaissances/croyances, croyances/intentions, intentions/actions. Il y a plusieurs pièges qui peuvent venir se loger. Par exemple, dans le cas des climatosceptiques, ils peuvent avoir été exposés à de fausses connaissances ou être exposés à de bonnes connaissances qu’ils intègrent de manière folle et fausse qui les pousse à avoir une fausse croyance entre l’intention et l’action. Par exemple, il y a ce qu’on appelle le “through intention action” où je veux faire quelque chose, mais je ne passe jamais à l’action. Par exemple, je peux dire je vais faire plus de sport, prendre mon abonnement à la salle de sport et ne pas y aller, ou je veux faire un régime et ne pas le faire. Un mot qu’on utilise de la vie courante qui décrit ça, c’est la procrastination. Face au réchauffement climatique, il y a des obstacles quasiment à chaque étape de ce processus. Au niveau des connaissances, beaucoup de gens ne savent pas la différence entre climat et météo. Par exemple, vous dites le réchauffement climatique, mais il fait froid, c’est ce que Trump a dit, c’est quand même le président de République. Entre croyance et intention, il y a plusieurs freins, par exemple, je peux me dire ok, moi, je ne peux rien faire, ce n’est pas comme si moi, avec mon petit verre en plastique, je vais faire une différence, donc ça ne devient pas une intention. Entre intention et action, on peut avoir aussi un grand trou parce que, par exemple, je veux moins manger de viande, parce que je sais que la viande, ce n’est pas bien pour le climat. Mais au boulot où je suis à la cantine, il n’y a pas de plats végétariens. Du coup, je ne peux pas passer à l’action parce que mon intention est très difficile à mettre en place. Je ne vais pas partir de mon bureau à chaque fois pour aller à une cantine ou préparer le soir mes plats parce que je n’ai pas le temps, parce que j’ai des enfants. Il y a une sorte de réalisme. Mais aussi, il ne faut pas oublier que la société, le système dans lequel on vit, ne va pas promouvoir énormément l’action, parce que c’est un système qui est quand même axé autour de la consommation, de la production, etc, ce n’est pas spécifique au climat. Par exemple, pour prendre un sujet beaucoup plus simple, c’est la clope. La clope, il n’y a plus vraiment de débat que c’est mauvais, que ce n’est pas bien pour la santé, ni pour les enfants, ni pour personne. Mais il y a encore des fumeurs dans le monde et ça, ça touche à la santé de l’individu, donc on ne peut même pas agir. Il y a un truc qui s’appelle la diffusion de responsabilité avec pourquoi moi pas les autres avec la clope. Je ne peux pas dire pourquoi moi, je dois arrêter de fumer, pas les autres, parce que ce sont mes poumons, mais on le fait quand même. L’apport des neurosciences, ou plutôt des sciences cognitives récemment, c’est d’entériner le fait qu’on est une espèce qui est relativement irrationnelle, qu’on n’agit pas de manière rationnelle. On pèse les pour et le contre évidemment, mais les pour sont beaucoup plus grands que les contre sur les clopes, et pourtant ça ne marche pas comme ça vu qu’il y a encore beaucoup de fumeur.

La suite à écouter sur Vlan !

Description de l’épisode

Albert Moukheiber est docteur en neuroscience et psychologue, il est aussi le cofondateur de Acte, un laboratoire de recherche qui essaie de comprendre nos biais cognitifs qui explique notre relative inaction face à la crise écologique.

Nous avons tou.te.s développé une conscience écologique et autour de moi beaucoup de personnes se posent la question de ce qu’ils pourraient faire.

Chaque jour nous avons des informations qui nous expliquent que nous allons dans le mur et pourtant nous sommes une majorité à continuer à vivre notre vie et à modifier à la marge nos actions. Ici nous allons trier nos déchets, là nous allons manger moins de viande ou prendre un vélo pour nous déplacer mais il est évident que ca ne suffit pas.

Ce qui est aussi intéressant, c’est que la culpabilisation créé un parfois un rejet chez une partie des citoyens.

Avec Albert nous discutons de toutes les manières dont nous justifions notre inaction parfois par des éléments très concrets et réél, parfois moins.

Albert est très accessible et hyper intéressant. Tout du moins, je l’ai trouvé passionnant, d’autant plus sur un sujet qui me passionne et sur des questions que je me pose moi même bien sur.

Car n’en doutez pas, j’en suis moi même au même point et je n’ai de leçon à donner à personne en la matière.

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Transcription partielle de l’épisode

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GRÉGORY : Tu es docteur en neurosciences et psychologue, et tu as créé un laboratoire qui s’appelle Acte qui réfléchit aux freins comportementaux face à la crise climatique. J’avais envie de parler de ça avec toi parce que je pense que ça a créé pas mal d’anxiété et de questionnements chez tout le monde. On a tous des contradictions permanentes sur nos modes de vie. On ne sait pas ce qu’on doit faire, on ne sait pas comment le faire, etc, moi, ce que j’ai lu dans plusieurs bouquins ou autres, c’est qu’on avait plusieurs freins automatiques, par exemple sur la distance dans le temps, mais aussi la distance géographique. On essaie de mettre pleins de freins pour surtout pas changer notre mode de vie finalement, ou en tout cas les choses qui nous importent vraiment. Toi, qu’est-ce qui t’a donné envie de t’intéresser à ce sujet-là en particulier ?

