[BEST-OF] Vous ne devez pas faire confiance à vos peurs avec Albert Moukheiber

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[BEST-OF] Vous ne devez pas faire confiance à vos peurs avec Albert Moukheiber
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GRÉGORY : Je suis ravie de te recevoir une seconde fois sur ce podcast. Cette fois-ci, on va parler des peurs et des peurs et en particulier de la rationalité, des peurs. C’est vrai qu’on peut avoir tendance à avoir peur des choses qui ne sont pas nécessairement les plus risquées et, à l’inverse, ne pas avoir peur de choses qui sont extrêmement risquées. Je pense que l’exemple le plus connu, c’est sans doute la peur des requins dans la mer, alors qu’en fait il y a très peu de gens qui se font tuer par des requins et en même temps des gens qui conduisent un peu n’importe comment sur la route sans se rendre compte qu’en fait potentiellement ils risquent leur vie tous les jours. Comment on explique cette peur qui est décorrélée de la réalité ?

ALBERT : En fait, ce n’est pas une question juste de peur, c’est plutôt une question d’évaluation du risque. On est relativement assez mauvais pour évaluer les risques en général pour plusieurs raisons. On n’est pas ce qu’on appelle des homo œconomicus, on ne mesure pas des choses de manière objective, on mesure les choses plutôt de manière relative. Notre cerveau, souvent, fonctionne de manière comparative et du coup, plusieurs filtres viennent s’intégrer dans les équations d’évaluation de risques qu’on fait dans notre cerveau. Il y a un chercheur qui s’appelle Gerd Gigerenzer, qui a beaucoup travaillé sur ces sujets et j’ai donné l’exemple des requins, mais lui, il donne l’exemple des avions et des voitures par exemple. Tout le monde se souvient des attaques du 11 septembre sur le World Trade Center, et après le 11 septembre, il y a eu une sorte de chute drastique de de vols d’Américains qui utilisent des avions pour voyager entre, par exemple, de New York à Washington, les gens disaient non, non, je ne vais pas prendre l’avion puisqu’il y a eu un attentat terroriste, je vais prendre ma voiture et ça a causé beaucoup plus de morts, d’accidents de la route, alors que par exemple, l’avion est beaucoup plus sécurisé. En tout cas, il y a beaucoup moins de risques de prendre l’avion que de prendre la voiture. Gigerenzer pose une question que je trouve très cool, il dit combien est-ce que vous pensez que vous devez conduire de kilomètres en voiture pour que les risques soient les mêmes que pour prendre un avion ? Dans ces conférences, les gens donnent des 1000 kilomètres, 5000 kilomètres, deux fois le tour de la planète, etc. Et sa réponse, c’est genre 10/12 kilomètres, en fait le trajet pour aller de chez vous à l’aéroport. Dans ce cas-là, c’est parce qu’il y a eu ce qu’on appelle un biais de récence, il y a eu l’attentat dans un avion, donc on se dit on va éviter l’avion parce que c’est ce dont on se souvient. Et du coup, il y a plein plein de facteurs comme ça qui viennent biaiser la manière dont on évalue le risque. Ça peut être des biais de récence, ça peut être des biais de proximité, mais est ce que je suis proche d’une maladie, combien de personnes peuvent mourir, etc. Par exemple, je ne suis pas rentré dans le débat de l’énergie nucléaire versus les énergies fossiles, mais on a beaucoup plus peur d’un réacteur nucléaire qui a un problème et tue beaucoup de gens vite, que des milliers de morts qui meurent lentement de la pollution due à la production d’énergie fossile. Dans ce cas-là, c’est parce qu’il y a beaucoup de gens qui meurent d’une même raison, mais de manière étalée on le voit moins que, par exemple, s’il y a beaucoup de gens qui meurent d’un coup ensemble, même si la cause qui est en train de tuer beaucoup de gens de manière étalée peut être beaucoup plus létale en valeur absolue que quelque chose qui tue beaucoup de gens d’un coup. C’est pour ça que par exemple, dans l’expérience qui est décrite sur les avions, explique qu’après le 11 septembre, on a changé tellement de lois, on a mis des scanners dans les aéroports, on a même changé certaines libertés fondamentales, etc, pour quelque chose qui a tué beaucoup de gens d’un coup, donc les attentats terroristes, mais on n’a pas du tout ces mêmes réactions d’urgence sur des choses qui tuent beaucoup plus de gens, mais de manière beaucoup plus étalée comme le réchauffement climatique ou la clope ou les maladies cardiovasculaires.

GRÉGORY : Complètement. Est-ce qu’il y a un rapport entre nos deux cerveaux, c’est-à-dire le cerveau qu’on a dans notre tête, et puis le cerveau qu’on a dans notre ventre, c’est-à-dire entre le rapport émotionnel et le rapport rationnel, est-ce que ça, ça peut avoir un impact ? Parce que j’ai la sensation que l’émotionnel prend le pas parfois sur le rationnel.

