#206 Comment développer l’esprit critique chez les enfants? Avec Samah Karaki

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#206 Comment développer l'esprit critique chez les enfants? Avec Samah Karaki
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GRÉGORY : On va parler d’esprit critique et d’éducation, mais avant de commencer j’aimerais bien comprendre ce que c’est qu’un esprit critique et est ce que c’est même possible de développer des opinions indépendantes.

SAMAH : Alors, l’esprit critique, on peut dire que c’est un esprit qui se regarde penser, en quelque sorte. Nous avons des automatismes, nous avons une pensée intuitive. Et l’esprit critique, c’est ce regard intérieur, cette critique intérieure qui se regarde, qui regarde son intuition et qui fait un peu un rôle d’arbitre pour décider si je prends ce chemin intuitif ou si je le corrige par la pensée rationnelle. C’est quelque chose qui est, pour dire de la psychologie moderne, William James, il avait déjà parlé de deux systèmes de raisonnement, deux systèmes d’analyse. Il y en a un qui est sans effort, donc intuitif, qui est du coup rapide et un autre qui est coûteux en énergie, qui demande de l’effort et qui est plus lent. Et donc, voilà un peu, on peut se dire à quoi sert l’esprit critique si j’ai un système qui est rapide et qui n’est pas coûteux, pourquoi je ne l’utiliserai pas ? C’est là où l’esprit critique a son rôle, c’est que c’est cette intuition, cette connaissance de l’intérieur, d’ailleurs ça vient du romain, connaissance de l’intérieur, bah elle se trompe pour plusieurs raisons, on peut en citer quelques-unes. La première raison, c’est que d’une façon plus moderne aujourd’hui, on parle d’heuristique quand on parle d’impuissance, un système heuristique ça vient d’où ? Ça vient du grec ancien eurisko, qui veut dire je trouve. Ça veut dire que dans le monde des possibles, je sélectionne une façon de voir les choses, intuitivement, j’invente, je découvre. Sauf que je le fais par au hasard, je ne sélectionne pas au hasard une solution donnée, je vais sélectionner la solution la plus efficiente et la plus cohérente. Ça veut dire quoi ? Je veux donner un exemple chez l’enfant, par exemple. Ça, c’est un exemple de Piaget, qui est un grand pédagogue, il avait observé que les enfants, par exemple, si je leur montre des bâtons, une ligne de bâton, un petit bâtonnet comme ça, par exemple j’en mets cinq bâtonnets rouges et cinq bâtonnets verts et je demande à un enfant de 5 ans est-ce qu’il y a plus de vert que de rouge, lui il va dire non la même chose parce qu’à cinq ans, il est capable de compter 5. Alors maintenant, je prends deux rouges et je les mets à côté donc ça veut dire que la ligne rouge devient plus courte, c’est toujours le même nombre. Je demande à l’enfant de 5 ans, à ton avis, qu’il y a plus de vert ou rouge, ce qu’on appelle l’heuristique longueur, nombre. Pourquoi ? Parce que l’enfant à l’école, on leur apprend que trois canards, quatre canards, cinq canards, etc, et plus la ligne est longue, plus il y a de nombres. Donc pas recherche de cohérence de ce qu’il a déjà appris. Il a associé la longueur aux nombres. Alors, la cohérence, ça continue chez nous, par exemple, on sait que sur les réseaux sociaux, on va tomber dans l’effet bulles, ce qui, en effet, est très décris. Pourquoi ? Parce qu’on cherche à confirmer ce que nous avons déjà, comme association que nous avons déjà fait associations d’idées. Donc, par cette obsession de la cohérence, nous allons rester dans nos certitudes et donc nous allons un peu rejeter tout ce qui est ambigu et ce qui est différent. Donc ça, c’est le premier piège de l’intuition. Un deuxième, c’est qu’intuitivement, on est dans le présent dans le moment présent. Donc, un exemple très simple, c’est la procrastination. Intuitivement, notre cerveau il est fait pour servir le présent, ce qui est une très bonne stratégie, parce que ce cerveau, c’est le cerveau chasseurs cueilleurs qui ne veut pas nécessairement se préoccuper du lendemain parce que je ne suis pas sûr que le lendemain existe, donc je profite, donc je suis câblé pour vouloir me gratifier instantanément. Du coup, je procrastine. Alors une des raisons de la procrastination, c’est que le futur n’existe pas, en fait. Donc quand moi Samah je procrastine quelque chose pour Samah du week-end, je ne la connais pas, parce qu’elle n’existe pas. Et quand je regarde le cerveau de quelqu’un qui pense à lui-même dans le futur, c’est la même activation que s’il pensait à quelqu’un d’autre. Ce qui fait qu’en fait le futur, on n’est pas câblé intuitivement, on n’est pas câblé pour le futur. Une conséquence très dangereuse de ça, c’est qu’on ne fait rien pour la planète, par exemple. C’est-à-dire si je vous dis dans dix ans, il se passera ça, même si je vous dis dans 2 ans, il se passera ça, c’est trop loin, ça n’existe pas. Donc, pour que je puisse faire quelque chose pour mon avenir, il faut que je sorte de mon intuition. Il faut en quelque sorte que je la contrôle cette inhibition. Cette inhibition de l’intuition, c’est elle qui va me permettre de me projeter dans le futur. Troisième raison, ce ne serait que nous sommes aussi câblés pour soi. Ça veut dire qu’intuitivement, une partie dans notre cerveau qui s’active quand je pense à moi-même, quand j’interprète la réalité de mon point de vue. Une autre partie qui s’active quand je suis en train d’interpréter le monde de toi, ça veut dire je me projette dans ta perspective. Et ces deux parties sont en compétition, c’est-à-dire que c’est soit de ma perspective, soit de la tienne et en grande majorité des cas, parce que intuitivement, c’est ma perspective qui est moins coûteuse, qui celle qui est connue. Je vais t’interpréter dans ma propre perspective. Le voyage que je vais faire de ma position égocentrique vers toi, c’est un voyage contre intuitif. Ce qui fait qu’on n’a pas intuitivement de l’empathie pour les autres, et encore plus quand ils nous sont inconnus. Donc, on va avoir l’illusion de les comprendre, parce qu’intuitivement, on est en train de regarder le monde à travers le filtre de nos propres expériences. 

