#202 Est-ce que la fête est finie? Avec Jeremie Peltier

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JÉRÉMIE : Bien sûr, il faut faire la fête, il faut toujours faire la fête pour décompresser, pour s’aérer la tête, s’aérer l’esprit et pour se changer les idées, notamment dans un moment où on reparle du virus, on reparle du Covid, on reparle de confinement, on nous reparle de masque obligatoire, etc. Donc, je crois que s’il y a justement un moment où il faut faire la fête avant que tout ne referme, c’est justement maintenant, et c’est justement ce weekend.

GRÉGORY : Est-ce qu’il y a, et c’est ce que tu décris un peu dans ton bouquin, une sorte de … alors peut être qu’on peut d’abord commencer par “C’est quoi la fête?” Ça peut être une bonne bonne question à se poser au début.

JÉRÉMIE : T’as raison, c’est une bonne question d’introduction. La fête, c’est un peu ce que je disais au tout début, c’est un moment séparé du reste de notre vie quotidienne. C’est un moment séparé, tu vois de notre banalité et de la misère, un peu de notre quotidien. C’est un moment à part où, justement, on laisse de côté le temps d’une soirée où le temps du week end, nos problèmes perso, nos problèmes d’argent, nos problèmes de famille, nos problèmes de coeur. C’est un moment où on laisse en dehors de la piste de danse, où on laisse sur le pas de la porte tous nos petits soucis du quotidien, tous nos petites angoisses et tous nos petits problèmes personnels pour penser à autre chose et pour s’aérer un peu l’esprit et s’aérer les idées. Et puis, il y a un élément je pense qui est très important quand on parle de fête, c’est la dimension collective de la fête et c’est pour ça que moi, le sujet il m’a intéressé, il m’amusé, c’est connaître la fête, dit beaucoup de notre rapport au collectif, et la fête, par définition, c’est un rapport au collectif. On ne fait pas la fête tout seul. Tu fais pas toi la fête tout seul, dans ton appart, à la maison. Ça arrive, je ne te jette pas la pierre, mais je pense que la fête individuelle est la fête solitaire, la fête en apéro zoom n’est pas la fête. Tu vois pour un phénomène que les uns et les autres ont peut être encore en tête, quand bien même on est sorti de confinement depuis maintenant, un petit moment. Et donc, voilà la fête, c’est moments séparés du reste, au moment où on laisse de côté ses problèmes perso et au moment où on est avec les autres, c’est un moment collectif par essence.

GRÉGORY : Et alors justement, tu parles de moment collectif, mais est ce que Instagram, et de manière plus générale, les réseaux sociaux, ça va pas un peu tué ça? Ça a pas un peu cassé, justement, cet esprit de la fête. Est ce que, à l’inverse, d’être dans une célébration de la vie, on n’est pas dans une célébration de soi quand on fait la fête aujourd’hui?

