[BEST-OF] Comprendre le retour du magique, du sensible et de l’invisible avec Michel Maffesoli

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[BEST-OF] Comprendre le retour du magique, du sensible et de l'invisible avec Michel Maffesoli
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GRÉGORY : Toujours un plaisir de vous recevoir. Vous êtes déjà arrivé deux fois sur ce podcast, mais cette fois-ci, on va parler de sacré. Et c’est intéressant parce que vous venez d’écrire un livre sur le sacré. J’ai l’impression que c’est un sujet que les penseurs, les chercheurs commencent à analyser vraiment. Quand ils arrivent à analyser pas mal de choses Finalement, ils arrivent au sacré. Alors je voudrais savoir pourquoi le sacré ? Pourquoi maintenant ?

MICHEL : Pour ce qui me concerne, moi, c’est une vieille préoccupation. C’est-à-dire que dans plusieurs de mes livres antérieurement, je rendais attentifs au fait qu’il y ait le resurgissement de ce qu’on appelle “sacré”. Ce rapport, disons à l’invisible, pour comprendre le visible. Voilà ma définition. Et donc, j’avais décidé que vers la fin de ma vie, je me mettrais à écrire sur le sacré. Et c’est en effet, ça va être l’avant-dernier livre, j’en ferai un autre, mais c’est tout. Ça culmine un peu de mon travail dans cette recherche-là. Alors le pourquoi ? Pourquoi, c’est toujours difficile de répondre. On sait le “comment”, moi, je n’ai jamais voulu dire le “pourquoi”. Mais enfin, en gros, vous savez que de mon point de vue, on est en train de passer d’une époque à une autre époque dans le sens du terme, l’époque moderne, même si l’oligarchie au pouvoir veut maintenir cette époque moderne et les valeurs de la modernité, moi, je pense que globalement, c’était en train de s’effilocher. Il y a un délitement de cette modernité et l’émergence d’autres choses. Quand on regarde sur la longue durée les histoires humaines, on voit ce processus de balançoire pendant au moins trois siècles, domine quelque chose, et puis, après, ce qu’on avait oublié, ce qu’on avait laissé de côté resurgit. Et en bref, la modernité, je m’appuie ici sur l’œuvre de Max Weber, par exemple, dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, il montre que ce qui été le fil directeur du monde de la Réforme protestante et ce qui est pour lui être le fondement même du capitalisme, c’est-à-dire la société moderne. Eh bien, c’était la rationalisation généralisée de l’existence. Voilà ce qu’il dit, aboutissant, selon une belle expression, qu’il faut dire et redire, aboutissant au fameux désenchantement du monde. Voilà. Donc, je dirais, il y a eu une démagification du monde qui s’est opérée par le rouleau compresseur de la raison qui a abouti au contrat social, ces institutions, Michel Foucault l’a bien montré, qui s’élabore au XIXᵉ siècle. Et ce fut un rouleau compresseur. Je fais exprès de l’employer cette expression, ce sont ceux qui avaient évacué encore une fois tous ces éléments un peu invisibles, le sacré sous ses diverses modulations, etc. Et mon hypothèse est dans le mouvement de balancier que je viens de dire. Eh bien, c’est que toute une série d’indices, d’observations que l’on peut faire, et puis ce serait bien qu’on en parle d’ailleurs de manière concrète, de cela, je dis bien indice index, ce qui montre, pour moi, ce qu’il montre, il y a un retour de cet élément qu’on avait laissé de côté. J’ai résumé cela en disant sacré, mais ça pourrait être le divin, ça pourrait être l’invisible, ça pourrait être la déité. Peu importe. Moi, je n’ai pas de dessus de fétichisme du concept. Mais voilà. Voilà ce qui a mu cette recherche et ce livre qui a pour titre La nostalgie du sacré, mais qui rend attentif au fait que tout ce que dans notre progressisme un peu benêt, notre progressisme qui est devenu de plus en plus destructeur, le saccage écologique le montre bien. Eh bien, il y a retour de ces valeurs beaucoup plus terriennes, ces valeurs encore une fois enracinées. Si je résume et termine là-dessus, ce qui a prévalu dans la modernité, c’est Apollon, la raison claire. Pour moi, ce qui est en train de prévaloir, ce fut un de mes livres il y a fort longtemps, c’est Dionysos. Dionysos, c’est un autre rapport, encore une fois à l’invisible, qui s’opère. 

