#212 La réalité de la culture Bouddhiste avec Marion Chaygneaud-Dupuy

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#212 La réalité de la culture Bouddhiste avec Marion Chaygneaud-Dupuy
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GRÉGORY : Marion, t’as une vie très particulière, c’est le moins qu’on puisse dire je pense, et qui donne sans doute envie à pas mal de gens. J’aimerais d’abord peut-être comprendre, comment à 18 ans, on décide de partir au Tibet et comment on y reste aussi longtemps puisque aujourd’hui, tu as 40 ans, tu y as passé plus de 22 ans. Donc, comment on part à 18 ans ? Comment on y reste aussi longtemps ?

MARION : Je suis parti une première fois quand j’avais 16 ans, mais je n’y suis pas resté. Je suis resté le temps des vacances scolaires. J’étais entre la seconde et la première dans le système d’école française et je me suis retrouvé à Calcutta. J’ai découvert la vie des bidonvilles avec les maladies les plus, on va dire terrible pour l’humain qui est complètement déformé avec la lèpre ou avec la tuberculose ou avec des grosses tumeurs. Et j’ai découvert vraiment la souffrance, on va dire sans aucun filtre. À ce moment-là, je retourne en Occident et en Europe chez mes parents et là, en fait, le confort de la vie occidentale, est très difficile, même s’il y a de la souffrance tout autour de moi. Mais je trouve qu’il y a une sorte de torpeur, d’endormissement et je me retrouve plus, en fait, dans cette vie-là. Et donc tout m’attire vers les traditions orientales pour me retrouver quelque part dans cette connexion, à cette souffrance que j’ai vécue à l’état brut à Calcutta, mais dans une recherche intérieure. C’est-à-dire que je réalise petit à petit que cette souffrance, elle n’est pas qu’à l’extérieur. Je la vis aussi dans mon corps, dans mes émotions, dans l’être relationnel que je suis et petit à petit, je tombe dans la marmite des traditions spirituelles du bouddhisme tibétain en Occident avec des centres bouddhistes, et je vois beaucoup de personnes un peu à la dérive aussi, qui se cherchent, qui cherchent des réponses à des questions existentielles. Et puis, la réponse que je vois dans les centres bouddhistes en Occident ne fait pas complètement écho à cette radicalité que je ressens en moi de vivre l’expérience de cette souffrance, mais dans une totalité qui n’est pas simplement intellectuelle ou on va dire filtrer avec tout un apparat de culturel d’une tradition qui est exportée, et j’ai envie de voir comment les gens qui vivent dans ces traditions à l’origine, à la source, l’incarnent au quotidien dans un mode de vie. Je décide à 18 ans de partir là-bas en Himalaya pour faire mes études à Darjeeling, donc à 18 ans. Et là, je suis prise dans un monastère bouddhiste pendant 4 ans pour me rendre compte vraiment de comment cette transformation intérieure, depuis ce contact avec la souffrance dans l’ouverture et la présence entière et radicale complète à cette souffrance, permet de la transformer en compassion et que cette transformation, en fait, est un chemin. C’est le chemin altruiste, c’est le chemin bouddhiste, c’est le chemin de la rencontre avec tous les aspects de soi-même, y compris les aspects les plus sombres et les plus cachés et les plus difficiles à aller rencontrer quand il faut enlever tous les filtres, toutes les constructions, les barrages que je me suis construites dans l’éducation, dans mes relations avec les autres et pour déconstruire tout ça, c’est un long chemin, une école qui demande beaucoup de discipline pour la déconstruction. Le contexte d’un monastère bouddhiste dans l’Himalaya, à côté de Darjeeling, dans les contreforts de l’Himalaya, côté indien, est particulièrement propice à cette transformation. Et après il y a tout un long parcours qui m’a fait partir du monastère du côté indien de l’Himalaya, pour passer de l’autre côté, côté tibétain de l’Himalaya, donc le Tibet en Chine, où j’ai vécu 18 ans de nouveau, quatre ans à Darjeeling et 18 ans basé à Lhassa, où j’étais travailleuse sociale, acteur social pour le changement, pour l’aide aux Tibétains dans le Tibet même, pendant 18 ans.

GRÉGORY : C’est incroyable parce que je pense qu’il y a très peu de gens qui ont une vie comme la tienne. En tout cas, de mon point de vue, évidemment. C’est vrai que c’est drôle parce que quand on s’est rencontrés, je ne sais pas comment tu l’as vécu toi, mais j’ai ressenti une sorte de connexion. On était à une conférence ensemble et je pense que tu étais l’une des premières personnes à qui j’ai parlé finalement. 

MARION : Oui, il y a eu une absence de filtres et de masques, qui permet en fait cette connexion directe, cette ouverture qui est immédiate.