JÉRÉMIE : Si absolument, c’est exactement ça, je pense. En tout cas dans ce qui a abîmé la fête, les téléphones et les réseaux sociaux, effectivement, ont une grosse part de responsabilité. Il y a une phrase que j’aime bien, c’est 50% de la fête. C’est la façon dont on la raconte. La moitié de la fête, c’est la façon dont on la raconte. En gros, on a tous l’expérience d’un lendemain de fête où on passe deux heures ou trois heures au téléphone avec nos potes qui étaient avec nous en train de faire la fête ou alors qu’ils n’étaient pas là. Mais on passe du temps au téléphone avec eux pour se remémorer ce qui s’est passé, pour leur raconter ce qui s’est passé. Pour se dire, ah, tu te souviens, à deux heures du matin, à un moment donné, telle ou telle personne a été dansé avec telle ou telle personne. Et tu te souviens quand à trois heures on est finalement partis à une autre soirée, ou quand la soirée a commencé à dégénérer. Voilà la fête. Il y a une part de récit qui est très importante dans la fête. Le problème, c’est qu’on fait avec les réseaux sociaux, avec Instagram, avec Facebook et avec toutes les applications qu’on connaît. La fête, elle, se raconte maintenant en direct. Et c’est à dire qu’on a tous l’expérience de gens qui passent leur temps lors d’une soirée à prendre en photo, en direct, ce qu’ils sont en train de voir et ce qu’ils sont en train de vivre, filmer même en direct, des moments de danse, des moments de chant et filmer en direct. Un peu comme toi, un journaliste de chaîne d’info en continu qui, quasiment, te tiendrais informé minute par minute de l’évolution de la situation. Bon, ben ça, ça casse le récit de la fête, parce que par définition, finalement, le lendemain, on n’a plus rien à raconter, parce que tous les gens qui étaient autour de toi, de toute façon, ont fait exactement la même chose que toi, à savoir la filmer. Et tous les gens qui n’étaient pas à la soirée, tous des gens qui n’étaient pas en train de faire la fête avec vous ont vu exactement ce que vous avez fait et ce que vous avez passé et le temps que vous avez passé lors de la soirée parce que ils l’ont vu sur les réseaux, ils l’ont vu sur un insta, ils ont eu sur Facebook. Donc effectivement, les réseaux, ça a beaucoup abîmé et ça a rendu malade la fête dans cette absence maintenant de récit qu’on en fait le lendemain. Et évidemment, c’était aussi le début de la question, ça abime beaucoup la fête parce que c’est le signe, en tout cas, d’une société quand même très narcissique. Parce que quand les uns et les autres filment, ils filment pas forcément les gens qui sont autour d’eux, mais ils se filment eux mêmes, ils se prennent en selfie, ils se filment eux mêmes en train de faire la fête et c’est pour ça que je pense que tous ces outils là, en fait, ont créé un phénomène qui fait qu’on se regarde beaucoup plus faire la fête, qu’on ne la fait. Et c’est ça qui abîme la fête collective spontanée avec autrui tel qu’on l’entendait par le passé.

GRÉGORY : Peut être qu’il faudrait interdire les téléphones ?

JÉRÉMIE : Totalement. Mais moi, je suis grand partisan de ça. D’ailleurs, tu as des boîtes de nuit en Allemagne qui ont commencé justement à s’y mettre et qui ont commencé, à poser comme condition, et à imposer comme condition pour entrer dans la boîte en question, que des téléphones et que vos téléphones devaient être posés dans le vestiaire. Un peu comme on pose des téléphones avant de rentrer dans un conseil des ministres. Je ne suis pas ministre et je n’ai jamais été et ça m’est jamais arrivé. Mais je sais que ça se passe comme ça pour le coup. Et effectivement, je trouve ça très bien qu’un moment donné, on pose les téléphones et qu’on les laisse en dehors de la piste de danse, parce qu’au delà du fait que avec vos téléphones, en fait, vous vous gachez vous même le moment parce que vous ne profitez pas des autres et vous filmez en direct le truc, le récit, comme je l’ai évoqué tout à l’heure. Ça crée aussi des comportements assez standardisés et assez artificiels parce que, par définition, vous avez plein de gens qui vont se comporter d’une façon très différente parce qu’ils savent que ils peuvent avoir le risque d’être filmés, ils peuvent avoir le risque d’être pris en photo et personne n’a envie de se retrouver en photo le lendemain sur les réseaux sociaux ou dans un film, sur les réseaux sociaux, en train de danser ou en train de faire le fou. Parce que l’image qu’on a de nous dans une fête n’est absolument pas l’image que l’on renvoie quand on est dans la sphère professionnelle, par exemple. Le problème des téléphones dans une fête, c’est que ça aseptise beaucoup les comportements, les attitudes, on s’empêche de faire beaucoup de choses par crainte d’être filmé, par crainte d’être pris en photo et par ailleurs, ça crée des attitudes, des comportements qui sont justement liés au fait d’être pris en photo. On a tous l’expérience d’amis à nous ou de nous même d’ailleurs, qui faisons une pause où on se mettons à chanter d’une façon très particulière parce qu’on sait qu’on est en train d’être filmé. Et donc, on se met en scène et on se met en pause. Et bien ça, ça annihile beaucoup un comportement et une attitude légère qu’on devrait normalement avoir dans une fête. Mais la légèreté qui disparaît effectivement à partir du moment où on sait qu’on est filmé en direct. Un peu comme quand un responsable politique qui filmait aussi lors d’un déplacement ministériel.