GRÉGORY : Et alors, vous utilisez aussi un mot, il me semble, dans votre quatrième de couverture qu’est le sensible. C’est intéressant parce qu’en fait le sensible, il y a de plus en plus de personnes qui commencent à en parler, qui commencent à toucher ça. Il y a cette féminisation du monde aussi dont vous parlez, dont les gens parlent de manière plus générale, ça commence à se répandre j’ai envie de dire dans la société. Moi, c’est vrai qu’on m’a souvent dit d’ailleurs que sur ce pas de cas, je vais traiter jamais de religion. Et c’est vrai que quelque part, c’est un choix, mais quelque part, ça ne me semblait pas nécessaire. Je parle de sacré, mais pas de religion. Comment on fait peut-être le lien entre sensibles, religions, sacrées ? Ça peut être intéressant de voir ça.

MICHEL : Bon, un des éléments justement de quand j’ai dit tout à l’heure le rouleau compresseur du rationalisme, c’est que, en quelque sorte, on a gardé, j’ai bien dit, qu’une conception rationnelle du monde, le rationalisme. Ce qui fut la grande marque d’ailleurs de la philosophie ou de la psychanalyse. Marx et Freud, au XIXᵉ siècle, c’était la séparation, séparation du corps, de l’esprit, séparation de la culture et de la nature. Freud reprend cette idée.  On n’a plus cette conception holistique, c’est la coupure ou la séparation. Moi, pour ma part depuis longtemps, d’ailleurs, j’ai écrit un de mes livres qui s’appelle “Éloge de la raison sensible” et en gros, une de mes hypothèses, c’est de voir qu’est en train de revenir, cette entièreté de l’être, si on le dit en des termes un peu plus sophistiqués, mais qui est de plus en plus utilisé une conception holistique du monde. C’est-à-dire non pas cette séparation, mais au contraire montrer que bon, il y a ça et ça. Alors il se trouve que depuis, c’est un peu curieux ce que je vais dire, mais depuis quelque temps, je m’intéresse beaucoup à un philosophe du XIIIᵉ siècle, un grand théologien qui est Saint Thomas d’Aquin. Saint Thomas d’Aquin s’appuyait sur l’œuvre d’Aristote pour montrer, en français la traduction, c’est “Il n’y a rien dans l’intellect qui n’est d’abord été dans les sens”, pour montrer en quelque sorte cette dimension holistique, une conception que les philosophes appellent réalistes. Mais le réalisme, c’est cette conjonction. Alors voilà, moi ça me paraît être cet élément qui, qui s’exprime dans le sacré, c’est-à-dire le terme que j’emploie souvent dans mon livre, c’est l’incarnation à l’image du mystère de l’incarnation dans la théologie chrétienne et catholique, l’incarnation, c’est-à-dire quand l’Esprit devient chair. C’est ça l’idée d’incarnation. Et voilà pour moi un des éléments forts de cette post-modernité et un élément fort, encore une fois, de cette interaction, réversibilité, peu importe les termes qu’on va employer, qui existe encore une fois entre la matérialité et la spiritualité. Voilà, et c’est ce qui me paraît être une des grandes manifestations contemporaines, en particulier chez les jeunes générations qui tout à la fois sont attentives au corps et en même temps à l’esprit. 