ALBERT : Je vais reformuler un peu la question parce qu’une des choses pour lesquelles je me bat, c’est de ne plus séparer la rationalité et l’émotionnel. C’est une sorte de division un peu stéréotypée. Je travaille sur un texte sur le sujet, donc je suis en plein dedans. En fait, nos émotions sont comme une boussole pour notre rationalité. C’est juste que quand on pense à l’émotion, on pense à certains types d’émotions qui effectivement peuvent biaiser ce qu’on considère comme notre rationalité, dans ce cas-là, sans définir le mot rationalité, c’est-à-dire d’arriver à un risque absolu au lieu d’être tout le temps dans un risque relatif. Et effectivement, il y a certaines émotions comme la peur, comme la récence, comme la quantité, etc, qui peuvent nous impacter. Mais on a besoin de nos émotions pour aussi être rationnel. Ça dépend juste de quelle émotion est ce que j’utilise. Si par exemple, imagine que tu n’as pas d’émotions, je te dis ce truc “si tu le fais, tu vas mourir”, bah tu n’as pas l’émotion de la peur qui va te dire non, ne le fait pas. Donc, tu ne vas pas non plus être plus rationnel. Du coup, la question devient quelle émotion module notre raisonnement, de quelle manière ? Et effectivement, par exemple, les peurs irrationnelles ou des biais récents, nous module beaucoup plus que quelque chose qui s’est passé il y a longtemps alors qu’il est peut-être plus dangereux. Je vais avoir beaucoup moins peur d’Ebola si je vis en France que si je vis dans une partie du monde ou il y a Ebola. Et dans ce cas-là, effectivement, certaines de nos émotions peuvent venir impacter négativement notre capacité à évaluer le risque de manière qui soit appropriée au risque réel.

La suite a écouté sur VLAN !

Description de l’épisode

Albert Moukeihber est neuroscientifique et psychologue libanais, je l’ai déjà reçu sur ce podcast pour parler de la culpabilisation écologique. Et aujourd’hui nous parlons de nos peurs mais surtout notre incapacité très souvent à bien évaluer le risque. Est-ce que vous vous êtes déjà demandé comment votre cerveau fonctionnait et processait l’information pour nous indiquer ce qui est risqué ou ce qui ne l’est pas? Pourquoi les jeunes prennent plus de risques que les personnes plus âgées?
En d’autres mots nous avons peur des “mauvaises choses”. Notre cerveau ne mesure pas les choses de manière objective mais plutôt comparative mais de nombreux filtres viennent s’intégrer dans notre calcul du risque.
Albert nous explique comment la neuroscience a réussi à prouver l’évolution de notre cerveau et notre aversion au risque mais aussi notre incapacité à traiter de la statistique, la mise à distance de l’information .

Cela peut s’appliquer pour nos peurs du quotidien mais également sur le Covid et le vaccin ou encore sur la pollution, bref sur un peu près tous les sujets il est important de réaliser que notre cerveau nous joue des tours et que nous avons de nombreux biais qui viennent perturber notre jugement.
Cela me fait naturellement pensé à l’épisode 87 avec le thérapeute Angelo Foley qui tient le compte “balance ta peur”.

Personnellement j’adore les épisodes qui permettent de mieux comprendre comment notre cerveau et notre psychologie fonctionne, d’ailleurs, j’ai eu l’idée de cet épisode en écoutant cet épisode du podcast Hidden Brain que je recommande souvent si vous parlez anglais.

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Transcription partielle de l’épisode

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GRÉGORY : Je suis ravie de te recevoir une seconde fois sur ce podcast. Cette fois-ci, on va parler des peurs et des peurs et en particulier de la rationalité, des peurs. C’est vrai qu’on peut avoir tendance à avoir peur des choses qui ne sont pas nécessairement les plus risquées et, à l’inverse, ne pas avoir peur de choses qui sont extrêmement risquées. Je pense que l’exemple le plus connu, c’est sans doute la peur des requins dans la mer, alors qu’en fait il y a très peu de gens qui se font tuer par des requins et en même temps des gens qui conduisent un peu n’importe comment sur la route sans se rendre compte qu’en fait potentiellement ils risquent leur vie tous les jours. Comment on explique cette peur qui est décorrélée de la réalité ?