GRÉGORY : Oui, c’est assez fou en réalité. Il y a une question que je me pose quand même comment ta famille réagit, déjà que tu partes à 16 ans à Calcutta, ce n’est pas hyper classique. Et après que tu décides d’aller étudier à Darjeeling et que tu restes ensuite aussi longtemps. Il y a cette dimension aussi malgré tout, quelque part.

MARION : C’est vrai que les codes culturels du bouddhisme tibétain sont tellement éloignés de la vie de ma famille dans la Dordogne profonde, plutôt agricole, que moi-même ça m’a fait un peu perdre pied, quels sont mes repères quelque part. Quand j’ai une famille de sang qui m’élève donc dans une connexion très forte avec le lien avec la nature et qui m’a donné énormément d’amour et énormément de confiance, je crois que le maître mot de toute l’éducation, c’était l’autonomie. Ainsi, cette fameuse autonomie, elle s’est après manifesté dans les choix que j’ai fait d’aller vivre en Asie, dans l’Himalaya, dans un monastère bouddhiste, au milieu de moines, alors que j’étais une femme parlant une langue qui n’était pas la mienne et qui est très éloignée, en plus de mes codes culturels. Mais cette autonomie, elle est liée aussi à la confiance. C’est-à-dire qu’à partir du moment où mes parents ont comme vision de l’éducation une approche extrêmement ouverte et basée sur la confiance qui a un potentiel chez l’enfant, l’adolescent et chez le jeune adulte  qui cherche à déployer ce potentiel et à s’épanouir, donc ils devaient jouer le jeu jusqu’au bout. Même s’ils n’étaient pas du tout sûr que mes choix étaient les bons, ils ont laissé se dérouler le fil de ses choix et de ce voyage pour voir où ça m’a amené. Et ils ont été témoins, il y a eu un contrat entre nous, témoins d’une transformation positive et ensuite basée sur ce début de transformation entre 16 et 18 ans, il y a eu un contrat en fait de confiance, tout simplement.

Description de l’épisode

Marion est une femme exceptionnelle, seule européenne a avoir gravit 3 fois l’Everest, elle a gagné le prix “terre des femmes” en 2019 pour avoir retiré 10 tonnes de déchets de l’Everest.
Mais Marion a aussi passé plus de 20 ans dans un temple Bouddhiste et s’est profondément intéressé à cette culture car elle ne trouvait pas dans les versions occidentales du bouddhisme des choses suffisamment profonde. De la même manière, le surconfort occidental la mettait mal à l’aise après avoir cotoyé une autre réalité en Inde.
Avec Marion, nous parlons de l’approche de la spiritualité en Europe et comment le capitalisme l’a perverti, nous parlons de ses apprentissages durant ces 20 années, de la condition des femmes dans cette culture, de l’impact du porno, du “stress test” de se retrouver au bord de la mort dans des conditions extrêmes et de voir ce qu’il reste à ce moment là de ses enseignements spirituels.
Une conversation douce et joyeuse mais aussi très profonde.

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Transcription partielle de l’épisode

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GRÉGORY : Marion, t’as une vie très particulière, c’est le moins qu’on puisse dire je pense, et qui donne sans doute envie à pas mal de gens. J’aimerais d’abord peut-être comprendre, comment à 18 ans, on décide de partir au Tibet et comment on y reste aussi longtemps puisque aujourd’hui, tu as 40 ans, tu y as passé plus de 22 ans. Donc, comment on part à 18 ans ? Comment on y reste aussi longtemps ?