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Description de l’épisode

Michel Maffesoli est un sociologue passionnant que j’ai déjà invité 2 fois sur mon podcast. Plus je le découvre plus j’adhère à ses thèses et comme beaucoup de chercheurs à la fin de leur carrière, il a décidé d’écrire à ce qui compte le plus finalement: le sacré, le magique, le spirituel, bref l’invisible. Il est connu (et décrié) pour s’être intéressé très tôt à ce sujet mais il nous explique comment nous passons d’une période moderne dans laquelle notre fil directeur et le fondement même du capitalisme était la rationalisation généralisée de l’existence. Ce qui aboutit au désenchantement voire une démagification du monde. Alors qu’on était dans une culture de séparation du corps et de l’esprit nous revenons aujourd’hui à une conception plus holistique (globalisante) du monde. Le corps dans son intégralité. Avec Michel nous abordons l’écosophie, l’écologie, la religion, le capitalisme, la politique, l’individualisme et comment nous sommes en réalité dans une crise civilisationnelle qui va voir advenir un nouveau paradigme plus proche de l’époque de la renaissance que de celle du modernisme dont le triptyque : individualisme, capitalisme, progressisme semble totalement dépassé et anachronique. Je suis vraiment ravi pour cette reprise de vous offrir cet épisode plein de sagesse, de bienveillance, du culture mais toujours sans se prendre trop au sérieux. Je crois, j’espère du moins que vous y trouverez beaucoup de ressources pour envisager le fameux (désormais) “monde de demain” auquel nous devons nous préparer car il advient bon gré mal gré.

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Transcription partielle de l’épisode

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GRÉGORY : Toujours un plaisir de vous recevoir. Vous êtes déjà arrivé deux fois sur ce podcast, mais cette fois-ci, on va parler de sacré. Et c’est intéressant parce que vous venez d’écrire un livre sur le sacré. J’ai l’impression que c’est un sujet que les penseurs, les chercheurs commencent à analyser vraiment. Quand ils arrivent à analyser pas mal de choses Finalement, ils arrivent au sacré. Alors je voudrais savoir pourquoi le sacré ? Pourquoi maintenant ?

MICHEL : Pour ce qui me concerne, moi, c’est une vieille préoccupation. C’est-à-dire que dans plusieurs de mes livres antérieurement, je rendais attentifs au fait qu’il y ait le resurgissement de ce qu’on appelle “sacré”. Ce rapport, disons à l’invisible, pour comprendre le visible. Voilà ma définition. Et donc, j’avais décidé que vers la fin de ma vie, je me mettrais à écrire sur le sacré. Et c’est en effet, ça va être l’avant-dernier livre, j’en ferai un autre, mais c’est tout. Ça culmine un peu de mon travail dans cette recherche-là. Alors le pourquoi ? Pourquoi, c’est toujours difficile de répondre. On sait le “comment”, moi, je n’ai jamais voulu dire le “pourquoi”. Mais enfin, en gros, vous savez que de mon point de vue, on est en train de passer d’une époque à une autre époque dans le sens du terme, l’époque moderne, même si l’oligarchie au pouvoir veut maintenir cette époque moderne et les valeurs de la modernité, moi, je pense que globalement, c’était en train de s’effilocher. Il y a un délitement de cette modernité et l’émergence d’autres choses. Quand on regarde sur la longue durée les histoires humaines, on voit ce processus de balançoire pendant au moins trois siècles, domine quelque chose, et puis, après, ce qu’on avait oublié, ce qu’on avait laissé de côté resurgit. Et en bref, la modernité, je m’appuie ici sur l’œuvre de Max Weber, par exemple, dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, il montre que ce qui été le fil directeur du monde de la Réforme protestante et ce qui est pour lui être le fondement même du capitalisme, c’est-à-dire la société moderne. Eh bien, c’était la rationalisation généralisée de l’existence. Voilà ce qu’il dit, aboutissant, selon une belle expression, qu’il faut dire et redire, aboutissant au fameux désenchantement du monde. Voilà. Donc, je dirais, il y a eu une démagification du monde qui s’est opérée par le rouleau compresseur de la raison qui a abouti au contrat social, ces institutions, Michel Foucault l’a bien montré, qui s’élabore au XIXᵉ siècle. Et ce fut un rouleau compresseur. Je fais exprès de l’employer cette expression, ce sont ceux qui avaient évacué encore une fois tous ces éléments un peu invisibles, le sacré sous ses diverses modulations, etc. Et mon hypothèse est dans le mouvement de balancier que je viens de dire. Eh bien, c’est que toute une série d’indices, d’observations que l’on peut faire, et puis ce serait bien qu’on en parle d’ailleurs de manière concrète, de cela, je dis bien indice index, ce qui montre, pour moi, ce qu’il montre, il y a un retour de cet élément qu’on avait laissé de côté. J’ai résumé cela en disant sacré, mais ça pourrait être le divin, ça pourrait être l’invisible, ça pourrait être la déité. Peu importe. Moi, je n’ai pas de dessus de fétichisme du concept. Mais voilà. Voilà ce qui a mu cette recherche et ce livre qui a pour titre La nostalgie du sacré, mais qui rend attentif au fait que tout ce que dans notre progressisme un peu benêt, notre progressisme qui est devenu de plus en plus destructeur, le saccage écologique le montre bien. Eh bien, il y a retour de ces valeurs beaucoup plus terriennes, ces valeurs encore une fois enracinées. Si je résume et termine là-dessus, ce qui a prévalu dans la modernité, c’est Apollon, la raison claire. Pour moi, ce qui est en train de prévaloir, ce fut un de mes livres il y a fort longtemps, c’est Dionysos. Dionysos, c’est un autre rapport, encore une fois à l’invisible, qui s’opère. 

