#231 Comment faire évoluer la réalité des banlieue? avec Makan Fofana

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GRÉGORY : On va parler du futur des banlieues, des imaginaires autour des banlieues. Comment tu t’es intéressé à ce sujet-là ? D’abord, peut-être ton histoire, je sais que tu viens de la banlieue, donc peut-être tu peux nous en parler ?

MAKAN : Je m’appelle Makan Fofana, je suis écrivain, l’auteur d’un ouvrage qui s’appelle La Banlieue du turfu, édité chez Tana Editions en 2021. Je suis aussi artiste en résidence à la Gaîté-Lyrique et j’habite dans un quartier qui s’appelle le Bois de l’Étang, dans une ville à La Verrière, dans les Yvelines. Pour la question du futur des banlieues, à l’époque, c’est-à-dire, il y a cinq ans, j’étais en stage à Station F et c’était considéré comme le lieu futuriste de la France qui allait faire émerger la startup nation et les prochaines licornes. Chaque jour, j’avais besoin de faire à peu près 1 h 30 à l’aller pour rentrer dans ce futur. Un jour dans le train, je me suis dit pourquoi j’ai besoin de faire 1h30 de trajet pour entrer explicitement dans le futur ? Pourquoi pas faire démarrer le futur à partir de mon bâtiment ? Qu’est-ce que ça donnerait. ? À partir de là, j’ai commencé à réfléchir sur la question du futur des banlieues.

GRÉGORY : C’est hyper intéressant, parce qu’effectivement, quand tu dis 1h30, c’est 1h30 aller et 1h30 retour, donc 3 h de transport. C’est quoi aujourd’hui pour toi, l’imaginaire des banlieues ? Plutôt l’imaginaire collectif autour de la banlieue.

MAKAN : Alors, l’imaginaire collectif autour de la banlieue, pour moi, il s’est cristallisé dans un imaginaire qui s’est formé entre les années 80/90. Cet imaginaire qui s’est cristallisé, on le retrouve pas mal dans les productions des artistes du monde hip hop ou du monde du cinéma, mais pas seulement, il est aussi dans le quotidien des discussions. L’imaginaire, ce n’est pas l’image, parce que certains vont confondre bonne image des banlieues et mauvaise image des banlieues. Les banlieusards ont l’habitude de dire au micro des journalistes “Oui, vous avez une mauvaise image de nous, on partage une mauvaise image de nous dans les médias”, mais ce n’est pas ça la question. La question, c’est comment, moi, je produis un imaginaire et des récits propices au développement du monde en général, mais des banlieues dans notre cas. Pour cela, il faut être en capacité de pouvoir imaginer socialement, imaginer pour la société, des futures et des récits dans lequel la banlieue aurait de nouvelles aventures, développer de nouvelles utopies. C’est une capacité que nous avons perdue en tant qu’être humain et qu’à travers ce projet, j’essaye de relancer.

GRÉGORY : D’ailleurs, quand tu dis ça, c’est intéressant parce que même l’image qu’on voit des artistes, que ce soit des chanteurs ou effectivement des documentaires ou des films, tu vois un vieux truc comme La haine ou c’est des imaginaires qui sont assez dystopique, mais ce n’est pas positif.

MAKAN : Tout à fait. Il y a deux choses. Il y a premièrement le réalisme. Les banlieusards ont intégré une croyance, à savoir que les autres ont envie de savoir leur vraie vie, la vie réelle et ce que nous pensons, que plus nous vendons de la réalité, plus les gens vont dire “Ah oui, en fait, ces gens, ils vivent dans une situation difficile, il faut les aider”, ce qu’on appelle le réalisme, et le réalisme, va dire Victor-Hugo et Les Misérables, c’est là le premier pilier de l’imaginaire. Son deuxième pilier, c’est de “vendre”, ce que j’appelle des narrations de dystopie, de vendre des récits qui sont plus noirs que noirs, qui sont plus noirs que la réalité en pensant que ceux qui vont regarder le film, ils vont être choqués. Le but est de choquer la France. Le but est de choquer le monde en montrant la difficulté que c’est de vivre dans un quartier. De 1, ça ne correspond pas totalement à la réalité et à l’ensemble des expériences des habitants des quartiers, et de 2, ça crée des dystopies autoréalisatrices. Si il y a des milliards d’albums qui parlent de la merde dans le quartier, bah ça devient la merde.

