#218 En quoi sommes nous différents? Comprendre L’importance des cultures humaines avec Ali Rakib

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#218 En quoi sommes nous différents? Comprendre L’importance des cultures humaines avec Ali Rakib
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GREGORY : On va parler d’un sujet que les gens connaissent mal j’imagine, qui est l’anthropologie, mais on va parler en particulier du patrimoine immatériel de l’humanité. Alors c’est quoi d’abord le patrimoine immatériel de l’humanité ?

ALI : Alors pour s’en souvenir de manière automatique, il faut penser à ce que ce n’est pas, à savoir le patrimoine bâti. Donc tout le monde sait ce que c’est qu’un patrimoine bâti, la tour Eiffel, la muraille de Chine, les pyramides d’Égypte ou du Guatemala. Ça signifie quelque chose de fort en termes de symbolisme pour les peuples qui en sont les dépositaires, et c’est tellement ancien et symbolique pour la terre entière que ça n’appartient plus vraiment au peuple local, mais ça appartient à l’humanité et donc l’humanité est chargée de son entretien, de sa sauvegarde. De la même manière, on a du patrimoine immatériel. Ça peut être des langues, des danses, des dialectes, des médecines chamaniques, des contes, des imaginaires, etc, qui font en fait nos traditions, nos us, nos coutumes. À Paris par exemple, on a la tradition des terrasses dans la rue qui paraissent tellement mainstream, logique, normale pour nous qu’on ne s’en rend pas compte, mais de l’autre côté du monde, des anthropologues nous annoncent en fait que ça fait partie de notre patrimoine immatériel, que c’est un tiers lieu de rencontres, de débats, de partage d’opinions politiques, de rencontres amoureuses, etc, qu’on ne voit pas partout dans le monde et qui sont symboliques de Paris. Donc c’est un exemple de patrimoine immatériel.

GRÉGORY : C’est marrant parce que effectivement autant on visite des églises, des églises, des temples etc, et ça, c’est très très très clair, ça on le voit, c’est évident. Autant le patrimoine immatériel, on dit souvent que pour grandir, il faut voyager, mais on n’arrive pas vraiment à mettre un mot là-dessus. Le mot, c’est patrimoine immatériel.

ALI : C’est ça, c’est tout ce qui nourrit en fait l’expérience, qui est à vrai dire cloisonnée, qui est illustrée par le bâti. Donc des choses qu’on peut voir, mais qui nous permettent de ressentir les choses, de sentir des odeurs, d’entendre des sons et musiques.

GRÉGORY : Hyper intéressant. Comment on en arrive à aller explorer des patrimoines immatériels ? Et après, évidemment, c’est ce qui va être hyper intéressant, c’est de raconter des histoires parce que les gens adorent les histoires et moi j’adore les histoires surtout. Donc comment on en arrive à étudier ça ?

ALI : Alors, il y a des choses qui s’expliquent dans mon cheminement de vie. Mais d’abord, il y a des choses qui ne s’expliquent pas, à savoir des comportements qui étaient miens avant même d’avoir quitté l’âge œdipien. Je ne me rappelle pas de toute mon enfance, mais je me rappelle clairement en école primaire, je cherchais parfois à m’éloigner de mon clan de footballeur parce que j’en avais juste marre de jouer au ballon et d’aller jouer au papa et à la maman avec des filles, et des fois aller jouer à chat perché, mais des fois être seul. Donc je m’asseyais au sommet des escaliers pour observer les enfants, les observer rire, jouer, pleurer, discuter. Et c’était une passion avant même de savoir que ça s’appelait l’anthropologie et que j’allais en faire mon gagne pain plus tard. Le fait d’avoir déjà été dans cet amour de l’observation de l’autre me permet de savoir que c’est déjà inné d’une certaine manière, ce n’est pas acquis, ce n’est pas par mimétisme d’un papa ou d’une grande sœur qui l’aurait fait avant moi. Mais ensuite, mon expérience de vie, donc franco-marocain, marocain né en France et grandi en France, mais qui passait systématiquement mes vacances avec ma famille dans le sud marocain. Donc derrière les montagnes de l’Atlas, les premières dunes du Sahara, dans un village qui est aujourd’hui en 2022, n’a toujours pas d’électricité, pas de gaz, pas de robinet, pas de routes, pas de goudron. Et qui doit se débrouiller pour subvenir à ses besoins. Marcher pendant une demi-heure pour aller puiser de l’eau, élever ses bêtes, résister à la sécheresse, etc, et tout ça en nourrissant un patrimoine matériel, des danses folkloriques, des façons de s’habiller, des cuisines à l’huile d’argan, une huile qui n’existe que chez nous et pas ailleurs. Et donc tout ça, finalement, m’a conduit jusqu’aux métiers que j’exerce aujourd’hui.