GRÉGORY : Et alors, vous utilisez aussi un mot, il me semble, dans votre quatrième de couverture qu’est le sensible. C’est intéressant parce qu’en fait le sensible, il y a de plus en plus de personnes qui commencent à en parler, qui commencent à toucher ça. Il y a cette féminisation du monde aussi dont vous parlez, dont les gens parlent de manière plus générale, ça commence à se répandre j’ai envie de dire dans la société. Moi, c’est vrai qu’on m’a souvent dit d’ailleurs que sur ce pas de cas, je vais traiter jamais de religion. Et c’est vrai que quelque part, c’est un choix, mais quelque part, ça ne me semblait pas nécessaire. Je parle de sacré, mais pas de religion. Comment on fait peut-être le lien entre sensibles, religions, sacrées ? Ça peut être intéressant de voir ça.

MICHEL : Bon, un des éléments justement de quand j’ai dit tout à l’heure le rouleau compresseur du rationalisme, c’est que, en quelque sorte, on a gardé, j’ai bien dit, qu’une conception rationnelle du monde, le rationalisme. Ce qui fut la grande marque d’ailleurs de la philosophie ou de la psychanalyse. Marx et Freud, au XIXᵉ siècle, c’était la séparation, séparation du corps, de l’esprit, séparation de la culture et de la nature. Freud reprend cette idée.  On n’a plus cette conception holistique, c’est la coupure ou la séparation. Moi, pour ma part depuis longtemps, d’ailleurs, j’ai écrit un de mes livres qui s’appelle “Éloge de la raison sensible” et en gros, une de mes hypothèses, c’est de voir qu’est en train de revenir, cette entièreté de l’être, si on le dit en des termes un peu plus sophistiqués, mais qui est de plus en plus utilisé une conception holistique du monde. C’est-à-dire non pas cette séparation, mais au contraire montrer que bon, il y a ça et ça. Alors il se trouve que depuis, c’est un peu curieux ce que je vais dire, mais depuis quelque temps, je m’intéresse beaucoup à un philosophe du XIIIᵉ siècle, un grand théologien qui est Saint Thomas d’Aquin. Saint Thomas d’Aquin s’appuyait sur l’œuvre d’Aristote pour montrer, en français la traduction, c’est “Il n’y a rien dans l’intellect qui n’est d’abord été dans les sens”, pour montrer en quelque sorte cette dimension holistique, une conception que les philosophes appellent réalistes. Mais le réalisme, c’est cette conjonction. Alors voilà, moi ça me paraît être cet élément qui, qui s’exprime dans le sacré, c’est-à-dire le terme que j’emploie souvent dans mon livre, c’est l’incarnation à l’image du mystère de l’incarnation dans la théologie chrétienne et catholique, l’incarnation, c’est-à-dire quand l’Esprit devient chair. C’est ça l’idée d’incarnation. Et voilà pour moi un des éléments forts de cette post-modernité et un élément fort, encore une fois, de cette interaction, réversibilité, peu importe les termes qu’on va employer, qui existe encore une fois entre la matérialité et la spiritualité. Voilà, et c’est ce qui me paraît être une des grandes manifestations contemporaines, en particulier chez les jeunes générations qui tout à la fois sont attentives au corps et en même temps à l’esprit. 

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