#240 Marcher séparément mais lutter ensemble? Avec Rejane Senac

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#240 Marcher séparément mais lutter ensemble? Avec Rejane Senac
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GREGORY : Bonjour à tous. Bonjour Réjane.
RÉJANE : Bonjour.
GREGORY : Comment tu vas aujourd’hui?
RÉJANE : Ça va comme dans un monde dystopique.
GREGORY : Alors justement, en parlant de monde dystopique. C’est quoi ta lecture de cette société actuelle? Du moment qu’on est en train de passer?
RÉJANE : Alors j’ai une lecture qui est sans doute biaisée par le fait que ma dernière recherche a été une recherche où j’ai fait un terrain assez important pour essayer de comprendre justement… On part souvent des énigmes quand on est qu’on est chercheur ou de choses qu’on ne comprend pas. Et j’avais une impression très ambivalente entre une richesse, une complexité, des mobilisations contre les injustices, une imbrication aussi entre luttes féministes, antiracistes, écologistes et justice sociale. Et dans le même moment, j’avais l’impression qu’il y avait aussi une incapacité à discuter ou à se comprendre, et des camps qui étaient plutôt des camps, amis, ennemis que adversaires. En particulier, je voyais ça chez les féministes, donc à la fois des dimensions très intersectionnelles, l’écoféminisme, et dans le même moment des enjeux qui sont des enjeux de crispation et de division très forts, en particulier autour du rapport au consentement, aussi bien le voile que le travail du sexe ou la prostitution, la transidentité. Donc j’avais du mal à comprendre ce qui se jouait, dans à la fois une dimension très imbriquée et en même temps très divisée. Et puis j’avais aussi un sentiment à la fois de mobilisation très forte, de remise en cause des injustices et dans le même moment, une montée des populismes au niveau international, de l’extrême droite, du conservatisme. Donc ce double mouvement est assez déconcertant et malheureusement, ça se poursuit. Donc, cette enquête, ce qu’elle m’a montré, c’est que ces mobilisations là, c’est des mobilisations qui sont à la fois très fortes, très riches, très complexes, qu’elles sont dans des changements de modèle aussi du rapport à la politique, du rapport au sujet politique, au qui du politique, à la manière de faire du politique plus que de la politique. Et donc ça m’a donné vraiment quelque chose d’une comme une énergie positive et ça m’a déplacé parce que moi je suis quand même plutôt une fille du XXᵉ siècle, donc qui attendait à ce qu’il y ait un principe de justice ou une idéologie un peu cadrée. Alors que ce que j’ai appris, y compris, c’est que le rapport un peu au suspense, au désordre, était partie prenante de l’émancipation pour pas qu’elle recompose de l’hégémonie. Donc voilà quelque chose qui décale un peu par rapport à un modèle plus plus XXᵉ siècle. Et donc je suis sortie de cette enquête avec avec cet cet apprentissage là, au moment où on était très clairement dans du backlash, dans du retour en arrière. Alors ce qu’on a vu, j’ai l’impression, c’est que, au moment du confinement, de la pandémie, de ce partage de vulnérabilité où même les dominants ont tout au moins dû reconnaître que les premiers de corvée et était quelque part là vitaux avaient un rôle essentiel. Donc il y a eu une forme de remise en cause apparent et vital de la hiérarchie sociale que les frontières, les frontières nationales, les frontières même entre animaux humains, un humain non-humains, rapport au vivant, tout ça était bousculé par la pandémie. Et donc c’était intéressant parce que ceux qui apparaissaient plutôt marginal comme questionnement est devenu un questionnement vital sur comment l’homme détruit lui même ses moyens de subsistance et de survie, en ayant une vision complètement démesurée à la fois de la consommation, de la production, du rapport à la croissance, d’une vision complètement spéciste. Et j’ai d’ailleurs fait aussi des entretiens avec des antispécistes. Donc tout ça, qui était vraiment plutôt marginal, est devenu quand même un peu central. Donc ça, ça a été à un moment plutôt, je trouve, très intéressant intellectuellement, humainement, politiquement, mais on a bien vu que ce pic, ce moment de pic étant passé, le monde d’après a continué et continue à essayer de faire survivre un système qui a démontré sa capacité et sa force et c’est difficile à de trouver un terme d’ailleurs, parce que c’est plein de contradictions à nous autodétruire donc. Et à ce moment là, tout ce qui avait contribué à mettre en visibilité justement la dimension morbide des dominations, que ce soit les dominations économiques et tout, tout l’imbrication entre un capitalisme échevelé, néolibéral et le fait que ces fonds sur un système qui exploite aussi bien les femmes à travers une structure sexiste, les personnes racisées, les ressources, donc tout autour de l’écologie décoloniale.

Description de l’épisode

Réjane Sénac est une politologue française, spécialiste de l’égalité, de la discrimination et de la diversité. Elle est directrice de recherche CNRS au CEVIPOF, elle est l’autrice de plusieurs ouvrages et dernièrement “radicale et fluides, les mobilisations contemporaines” sorties aux éditions de Science Po où elle enseigne et où elle est membre du Conseil scientifique de la Cité du genre.

Dans cet épisode avec Rejane, on va se poser la question des différentes luttes qui peuvent sembler disparates voire on peut envisager des luttes entre personnes qui se battent pour la même cause.