GRÉGORY : Qu’est-ce que tu penses, c’est la vraie question qui me vient, et ce n’est pas peut-être pas la plus logique, mais qu’est-ce que tu penses de l’appropriation culturelle ? On critique beaucoup ce concept. Peut-être que tu peux l’expliquer d’abord et ensuite me dire ce que tu en penses ?

ALI : Alors, l’appropriation culturelle, en tout cas dans le domaine de la mode où on en parle de plus en plus, c’est le fait de piocher de manière complètement gratuite et souvent irrespectueuse des apparats, des symboles vestimentaires, des signes distinctifs d’une culture dite “soumise”, dite “inférieure”, parce que la culture habite dans la pampa mexicaine, parce que telle tribu habite au fin fond de l’Amazonie et vit nu dans la jungle. Et du coup, on se permet de piocher, c’est le mot que je choisis, des choses qu’on trouve sympa, qu’on trouve sexy et qu’on trouve beau sans se soucier de la signification. Donc exemple concret, un client a voulu s’inspirer, je ne vais pas citer de nom, mais s’inspirer d’un motif en forme de spirale d’Indonésie et pour en faire des sous vêtements, donc il n’y voyait aucun inconvénient, il y voyait même une forme de respect, parce qu’on tient compte de l’existence de ces cultures-là, on trouve ça joli et du coup, on veut s’en inspirer parce que c’est joli. Et je leur explique que la spirale, c’est ce qu’on appelle une forme piriforme en forme de poire, ce qu’on appelle le motif paisley dans le langage textile, et quand on y a un intérieur, une forme de spirale, ça signifie l’infini. Et l’infini symbolise le Créateur, donc Dieu. Et je leur dis, imaginez-vous juste l’inverse des créateurs de mode à l’autre bout du monde, qui vont prendre nos symboles à nous Occidentaux, comme par exemple la croix chrétienne pour les mettre dans des sous vêtements, dans des chaussettes, des vêtements qui ne vont pas symboliser le respect qu’on y met. Donc on n’a pas besoin de croire en un symbole religieux pour le respecter. Et ça marche aussi dans les deux sens. Donc ça, c’est déjà un premier exemple d’appropriation culturelle. Et et aujourd’hui, c’est rarement une agression volontaire, c’est souvent dû au manque de culture des directeurs artistiques qui savent faire tellement à dessiner et à s’inspirer des modes actuels, qu’ils n’ont pas de culture sur les autres modes du monde et les autres pensées du monde. Mais parfois, et dans le passé, c’était clairement une forme de colonialisme. Donc on a un exemple, sous la tour Eiffel, il y a moins de 100 ans, on avait encore des os humains, on faisait venir des êtres humains pour montrer ce qu’était la vie au Congo, ce qui était la vie au Chili, ce qui était la vie en Alaska et on faisait venir les gens, on les habillait en peau de bête et on leur demandait de danser et de se les geler dans nos climats parisiens et l’hiver, beaucoup sont morts et les gens y allait en famille. Donc c’est vraiment le symbole de l’innocence, c’est-à-dire qu’ils ne savaient pas à quel point c’était mauvais parce qu’ils allaient en famille, ils montraient ça à leurs enfants. “Regardez, c’est intéressant, cultivez-vous. Regardez comme les êtres humains vivent à l’autre bout du monde”. Donc là, c’est de là qu’est née cette logique d’appropriation culturelle et qui fait que dans la mode aujourd’hui, on a des mouvements militants qui essaient de lutter contre ça, de taper du poing sur la table et de dire ça suffit.

La suite a écouté sur VLAN !