GRÉGORY : Donc en fait ce que tu décris et que l’intuition, c’est un ensemble d’expériences passées sur lequel on se base pour prendre des décisions, c’est ça ?

SAMAH : Oui, en grande majorité. Tout ce que, par exemple, intuitivement, on marche, on a appris à marcher, intuitivement, on conduit un vélo, j’utilise le langage, je suis raciste ou pas, je trouve des stéréotypes, etc, parce que mon intuition, c’est tout le système que j’ai déjà automatisé. Et ça ne signifie pas qu’on n’est pas déjà câblé pour certains automatismes. Par exemple, un bébé de 10 mois, il est câblé pour ne pas aimer la différence, c’est-à-dire qu’en quelque sorte, il est un peu raciste, si vous montrez des images de personnes de couleur de peau noire à un enfant blanc, dont les parents sont blancs, dans son cercle de proches, il n’a pas vu cette couleur de peau, il va avoir une activation dans l’amygdale, qui est le centre qui s’active quand on est en erreur de prédictions négatives ou positives, d’ailleurs. Mais je veux dire qu’il est surpris et n’est pas agréablement surpris. Et donc, ça veut dire qu’on est câblé pour une raison très, très logique aussi de préférer ce qui est familier. D’une manière contradictoire. On veut explorer le nouveau, mais dans le contexte familier. Mais par contre, on peut dire que l’intuition, c’est l’ensemble de ce que nous avons comme automatisme de l’espèce et ce que nous avons appris à travers nos expériences, et bien sûr, ce que nous avons appris à travers la culture. Parce qu’il ne suffit pas non plus du cadre familial. Toute la culture va nous inspirer un système intuitif dans lequel on justifie, c’est ce que j’avais cité comme besoin d’efficience, de cohérence, d’être ancré dans le présent et en soi. Donc, c’est contrairement à ce que le courant de développement personnel va inviter les gens à être dans le présent et à s’écouter, en fait on est tout le temps dans le présent et on fait que s’écouter. L’esprit critique serait d’arrêter un peu et peut être écouter une autre voix dans soi-même, mais qui n’est pas la voie automatique, qui est la voie qui vient dire et si ce n’est pas ça ? Et si, dans le monde du possible, il y aurait peut-être quelque chose à explorer plus lentement, avec beaucoup plus d’efforts, mais qui se rapprocherait de la complexité du monde.

La suite à écouter sur Vlan !

Description de l’épisode

Samah Karaki est une neuroscientifique libanaise, fondatrice du social Brain Institute. Elle a travaillé pendant 10 ans sur l’éducation et la gestion du stress. Elle est l’autrice de “travail en équipe” paru chez Dunod mais avec Samah, j’ai souhaité abordé la problématique de l’éducation et particulièrement de l’esprit critique.