GRÉGORY : C’est quoi, justement, la réalité ? Parce que ce qui est assez intéressant, c’est quand les banlieues ont été créées, elles étaient assez futuristes. À l’origine, je veux dire que quand ça s’est créé, c’était une vision assez futuriste. Il y avait, même si je ne me trompe pas trop, des ascenseurs, ce qui n’était pas du tout le cas dans les appartements de Paris. Donc c’était plus moderne finalement dans les banlieues versus Paris. Du coup ça a dérapé clairement. Mais c’est quoi pour toi la réalité des banlieues ? Déjà, il y a plusieurs réalités, évidemment.

MAKAN : Mais c’est important de le rappeler. Parce que moi, en tant que banlieusard, dans le récit collectif du quotidien, on ne m’a jamais dit qu’en fait, les banlieues ont été un ancien futur et ont été une étape importante de la modernité. C’est pendant mes cours de design que je me suis intéressé à l’histoire du développement des quartiers populaires. En effet, il y a eu un moment précis, on va dire dans les années 50, après la guerre et le grand froid, les premières banlieues sont des quartiers futuristes modernistes auxquels n’ont pas accès même une certaine classe moyenne. Ça, c’est important de le rappeler. Ensuite, le fait que le projet ait dérapé ou que certaines banlieues sont rentrés dans une sorte de cité ou je sais pas comment dire, ça ne veut pas dire que nous sommes un ennemi, ça veut dire que nous devons reprendre le projet et créer de nouvelles utopies et créer de nouveaux quartiers. Mais quand je parle de banlieues du futur, je ne parle pas seulement de l’aspect architectural, l’urbanisme, mais on pourra y revenir. C’est important de dire que déjà les quartiers étaient des cursus auxquels ont eu accès nos anciens, nos parents et ça n’a pas été facile. Ça, c’est le deuxième point sur lequel j’aimerais assister. Il y a des gens qui avant nous, se sont battus pour qu’on puisse développer des quartiers populaires et les grands ensembles. Il ne faut pas jeter parce qu’on est bloqué dans le présent. On voit qu’il y a des difficultés et on oublie le passé. Non, les quartiers et le développement des quartiers ont été acquis de haute lutte et ils ont été des futurs. Maintenant, qu’est-ce que la réalité ? La réalité, ça n’existe pas. Il n’y a pas une définition de la réalité. Il y a plusieurs réalités bien sûr, et des réalités qui se concrétisent. Mais moi, ce que j’essaye de dire dans mon livre, c’est qu’en fait, c’est en imaginant que tu vas pouvoir réinventer la réalité. Ils se disent qu’il y a la réalité, ‘e suis bloqué dans la réalité’ ou ils se disent il y a la réalité, c’est l’économie capitaliste qui va m’aider à sortir de cette réalité. Non, c’est en imaginant d’autres réalités que petit à petit, tu vas pouvoir faire advenir de nouvelles réalités. Mais ça, c’est un aspect philosophique que les gens ont du mal à appréhender. Parce qu’ on est ce que l’on appelle le présentisme. Les gens sont bloqués dans le présent, dans le tout de suite. Je le disais juste avant, la capacité humaine à fabuler, à entraîner, à diminuer chez les êtres humains, nous ne pensons plus à imaginer de nouvelles sociétés, à imaginer des choses qui ne servent à rien. Non, on passe notre temps à essayer de trouver des solutions dans un monde de solution où il faut de l’argent, de l’argent, de l’argent et encore de l’argent.

La suite à écouter sur Vlan !