Description de l’épisode

Ali Rakib est anthropologue, c’est-à-dire qu’il fait des recherches sur les sociétés humaines afin de mieux les comprendre. Mais Ali s’est spécialisé dans un domaine que je ne connaissais même pas avant de le rencontrer : le patrimoine immatériel de l’humanité.
J’aurais pu nommer l’épisode de cette manière, mais vous auriez peut-être eu la même réaction que moi : “le quoi…mais c’est quoi?”
Pourtant, le patrimoine immatériel de l’humanité est essentiel, il s’agit de toutes ces choses (rites, danse, habitudes culturelles) d’un peuple donné, y compris le peuple français d’ailleurs.
Pour le dire simplement, lorsque l’on part en vacances visiter un pays, on va voir des monuments (patrimoine bâti), des cascades, montagnes ou forets (patrimoine écologique) mais aussi des danses, des savoirs, des rites, des habitudes (patrimoine immatériel).
En France, nous avons l’église au milieu du village avec un centre-ville, nous avons les terrasses où nous nous asseyons côte à côte, nous avons les vins, les fromages, des danses, des patois, des savoirs faire aussi….
Avec Ali, on parle de ce qui nous permet de faire société, on parle d’appropriation culturelle, on parle de chamanisme, de savoir-faire, de matériaux, de la malédiction des ressources.
Bref, de très nombreux sujets auxquels vous n’avez peut être jamais songé, mais qui sont partagés avec simplicité et générosité par Ali dans cet épisode.
Je vous en souhaite une bonne écoute.

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Transcription partielle de l’épisode

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GREGORY : On va parler d’un sujet que les gens connaissent mal j’imagine, qui est l’anthropologie, mais on va parler en particulier du patrimoine immatériel de l’humanité. Alors c’est quoi d’abord le patrimoine immatériel de l’humanité ?

ALI : Alors pour s’en souvenir de manière automatique, il faut penser à ce que ce n’est pas, à savoir le patrimoine bâti. Donc tout le monde sait ce que c’est qu’un patrimoine bâti, la tour Eiffel, la muraille de Chine, les pyramides d’Égypte ou du Guatemala. Ça signifie quelque chose de fort en termes de symbolisme pour les peuples qui en sont les dépositaires, et c’est tellement ancien et symbolique pour la terre entière que ça n’appartient plus vraiment au peuple local, mais ça appartient à l’humanité et donc l’humanité est chargée de son entretien, de sa sauvegarde. De la même manière, on a du patrimoine immatériel. Ça peut être des langues, des danses, des dialectes, des médecines chamaniques, des contes, des imaginaires, etc, qui font en fait nos traditions, nos us, nos coutumes. À Paris par exemple, on a la tradition des terrasses dans la rue qui paraissent tellement mainstream, logique, normale pour nous qu’on ne s’en rend pas compte, mais de l’autre côté du monde, des anthropologues nous annoncent en fait que ça fait partie de notre patrimoine immatériel, que c’est un tiers lieu de rencontres, de débats, de partage d’opinions politiques, de rencontres amoureuses, etc, qu’on ne voit pas partout dans le monde et qui sont symboliques de Paris. Donc c’est un exemple de patrimoine immatériel.

GRÉGORY : C’est marrant parce que effectivement autant on visite des églises, des églises, des temples etc, et ça, c’est très très très clair, ça on le voit, c’est évident. Autant le patrimoine immatériel, on dit souvent que pour grandir, il faut voyager, mais on n’arrive pas vraiment à mettre un mot là-dessus. Le mot, c’est patrimoine immatériel.

ALI : C’est ça, c’est tout ce qui nourrit en fait l’expérience, qui est à vrai dire cloisonnée, qui est illustrée par le bâti. Donc des choses qu’on peut voir, mais qui nous permettent de ressentir les choses, de sentir des odeurs, d’entendre des sons et musiques.

GRÉGORY : Hyper intéressant. Comment on en arrive à aller explorer des patrimoines immatériels ? Et après, évidemment, c’est ce qui va être hyper intéressant, c’est de raconter des histoires parce que les gens adorent les histoires et moi j’adore les histoires surtout. Donc comment on en arrive à étudier ça ?

ALI : Alors, il y a des choses qui s’expliquent dans mon cheminement de vie. Mais d’abord, il y a des choses qui ne s’expliquent pas, à savoir des comportements qui étaient miens avant même d’avoir quitté l’âge œdipien. Je ne me rappelle pas de toute mon enfance, mais je me rappelle clairement en école primaire, je cherchais parfois à m’éloigner de mon clan de footballeur parce que j’en avais juste marre de jouer au ballon et d’aller jouer au papa et à la maman avec des filles, et des fois aller jouer à chat perché, mais des fois être seul. Donc je m’asseyais au sommet des escaliers pour observer les enfants, les observer rire, jouer, pleurer, discuter. Et c’était une passion avant même de savoir que ça s’appelait l’anthropologie et que j’allais en faire mon gagne pain plus tard. Le fait d’avoir déjà été dans cet amour de l’observation de l’autre me permet de savoir que c’est déjà inné d’une certaine manière, ce n’est pas acquis, ce n’est pas par mimétisme d’un papa ou d’une grande sœur qui l’aurait fait avant moi. Mais ensuite, mon expérience de vie, donc franco-marocain, marocain né en France et grandi en France, mais qui passait systématiquement mes vacances avec ma famille dans le sud marocain. Donc derrière les montagnes de l’Atlas, les premières dunes du Sahara, dans un village qui est aujourd’hui en 2022, n’a toujours pas d’électricité, pas de gaz, pas de robinet, pas de routes, pas de goudron. Et qui doit se débrouiller pour subvenir à ses besoins. Marcher pendant une demi-heure pour aller puiser de l’eau, élever ses bêtes, résister à la sécheresse, etc, et tout ça en nourrissant un patrimoine matériel, des danses folkloriques, des façons de s’habiller, des cuisines à l’huile d’argan, une huile qui n’existe que chez nous et pas ailleurs. Et donc tout ça, finalement, m’a conduit jusqu’aux métiers que j’exerce aujourd’hui.