ALBERT : Je m’intéresse déjà à comment on acquiert de la connaissance, comment on sait ce qu’on sait et ce qu’on appelle la flexibilité mentale, c’est-à-dire quelles sont les choses qui peuvent promouvoir, changer d’avis et les choses qui peuvent nous empêcher de changer d’avis selon les informations qui nous viennent du monde. D’autre part, je suis sensible, j’imagine, comme tout le monde, à l’urgence climatique ou en tout cas j’espère, comme tout le monde. Il y a un ami à moi qui est chercheur qui s’appelle Thibaut, il s’intéressait énormément à la question climatique, et il m’a proposé de fonder ce labo. Il m’a demandé si je voulais me joindre à lui et j’étais partant. On a fait Acte, qui est un peu le raisonnement critique appliqué au réchauffement climatique. D’un côté, on étudie les freins et de l’autre côté, on étudie qu’est-ce qui peut promouvoir l’action. Le but, ce n’est pas juste de comprendre pourquoi on ne fait rien, mais aussi de comprendre qu’est-ce qu’on pourrait faire pour que ça bouge.

GRÉGORY : Ce que tu dis, c’est de dire, il ne faut pas faire confiance justement à son cerveau. Quel impact ça a sur cette question climatique ? Par où on doit le prendre ? Qu’est-ce qu’on fait et qu’est-ce qu’on ne fait pas ? J’imagine que toi, tu as beaucoup bossé là-dessus.

ALBERT : Ce n’est pas qu’il ne faut pas faire confiance à son cerveau, mais on ne peut pas se faire confiance tout le temps. Le manque de confiance n’est pas un manque de confiance en soi. C’est : ne pas croire mes habitudes, ne pas croire mes pensées, ne pas croire mes émotions, ne pas croire mes intuitions. Paradoxalement, il faut avoir confiance en soi pour se permettre cette vue de la vulnérabilité vis-à-vis de soi. Effectivement, pour le climat, par exemple, c’est un sujet très complexe. Ce n’est pas par hasard que ça fait 30 ans qu’on essaye de convaincre tout le monde. On a eu beaucoup de mal à convaincre tout le monde que c’est vrai. Maintenant, il faut convaincre que c’est causé par l’homme parce qu’il y a beaucoup de gens qui ne sont pas climato sceptiques, mais qui disent oui, il y a un réchauffement climatique, mais ce n’est pas l’homme. Il y a un énorme travail de pédagogie quelque part. Comment est ce qu’on agit dans une situation ? Imaginez que vous êtes exposé à une information, elle devient une connaissance, quand vous interagissez avec une connaissance pendant un moment, elle devient une croyance. Une fois qu’une croyance est quelque part centrale pour vous, ça peut devenir une intention : je veux faire quelque chose. Une fois qu’on a l’intention, on peut passer à l’action. Par exemple, j’arrête de prendre l’avion. Je vais entre cette courbe de connaissances/croyances, croyances/intentions, intentions/actions. Il y a plusieurs pièges qui peuvent venir se loger. Par exemple, dans le cas des climatosceptiques, ils peuvent avoir été exposés à de fausses connaissances ou être exposés à de bonnes connaissances qu’ils intègrent de manière folle et fausse qui les pousse à avoir une fausse croyance entre l’intention et l’action. Par exemple, il y a ce qu’on appelle le “through intention action” où je veux faire quelque chose, mais je ne passe jamais à l’action. Par exemple, je peux dire je vais faire plus de sport, prendre mon abonnement à la salle de sport et ne pas y aller, ou je veux faire un régime et ne pas le faire. Un mot qu’on utilise de la vie courante qui décrit ça, c’est la procrastination. Face au réchauffement climatique, il y a des obstacles quasiment à chaque étape de ce processus. Au niveau des connaissances, beaucoup de gens ne savent pas la différence entre climat et météo. Par exemple, vous dites le réchauffement climatique, mais il fait froid, c’est ce que Trump a dit, c’est quand même le président de République. Entre croyance et intention, il y a plusieurs freins, par exemple, je peux me dire ok, moi, je ne peux rien faire, ce n’est pas comme si moi, avec mon petit verre en plastique, je vais faire une différence, donc ça ne devient pas une intention. Entre intention et action, on peut avoir aussi un grand trou parce que, par exemple, je veux moins manger de viande, parce que je sais que la viande, ce n’est pas bien pour le climat. Mais au boulot où je suis à la cantine, il n’y a pas de plats végétariens. Du coup, je ne peux pas passer à l’action parce que mon intention est très difficile à mettre en place. Je ne vais pas partir de mon bureau à chaque fois pour aller à une cantine ou préparer le soir mes plats parce que je n’ai pas le temps, parce que j’ai des enfants. Il y a une sorte de réalisme. Mais aussi, il ne faut pas oublier que la société, le système dans lequel on vit, ne va pas promouvoir énormément l’action, parce que c’est un système qui est quand même axé autour de la consommation, de la production, etc, ce n’est pas spécifique au climat. Par exemple, pour prendre un sujet beaucoup plus simple, c’est la clope. La clope, il n’y a plus vraiment de débat que c’est mauvais, que ce n’est pas bien pour la santé, ni pour les enfants, ni pour personne. Mais il y a encore des fumeurs dans le monde et ça, ça touche à la santé de l’individu, donc on ne peut même pas agir. Il y a un truc qui s’appelle la diffusion de responsabilité avec pourquoi moi pas les autres avec la clope. Je ne peux pas dire pourquoi moi, je dois arrêter de fumer, pas les autres, parce que ce sont mes poumons, mais on le fait quand même. L’apport des neurosciences, ou plutôt des sciences cognitives récemment, c’est d’entériner le fait qu’on est une espèce qui est relativement irrationnelle, qu’on n’agit pas de manière rationnelle. On pèse les pour et le contre évidemment, mais les pour sont beaucoup plus grands que les contre sur les clopes, et pourtant ça ne marche pas comme ça vu qu’il y a encore beaucoup de fumeur.

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