Description de l’épisode

Makan Fofana est philosophe, chercheur associé à l’université Queen Mary à Londres, il est aussi le créateur de Hypercube et également l’auteur de la banlieue du Turfu sortie aux éditions Tana.
Comme moi Makan vient de la banlieue mais c’est le premier que j’entends avec un discours réellement différent.
Il n’aime pas l’idée selon laquelle on parle de la banlieue comme d’un grand tout car la banlieue recèle de différences majeures quand on va d’une ville à une autre, d’un quartier à un autre, d’une barre à une autre et d’un logement à un autre voire il y a différentes réalité au sein d’un même foyer.
Selon lui , trop souvent les personnes issues de ces quartiers tirent vers le misérabilisme en particulier les chanteurs de rap, cela leur permet de vendre et d’avoir des subventions mais ils participent malgré eux à un imaginaire très négatif.
Ce qui est intéressant c’est que dans ses recherches Makan a trouvé qu’à les imaginaires autour de la banlieue quand elle a été créé était très positif, c’était l’accès à la modernité puisque les barres d’immeubles étaient toutes neuves, il y avait même des ascenseurs ce qui était assez rare dans les immeubles des grandes villes.
Avec Makan nous parlons donc d’imaginaires, de réalité, de banlieues, de faire bouger ces imaginaires – si vous avez un lien plus ou moins fort avec la banlieue cela devrait vous toucher et si ce n’est pas le cas, c’est l’occasion sans doute de s’intéresser au sujet.

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Transcription partielle de l’épisode

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GRÉGORY : On va parler du futur des banlieues, des imaginaires autour des banlieues. Comment tu t’es intéressé à ce sujet-là ? D’abord, peut-être ton histoire, je sais que tu viens de la banlieue, donc peut-être tu peux nous en parler ?

MAKAN : Je m’appelle Makan Fofana, je suis écrivain, l’auteur d’un ouvrage qui s’appelle La Banlieue du turfu, édité chez Tana Editions en 2021. Je suis aussi artiste en résidence à la Gaîté-Lyrique et j’habite dans un quartier qui s’appelle le Bois de l’Étang, dans une ville à La Verrière, dans les Yvelines. Pour la question du futur des banlieues, à l’époque, c’est-à-dire, il y a cinq ans, j’étais en stage à Station F et c’était considéré comme le lieu futuriste de la France qui allait faire émerger la startup nation et les prochaines licornes. Chaque jour, j’avais besoin de faire à peu près 1 h 30 à l’aller pour rentrer dans ce futur. Un jour dans le train, je me suis dit pourquoi j’ai besoin de faire 1h30 de trajet pour entrer explicitement dans le futur ? Pourquoi pas faire démarrer le futur à partir de mon bâtiment ? Qu’est-ce que ça donnerait. ? À partir de là, j’ai commencé à réfléchir sur la question du futur des banlieues.

GRÉGORY : C’est hyper intéressant, parce qu’effectivement, quand tu dis 1h30, c’est 1h30 aller et 1h30 retour, donc 3 h de transport. C’est quoi aujourd’hui pour toi, l’imaginaire des banlieues ? Plutôt l’imaginaire collectif autour de la banlieue.

MAKAN : Alors, l’imaginaire collectif autour de la banlieue, pour moi, il s’est cristallisé dans un imaginaire qui s’est formé entre les années 80/90. Cet imaginaire qui s’est cristallisé, on le retrouve pas mal dans les productions des artistes du monde hip hop ou du monde du cinéma, mais pas seulement, il est aussi dans le quotidien des discussions. L’imaginaire, ce n’est pas l’image, parce que certains vont confondre bonne image des banlieues et mauvaise image des banlieues. Les banlieusards ont l’habitude de dire au micro des journalistes “Oui, vous avez une mauvaise image de nous, on partage une mauvaise image de nous dans les médias”, mais ce n’est pas ça la question. La question, c’est comment, moi, je produis un imaginaire et des récits propices au développement du monde en général, mais des banlieues dans notre cas. Pour cela, il faut être en capacité de pouvoir imaginer socialement, imaginer pour la société, des futures et des récits dans lequel la banlieue aurait de nouvelles aventures, développer de nouvelles utopies. C’est une capacité que nous avons perdue en tant qu’être humain et qu’à travers ce projet, j’essaye de relancer.

GRÉGORY : D’ailleurs, quand tu dis ça, c’est intéressant parce que même l’image qu’on voit des artistes, que ce soit des chanteurs ou effectivement des documentaires ou des films, tu vois un vieux truc comme La haine ou c’est des imaginaires qui sont assez dystopique, mais ce n’est pas positif.