En ce moment, on se bagarre de fake news en fake news et chacun y va de son petit argument. Ce qui nous manque généralement, c’est de l’esprit critique.
Mais alors comment développer une pensée indépendante? Est-ce même possible? Et comment aider ses enfants à muscler cette partie de leur cerveau?
Avec Samah on parle évidemment du fonctionnement de nos cerveaux, de l’intuition (mais d’une manière disruptive), de l’intelligence, des erreurs, des bonnes réponses, de l’éducation, de la plasticité de nos cerveaux et de très nombreux sujets qui a trait à la manière dont nous fonctionnons.
C’est important de comprendre que nos cerveaux n’ont pas beaucoup évolué sur les derniers milliers d’années et donc il est possible de l’analyser et de le comprendre aujourd’hui mais aussi de le manipuler.

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Transcription partielle de l’épisode

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GRÉGORY : On va parler d’esprit critique et d’éducation, mais avant de commencer j’aimerais bien comprendre ce que c’est qu’un esprit critique et est ce que c’est même possible de développer des opinions indépendantes.

SAMAH : Alors, l’esprit critique, on peut dire que c’est un esprit qui se regarde penser, en quelque sorte. Nous avons des automatismes, nous avons une pensée intuitive. Et l’esprit critique, c’est ce regard intérieur, cette critique intérieure qui se regarde, qui regarde son intuition et qui fait un peu un rôle d’arbitre pour décider si je prends ce chemin intuitif ou si je le corrige par la pensée rationnelle. C’est quelque chose qui est, pour dire de la psychologie moderne, William James, il avait déjà parlé de deux systèmes de raisonnement, deux systèmes d’analyse. Il y en a un qui est sans effort, donc intuitif, qui est du coup rapide et un autre qui est coûteux en énergie, qui demande de l’effort et qui est plus lent. Et donc, voilà un peu, on peut se dire à quoi sert l’esprit critique si j’ai un système qui est rapide et qui n’est pas coûteux, pourquoi je ne l’utiliserai pas ? C’est là où l’esprit critique a son rôle, c’est que c’est cette intuition, cette connaissance de l’intérieur, d’ailleurs ça vient du romain, connaissance de l’intérieur, bah elle se trompe pour plusieurs raisons, on peut en citer quelques-unes. La première raison, c’est que d’une façon plus moderne aujourd’hui, on parle d’heuristique quand on parle d’impuissance, un système heuristique ça vient d’où ? Ça vient du grec ancien eurisko, qui veut dire je trouve. Ça veut dire que dans le monde des possibles, je sélectionne une façon de voir les choses, intuitivement, j’invente, je découvre. Sauf que je le fais par au hasard, je ne sélectionne pas au hasard une solution donnée, je vais sélectionner la solution la plus efficiente et la plus cohérente. Ça veut dire quoi ? Je veux donner un exemple chez l’enfant, par exemple. Ça, c’est un exemple de Piaget, qui est un grand pédagogue, il avait observé que les enfants, par exemple, si je leur montre des bâtons, une ligne de bâton, un petit bâtonnet comme ça, par exemple j’en mets cinq bâtonnets rouges et cinq bâtonnets verts et je demande à un enfant de 5 ans est-ce qu’il y a plus de vert que de rouge, lui il va dire non la même chose parce qu’à cinq ans, il est capable de compter 5. Alors maintenant, je prends deux rouges et je les mets à côté donc ça veut dire que la ligne rouge devient plus courte, c’est toujours le même nombre. Je demande à l’enfant de 5 ans, à ton avis, qu’il y a plus de vert ou rouge, ce qu’on appelle l’heuristique longueur, nombre. Pourquoi ? Parce que l’enfant à l’école, on leur apprend que trois canards, quatre canards, cinq canards, etc, et plus la ligne est longue, plus il y a de nombres. Donc pas recherche de cohérence de ce qu’il a déjà appris. Il a associé la longueur aux nombres. Alors, la cohérence, ça continue chez nous, par exemple, on sait que sur les réseaux sociaux, on va tomber dans l’effet bulles, ce qui, en effet, est très décris. Pourquoi ? Parce qu’on cherche à confirmer ce que nous avons déjà, comme association que nous avons déjà fait associations d’idées. Donc, par cette obsession de la cohérence, nous allons rester dans nos certitudes et donc nous allons un peu rejeter tout ce qui est ambigu et ce qui est différent. Donc ça, c’est le premier piège de l’intuition. Un deuxième, c’est qu’intuitivement, on est dans le présent dans le moment présent. Donc, un exemple très simple, c’est la procrastination. Intuitivement, notre cerveau il est fait pour servir le présent, ce qui est une très bonne stratégie, parce que ce cerveau, c’est le cerveau chasseurs cueilleurs qui ne veut pas nécessairement se préoccuper du lendemain parce que je ne suis pas sûr que le lendemain existe, donc je profite, donc je suis câblé pour vouloir me gratifier instantanément. Du coup, je procrastine. Alors une des raisons de la procrastination, c’est que le futur n’existe pas, en fait. Donc quand moi Samah je procrastine quelque chose pour Samah du week-end, je ne la connais pas, parce qu’elle n’existe pas. Et quand je regarde le cerveau de quelqu’un qui pense à lui-même dans le futur, c’est la même activation que s’il pensait à quelqu’un d’autre. Ce qui fait qu’en fait le futur, on n’est pas câblé intuitivement, on n’est pas câblé pour le futur. Une conséquence très dangereuse de ça, c’est qu’on ne fait rien pour la planète, par exemple. C’est-à-dire si je vous dis dans dix ans, il se passera ça, même si je vous dis dans 2 ans, il se passera ça, c’est trop loin, ça n’existe pas. Donc, pour que je puisse faire quelque chose pour mon avenir, il faut que je sorte de mon intuition. Il faut en quelque sorte que je la contrôle cette inhibition. Cette inhibition de l’intuition, c’est elle qui va me permettre de me projeter dans le futur. Troisième raison, ce ne serait que nous sommes aussi câblés pour soi. Ça veut dire qu’intuitivement, une partie dans notre cerveau qui s’active quand je pense à moi-même, quand j’interprète la réalité de mon point de vue. Une autre partie qui s’active quand je suis en train d’interpréter le monde de toi, ça veut dire je me projette dans ta perspective. Et ces deux parties sont en compétition, c’est-à-dire que c’est soit de ma perspective, soit de la tienne et en grande majorité des cas, parce que intuitivement, c’est ma perspective qui est moins coûteuse, qui celle qui est connue. Je vais t’interpréter dans ma propre perspective. Le voyage que je vais faire de ma position égocentrique vers toi, c’est un voyage contre intuitif. Ce qui fait qu’on n’a pas intuitivement de l’empathie pour les autres, et encore plus quand ils nous sont inconnus. Donc, on va avoir l’illusion de les comprendre, parce qu’intuitivement, on est en train de regarder le monde à travers le filtre de nos propres expériences. 