ALBERT : En fait, ce n’est pas une question juste de peur, c’est plutôt une question d’évaluation du risque. On est relativement assez mauvais pour évaluer les risques en général pour plusieurs raisons. On n’est pas ce qu’on appelle des homo œconomicus, on ne mesure pas des choses de manière objective, on mesure les choses plutôt de manière relative. Notre cerveau, souvent, fonctionne de manière comparative et du coup, plusieurs filtres viennent s’intégrer dans les équations d’évaluation de risques qu’on fait dans notre cerveau. Il y a un chercheur qui s’appelle Gerd Gigerenzer, qui a beaucoup travaillé sur ces sujets et j’ai donné l’exemple des requins, mais lui, il donne l’exemple des avions et des voitures par exemple. Tout le monde se souvient des attaques du 11 septembre sur le World Trade Center, et après le 11 septembre, il y a eu une sorte de chute drastique de de vols d’Américains qui utilisent des avions pour voyager entre, par exemple, de New York à Washington, les gens disaient non, non, je ne vais pas prendre l’avion puisqu’il y a eu un attentat terroriste, je vais prendre ma voiture et ça a causé beaucoup plus de morts, d’accidents de la route, alors que par exemple, l’avion est beaucoup plus sécurisé. En tout cas, il y a beaucoup moins de risques de prendre l’avion que de prendre la voiture. Gigerenzer pose une question que je trouve très cool, il dit combien est-ce que vous pensez que vous devez conduire de kilomètres en voiture pour que les risques soient les mêmes que pour prendre un avion ? Dans ces conférences, les gens donnent des 1000 kilomètres, 5000 kilomètres, deux fois le tour de la planète, etc. Et sa réponse, c’est genre 10/12 kilomètres, en fait le trajet pour aller de chez vous à l’aéroport. Dans ce cas-là, c’est parce qu’il y a eu ce qu’on appelle un biais de récence, il y a eu l’attentat dans un avion, donc on se dit on va éviter l’avion parce que c’est ce dont on se souvient. Et du coup, il y a plein plein de facteurs comme ça qui viennent biaiser la manière dont on évalue le risque. Ça peut être des biais de récence, ça peut être des biais de proximité, mais est ce que je suis proche d’une maladie, combien de personnes peuvent mourir, etc. Par exemple, je ne suis pas rentré dans le débat de l’énergie nucléaire versus les énergies fossiles, mais on a beaucoup plus peur d’un réacteur nucléaire qui a un problème et tue beaucoup de gens vite, que des milliers de morts qui meurent lentement de la pollution due à la production d’énergie fossile. Dans ce cas-là, c’est parce qu’il y a beaucoup de gens qui meurent d’une même raison, mais de manière étalée on le voit moins que, par exemple, s’il y a beaucoup de gens qui meurent d’un coup ensemble, même si la cause qui est en train de tuer beaucoup de gens de manière étalée peut être beaucoup plus létale en valeur absolue que quelque chose qui tue beaucoup de gens d’un coup. C’est pour ça que par exemple, dans l’expérience qui est décrite sur les avions, explique qu’après le 11 septembre, on a changé tellement de lois, on a mis des scanners dans les aéroports, on a même changé certaines libertés fondamentales, etc, pour quelque chose qui a tué beaucoup de gens d’un coup, donc les attentats terroristes, mais on n’a pas du tout ces mêmes réactions d’urgence sur des choses qui tuent beaucoup plus de gens, mais de manière beaucoup plus étalée comme le réchauffement climatique ou la clope ou les maladies cardiovasculaires.

GRÉGORY : Complètement. Est-ce qu’il y a un rapport entre nos deux cerveaux, c’est-à-dire le cerveau qu’on a dans notre tête, et puis le cerveau qu’on a dans notre ventre, c’est-à-dire entre le rapport émotionnel et le rapport rationnel, est-ce que ça, ça peut avoir un impact ? Parce que j’ai la sensation que l’émotionnel prend le pas parfois sur le rationnel.

ALBERT : Je vais reformuler un peu la question parce qu’une des choses pour lesquelles je me bat, c’est de ne plus séparer la rationalité et l’émotionnel. C’est une sorte de division un peu stéréotypée. Je travaille sur un texte sur le sujet, donc je suis en plein dedans. En fait, nos émotions sont comme une boussole pour notre rationalité. C’est juste que quand on pense à l’émotion, on pense à certains types d’émotions qui effectivement peuvent biaiser ce qu’on considère comme notre rationalité, dans ce cas-là, sans définir le mot rationalité, c’est-à-dire d’arriver à un risque absolu au lieu d’être tout le temps dans un risque relatif. Et effectivement, il y a certaines émotions comme la peur, comme la récence, comme la quantité, etc, qui peuvent nous impacter. Mais on a besoin de nos émotions pour aussi être rationnel. Ça dépend juste de quelle émotion est ce que j’utilise. Si par exemple, imagine que tu n’as pas d’émotions, je te dis ce truc “si tu le fais, tu vas mourir”, bah tu n’as pas l’émotion de la peur qui va te dire non, ne le fait pas. Donc, tu ne vas pas non plus être plus rationnel. Du coup, la question devient quelle émotion module notre raisonnement, de quelle manière ? Et effectivement, par exemple, les peurs irrationnelles ou des biais récents, nous module beaucoup plus que quelque chose qui s’est passé il y a longtemps alors qu’il est peut-être plus dangereux. Je vais avoir beaucoup moins peur d’Ebola si je vis en France que si je vis dans une partie du monde ou il y a Ebola. Et dans ce cas-là, effectivement, certaines de nos émotions peuvent venir impacter négativement notre capacité à évaluer le risque de manière qui soit appropriée au risque réel.

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