MAKAN : Tout à fait. Il y a deux choses. Il y a premièrement le réalisme. Les banlieusards ont intégré une croyance, à savoir que les autres ont envie de savoir leur vraie vie, la vie réelle et ce que nous pensons, que plus nous vendons de la réalité, plus les gens vont dire “Ah oui, en fait, ces gens, ils vivent dans une situation difficile, il faut les aider”, ce qu’on appelle le réalisme, et le réalisme, va dire Victor-Hugo et Les Misérables, c’est là le premier pilier de l’imaginaire. Son deuxième pilier, c’est de “vendre”, ce que j’appelle des narrations de dystopie, de vendre des récits qui sont plus noirs que noirs, qui sont plus noirs que la réalité en pensant que ceux qui vont regarder le film, ils vont être choqués. Le but est de choquer la France. Le but est de choquer le monde en montrant la difficulté que c’est de vivre dans un quartier. De 1, ça ne correspond pas totalement à la réalité et à l’ensemble des expériences des habitants des quartiers, et de 2, ça crée des dystopies autoréalisatrices. Si il y a des milliards d’albums qui parlent de la merde dans le quartier, bah ça devient la merde.

GRÉGORY : C’est quoi, justement, la réalité ? Parce que ce qui est assez intéressant, c’est quand les banlieues ont été créées, elles étaient assez futuristes. À l’origine, je veux dire que quand ça s’est créé, c’était une vision assez futuriste. Il y avait, même si je ne me trompe pas trop, des ascenseurs, ce qui n’était pas du tout le cas dans les appartements de Paris. Donc c’était plus moderne finalement dans les banlieues versus Paris. Du coup ça a dérapé clairement. Mais c’est quoi pour toi la réalité des banlieues ? Déjà, il y a plusieurs réalités, évidemment.

MAKAN : Mais c’est important de le rappeler. Parce que moi, en tant que banlieusard, dans le récit collectif du quotidien, on ne m’a jamais dit qu’en fait, les banlieues ont été un ancien futur et ont été une étape importante de la modernité. C’est pendant mes cours de design que je me suis intéressé à l’histoire du développement des quartiers populaires. En effet, il y a eu un moment précis, on va dire dans les années 50, après la guerre et le grand froid, les premières banlieues sont des quartiers futuristes modernistes auxquels n’ont pas accès même une certaine classe moyenne. Ça, c’est important de le rappeler. Ensuite, le fait que le projet ait dérapé ou que certaines banlieues sont rentrés dans une sorte de cité ou je sais pas comment dire, ça ne veut pas dire que nous sommes un ennemi, ça veut dire que nous devons reprendre le projet et créer de nouvelles utopies et créer de nouveaux quartiers. Mais quand je parle de banlieues du futur, je ne parle pas seulement de l’aspect architectural, l’urbanisme, mais on pourra y revenir. C’est important de dire que déjà les quartiers étaient des cursus auxquels ont eu accès nos anciens, nos parents et ça n’a pas été facile. Ça, c’est le deuxième point sur lequel j’aimerais assister. Il y a des gens qui avant nous, se sont battus pour qu’on puisse développer des quartiers populaires et les grands ensembles. Il ne faut pas jeter parce qu’on est bloqué dans le présent. On voit qu’il y a des difficultés et on oublie le passé. Non, les quartiers et le développement des quartiers ont été acquis de haute lutte et ils ont été des futurs. Maintenant, qu’est-ce que la réalité ? La réalité, ça n’existe pas. Il n’y a pas une définition de la réalité. Il y a plusieurs réalités bien sûr, et des réalités qui se concrétisent. Mais moi, ce que j’essaye de dire dans mon livre, c’est qu’en fait, c’est en imaginant que tu vas pouvoir réinventer la réalité. Ils se disent qu’il y a la réalité, ‘e suis bloqué dans la réalité’ ou ils se disent il y a la réalité, c’est l’économie capitaliste qui va m’aider à sortir de cette réalité. Non, c’est en imaginant d’autres réalités que petit à petit, tu vas pouvoir faire advenir de nouvelles réalités. Mais ça, c’est un aspect philosophique que les gens ont du mal à appréhender. Parce qu’ on est ce que l’on appelle le présentisme. Les gens sont bloqués dans le présent, dans le tout de suite. Je le disais juste avant, la capacité humaine à fabuler, à entraîner, à diminuer chez les êtres humains, nous ne pensons plus à imaginer de nouvelles sociétés, à imaginer des choses qui ne servent à rien. Non, on passe notre temps à essayer de trouver des solutions dans un monde de solution où il faut de l’argent, de l’argent, de l’argent et encore de l’argent.

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