GRÉGORY : Donc en fait ce que tu décris et que l’intuition, c’est un ensemble d’expériences passées sur lequel on se base pour prendre des décisions, c’est ça ?

SAMAH : Oui, en grande majorité. Tout ce que, par exemple, intuitivement, on marche, on a appris à marcher, intuitivement, on conduit un vélo, j’utilise le langage, je suis raciste ou pas, je trouve des stéréotypes, etc, parce que mon intuition, c’est tout le système que j’ai déjà automatisé. Et ça ne signifie pas qu’on n’est pas déjà câblé pour certains automatismes. Par exemple, un bébé de 10 mois, il est câblé pour ne pas aimer la différence, c’est-à-dire qu’en quelque sorte, il est un peu raciste, si vous montrez des images de personnes de couleur de peau noire à un enfant blanc, dont les parents sont blancs, dans son cercle de proches, il n’a pas vu cette couleur de peau, il va avoir une activation dans l’amygdale, qui est le centre qui s’active quand on est en erreur de prédictions négatives ou positives, d’ailleurs. Mais je veux dire qu’il est surpris et n’est pas agréablement surpris. Et donc, ça veut dire qu’on est câblé pour une raison très, très logique aussi de préférer ce qui est familier. D’une manière contradictoire. On veut explorer le nouveau, mais dans le contexte familier. Mais par contre, on peut dire que l’intuition, c’est l’ensemble de ce que nous avons comme automatisme de l’espèce et ce que nous avons appris à travers nos expériences, et bien sûr, ce que nous avons appris à travers la culture. Parce qu’il ne suffit pas non plus du cadre familial. Toute la culture va nous inspirer un système intuitif dans lequel on justifie, c’est ce que j’avais cité comme besoin d’efficience, de cohérence, d’être ancré dans le présent et en soi. Donc, c’est contrairement à ce que le courant de développement personnel va inviter les gens à être dans le présent et à s’écouter, en fait on est tout le temps dans le présent et on fait que s’écouter. L’esprit critique serait d’arrêter un peu et peut être écouter une autre voix dans soi-même, mais qui n’est pas la voie automatique, qui est la voie qui vient dire et si ce n’est pas ça ? Et si, dans le monde du possible, il y aurait peut-être quelque chose à explorer plus lentement, avec beaucoup plus d’efforts, mais qui se rapprocherait de la complexité du monde.

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