GRÉGORY : Qu’est-ce que tu penses, c’est la vraie question qui me vient, et ce n’est pas peut-être pas la plus logique, mais qu’est-ce que tu penses de l’appropriation culturelle ? On critique beaucoup ce concept. Peut-être que tu peux l’expliquer d’abord et ensuite me dire ce que tu en penses ?

ALI : Alors, l’appropriation culturelle, en tout cas dans le domaine de la mode où on en parle de plus en plus, c’est le fait de piocher de manière complètement gratuite et souvent irrespectueuse des apparats, des symboles vestimentaires, des signes distinctifs d’une culture dite “soumise”, dite “inférieure”, parce que la culture habite dans la pampa mexicaine, parce que telle tribu habite au fin fond de l’Amazonie et vit nu dans la jungle. Et du coup, on se permet de piocher, c’est le mot que je choisis, des choses qu’on trouve sympa, qu’on trouve sexy et qu’on trouve beau sans se soucier de la signification. Donc exemple concret, un client a voulu s’inspirer, je ne vais pas citer de nom, mais s’inspirer d’un motif en forme de spirale d’Indonésie et pour en faire des sous vêtements, donc il n’y voyait aucun inconvénient, il y voyait même une forme de respect, parce qu’on tient compte de l’existence de ces cultures-là, on trouve ça joli et du coup, on veut s’en inspirer parce que c’est joli. Et je leur explique que la spirale, c’est ce qu’on appelle une forme piriforme en forme de poire, ce qu’on appelle le motif paisley dans le langage textile, et quand on y a un intérieur, une forme de spirale, ça signifie l’infini. Et l’infini symbolise le Créateur, donc Dieu. Et je leur dis, imaginez-vous juste l’inverse des créateurs de mode à l’autre bout du monde, qui vont prendre nos symboles à nous Occidentaux, comme par exemple la croix chrétienne pour les mettre dans des sous vêtements, dans des chaussettes, des vêtements qui ne vont pas symboliser le respect qu’on y met. Donc on n’a pas besoin de croire en un symbole religieux pour le respecter. Et ça marche aussi dans les deux sens. Donc ça, c’est déjà un premier exemple d’appropriation culturelle. Et et aujourd’hui, c’est rarement une agression volontaire, c’est souvent dû au manque de culture des directeurs artistiques qui savent faire tellement à dessiner et à s’inspirer des modes actuels, qu’ils n’ont pas de culture sur les autres modes du monde et les autres pensées du monde. Mais parfois, et dans le passé, c’était clairement une forme de colonialisme. Donc on a un exemple, sous la tour Eiffel, il y a moins de 100 ans, on avait encore des os humains, on faisait venir des êtres humains pour montrer ce qu’était la vie au Congo, ce qui était la vie au Chili, ce qui était la vie en Alaska et on faisait venir les gens, on les habillait en peau de bête et on leur demandait de danser et de se les geler dans nos climats parisiens et l’hiver, beaucoup sont morts et les gens y allait en famille. Donc c’est vraiment le symbole de l’innocence, c’est-à-dire qu’ils ne savaient pas à quel point c’était mauvais parce qu’ils allaient en famille, ils montraient ça à leurs enfants. “Regardez, c’est intéressant, cultivez-vous. Regardez comme les êtres humains vivent à l’autre bout du monde”. Donc là, c’est de là qu’est née cette logique d’appropriation culturelle et qui fait que dans la mode aujourd’hui, on a des mouvements militants qui essaient de lutter contre ça, de taper du poing sur la table et de dire ça suffit.

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