MARION : Je suis parti une première fois quand j’avais 16 ans, mais je n’y suis pas resté. Je suis resté le temps des vacances scolaires. J’étais entre la seconde et la première dans le système d’école française et je me suis retrouvé à Calcutta. J’ai découvert la vie des bidonvilles avec les maladies les plus, on va dire terrible pour l’humain qui est complètement déformé avec la lèpre ou avec la tuberculose ou avec des grosses tumeurs. Et j’ai découvert vraiment la souffrance, on va dire sans aucun filtre. À ce moment-là, je retourne en Occident et en Europe chez mes parents et là, en fait, le confort de la vie occidentale, est très difficile, même s’il y a de la souffrance tout autour de moi. Mais je trouve qu’il y a une sorte de torpeur, d’endormissement et je me retrouve plus, en fait, dans cette vie-là. Et donc tout m’attire vers les traditions orientales pour me retrouver quelque part dans cette connexion, à cette souffrance que j’ai vécue à l’état brut à Calcutta, mais dans une recherche intérieure. C’est-à-dire que je réalise petit à petit que cette souffrance, elle n’est pas qu’à l’extérieur. Je la vis aussi dans mon corps, dans mes émotions, dans l’être relationnel que je suis et petit à petit, je tombe dans la marmite des traditions spirituelles du bouddhisme tibétain en Occident avec des centres bouddhistes, et je vois beaucoup de personnes un peu à la dérive aussi, qui se cherchent, qui cherchent des réponses à des questions existentielles. Et puis, la réponse que je vois dans les centres bouddhistes en Occident ne fait pas complètement écho à cette radicalité que je ressens en moi de vivre l’expérience de cette souffrance, mais dans une totalité qui n’est pas simplement intellectuelle ou on va dire filtrer avec tout un apparat de culturel d’une tradition qui est exportée, et j’ai envie de voir comment les gens qui vivent dans ces traditions à l’origine, à la source, l’incarnent au quotidien dans un mode de vie. Je décide à 18 ans de partir là-bas en Himalaya pour faire mes études à Darjeeling, donc à 18 ans. Et là, je suis prise dans un monastère bouddhiste pendant 4 ans pour me rendre compte vraiment de comment cette transformation intérieure, depuis ce contact avec la souffrance dans l’ouverture et la présence entière et radicale complète à cette souffrance, permet de la transformer en compassion et que cette transformation, en fait, est un chemin. C’est le chemin altruiste, c’est le chemin bouddhiste, c’est le chemin de la rencontre avec tous les aspects de soi-même, y compris les aspects les plus sombres et les plus cachés et les plus difficiles à aller rencontrer quand il faut enlever tous les filtres, toutes les constructions, les barrages que je me suis construites dans l’éducation, dans mes relations avec les autres et pour déconstruire tout ça, c’est un long chemin, une école qui demande beaucoup de discipline pour la déconstruction. Le contexte d’un monastère bouddhiste dans l’Himalaya, à côté de Darjeeling, dans les contreforts de l’Himalaya, côté indien, est particulièrement propice à cette transformation. Et après il y a tout un long parcours qui m’a fait partir du monastère du côté indien de l’Himalaya, pour passer de l’autre côté, côté tibétain de l’Himalaya, donc le Tibet en Chine, où j’ai vécu 18 ans de nouveau, quatre ans à Darjeeling et 18 ans basé à Lhassa, où j’étais travailleuse sociale, acteur social pour le changement, pour l’aide aux Tibétains dans le Tibet même, pendant 18 ans.

GRÉGORY : C’est incroyable parce que je pense qu’il y a très peu de gens qui ont une vie comme la tienne. En tout cas, de mon point de vue, évidemment. C’est vrai que c’est drôle parce que quand on s’est rencontrés, je ne sais pas comment tu l’as vécu toi, mais j’ai ressenti une sorte de connexion. On était à une conférence ensemble et je pense que tu étais l’une des premières personnes à qui j’ai parlé finalement. 

MARION : Oui, il y a eu une absence de filtres et de masques, qui permet en fait cette connexion directe, cette ouverture qui est immédiate.

GRÉGORY : Oui, c’est assez fou en réalité. Il y a une question que je me pose quand même comment ta famille réagit, déjà que tu partes à 16 ans à Calcutta, ce n’est pas hyper classique. Et après que tu décides d’aller étudier à Darjeeling et que tu restes ensuite aussi longtemps. Il y a cette dimension aussi malgré tout, quelque part.

MARION : C’est vrai que les codes culturels du bouddhisme tibétain sont tellement éloignés de la vie de ma famille dans la Dordogne profonde, plutôt agricole, que moi-même ça m’a fait un peu perdre pied, quels sont mes repères quelque part. Quand j’ai une famille de sang qui m’élève donc dans une connexion très forte avec le lien avec la nature et qui m’a donné énormément d’amour et énormément de confiance, je crois que le maître mot de toute l’éducation, c’était l’autonomie. Ainsi, cette fameuse autonomie, elle s’est après manifesté dans les choix que j’ai fait d’aller vivre en Asie, dans l’Himalaya, dans un monastère bouddhiste, au milieu de moines, alors que j’étais une femme parlant une langue qui n’était pas la mienne et qui est très éloignée, en plus de mes codes culturels. Mais cette autonomie, elle est liée aussi à la confiance. C’est-à-dire qu’à partir du moment où mes parents ont comme vision de l’éducation une approche extrêmement ouverte et basée sur la confiance qui a un potentiel chez l’enfant, l’adolescent et chez le jeune adulte  qui cherche à déployer ce potentiel et à s’épanouir, donc ils devaient jouer le jeu jusqu’au bout. Même s’ils n’étaient pas du tout sûr que mes choix étaient les bons, ils ont laissé se dérouler le fil de ses choix et de ce voyage pour voir où ça m’a amené. Et ils ont été témoins, il y a eu un contrat entre nous, témoins d’une transformation positive et ensuite basée sur ce début de transformation entre 16 et 18 ans, il y a eu un contrat en fait de confiance, tout simplement.

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