Est-ce que ces luttes sont efficaces? Est-ce qu’elles sont un contre pouvoir efficace? Est-ce qu’elles font bouger les lignes?
On remarque que même si toutes ces causes peuvent sembler différentes, le principe d’émancipation ainsi que celui de l’égalité sont 2 traits communs qui réunissent toutes ces luttes.
Ces luttes sont radicales par les remises en cause et les utopies qu’elles portent, et fluides par leur refus d’un cadre fixe et définitif.
Finalement ces luttes qui prennent une place de plus en plus importante dans l’espace public, ne sont-elles pas en train de réinventer nos manières de vivre ensemble?

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Transcription partielle de l’épisode

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GREGORY : Bonjour à tous. Bonjour Réjane.
RÉJANE : Bonjour.
GREGORY : Comment tu vas aujourd’hui?
RÉJANE : Ça va comme dans un monde dystopique.
GREGORY : Alors justement, en parlant de monde dystopique. C’est quoi ta lecture de cette société actuelle? Du moment qu’on est en train de passer?
RÉJANE : Alors j’ai une lecture qui est sans doute biaisée par le fait que ma dernière recherche a été une recherche où j’ai fait un terrain assez important pour essayer de comprendre justement… On part souvent des énigmes quand on est qu’on est chercheur ou de choses qu’on ne comprend pas. Et j’avais une impression très ambivalente entre une richesse, une complexité, des mobilisations contre les injustices, une imbrication aussi entre luttes féministes, antiracistes, écologistes et justice sociale. Et dans le même moment, j’avais l’impression qu’il y avait aussi une incapacité à discuter ou à se comprendre, et des camps qui étaient plutôt des camps, amis, ennemis que adversaires. En particulier, je voyais ça chez les féministes, donc à la fois des dimensions très intersectionnelles, l’écoféminisme, et dans le même moment des enjeux qui sont des enjeux de crispation et de division très forts, en particulier autour du rapport au consentement, aussi bien le voile que le travail du sexe ou la prostitution, la transidentité. Donc j’avais du mal à comprendre ce qui se jouait, dans à la fois une dimension très imbriquée et en même temps très divisée. Et puis j’avais aussi un sentiment à la fois de mobilisation très forte, de remise en cause des injustices et dans le même moment, une montée des populismes au niveau international, de l’extrême droite, du conservatisme. Donc ce double mouvement est assez déconcertant et malheureusement, ça se poursuit. Donc, cette enquête, ce qu’elle m’a montré, c’est que ces mobilisations là, c’est des mobilisations qui sont à la fois très fortes, très riches, très complexes, qu’elles sont dans des changements de modèle aussi du rapport à la politique, du rapport au sujet politique, au qui du politique, à la manière de faire du politique plus que de la politique. Et donc ça m’a donné vraiment quelque chose d’une comme une énergie positive et ça m’a déplacé parce que moi je suis quand même plutôt une fille du XXᵉ siècle, donc qui attendait à ce qu’il y ait un principe de justice ou une idéologie un peu cadrée. Alors que ce que j’ai appris, y compris, c’est que le rapport un peu au suspense, au désordre, était partie prenante de l’émancipation pour pas qu’elle recompose de l’hégémonie. Donc voilà quelque chose qui décale un peu par rapport à un modèle plus plus XXᵉ siècle. Et donc je suis sortie de cette enquête avec avec cet cet apprentissage là, au moment où on était très clairement dans du backlash, dans du retour en arrière. Alors ce qu’on a vu, j’ai l’impression, c’est que, au moment du confinement, de la pandémie, de ce partage de vulnérabilité où même les dominants ont tout au moins dû reconnaître que les premiers de corvée et était quelque part là vitaux avaient un rôle essentiel. Donc il y a eu une forme de remise en cause apparent et vital de la hiérarchie sociale que les frontières, les frontières nationales, les frontières même entre animaux humains, un humain non-humains, rapport au vivant, tout ça était bousculé par la pandémie. Et donc c’était intéressant parce que ceux qui apparaissaient plutôt marginal comme questionnement est devenu un questionnement vital sur comment l’homme détruit lui même ses moyens de subsistance et de survie, en ayant une vision complètement démesurée à la fois de la consommation, de la production, du rapport à la croissance, d’une vision complètement spéciste. Et j’ai d’ailleurs fait aussi des entretiens avec des antispécistes. Donc tout ça, qui était vraiment plutôt marginal, est devenu quand même un peu central. Donc ça, ça a été à un moment plutôt, je trouve, très intéressant intellectuellement, humainement, politiquement, mais on a bien vu que ce pic, ce moment de pic étant passé, le monde d’après a continué et continue à essayer de faire survivre un système qui a démontré sa capacité et sa force et c’est difficile à de trouver un terme d’ailleurs, parce que c’est plein de contradictions à nous autodétruire donc. Et à ce moment là, tout ce qui avait contribué à mettre en visibilité justement la dimension morbide des dominations, que ce soit les dominations économiques et tout, tout l’imbrication entre un capitalisme échevelé, néolibéral et le fait que ces fonds sur un système qui exploite aussi bien les femmes à travers une structure sexiste, les personnes racisées, les ressources, donc tout autour de l’écologie décoloniale.
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