GRÉGORY : Ça, c’est hyper intéressant parce qu’effectivement, tu vois, moi ça m’a toujours marqué, sur les réseaux sociaux des gens qui parfois c’est tu vois le début de la story et en fait, ils ne font rien et ils sentent qu’ils sont filmés, du coup ils commencent à danser de manière un peu forte on va dire. Parce qu’il y a aussi peut être cette injonction à la fête, c’est à dire il faut être heureux, il faut montrer que tout va bien. Est-ce qu’il a pas justement un peu une injonction à cette fête, est ce qu’on n’est pas dans une époque qui est supposée hyper festive?

JÉRÉMIE : Si, si seulement il y a un truc où justement, c’était très frappant au tout début du confinement, la façon dont les uns et les autres ont mis en scène leur bonheur, ont mis en scène leur petite vie cool, etc. Pour bien montrer que leur vie restait cool, leur vie restait agréable et leur vie restait excitante et palpitante. Et il y a une espèce d’injonction de l’époque dans laquelle on est à montrer qu’on vit des moments cool, à de montrer qu’on vit des moments sympa, à montrer que notre existence est sympa et un peu cool. C’est un peu la compétition du bonheur sur les réseaux sociaux, sur Instagram, sur Facebook et tout. Donc, oui, il y a une espèce d’injonction qui crée beaucoup de comportements, un peu factice et une espèce de compétition de photos cool effectivement sur les réseaux. Et par ailleurs. Tu parles du festivation et effectivement, c’est ça. C’est un sujet que j’ai abordé dans le livre, ça a été théorisé par un écrivain qui s’appelle Philippe Muray. Et la festivisation, effectivement, c’est le sentiment que finalement, ça peut être la fête tout le temps. Et il peut y avoir de la fête partout Alors que par définition, pour revenir sur ce qu’on se disait au début de l’émission, la fête, c’est vraiment un moment à part, c’est un moment séparé. Pour qu’il y ait “fête”, ça veut dire qu’il y a des moments où il n’y a pas de fête. Sinon, la fête, par essence, elle disparaît et elle perd de son intérêt. Sauf que l’époque effectivement, dans laquelle on est, il y a un côté fête permanente. Alors c’est pas de vraie fête, mais c’est des éléments et des outils, des monuments qui prennent la trace d’une fête. Tu te balades dans des magasins, par exemple dans le magasin Sephora, sur les Champs Élysées, t’as le sentiment de rentrer dans une espèce de boîte de nuit avec le son d’un DJ, avec du parfum partout, qui donne le sentiment d’être dans une boîte avec tout un tas d’individus parfumés à outrance, etc. Tu te balades dans les rues des grandes métropoles et dans les grandes villes, tout est fait pour te donner une espèce d’expérience un peu cool, un peu festive, comme si un peu tu te baladais dans un parc d’attractions, balle à toi, dans des monuments historiques qui portent pourtant beaucoup de gravité et qui ne sont par essence pas très festif. Et tu t’aperçois que de plus en plus de monuments pareils intrigue. Une partie un peu cool, un peu sympa pour donner le sentiment que si c’est un peu une fête, je suis hyper frappé de voir que des musées comme le Musée de l’immigration à Paris, qui pourtant par essence plein de gravité et qui n’est pas le truc le plus drôle et le plus festif. Et c’est très bien puisque fouille et fouille justement des endroits pleins de gravité. Plein de tonnerre. Le musée l’Immigration accueille chaque année la Fashion Week et accueille des défilés de la Fashion Week, comme pour montrer que le cool peut être partout et que la fête peut être partout. Et quand la fête est partout. Finalement, ça signifie que la fête, elle est nulle part. Et ça veut dire que la fête qu’on connaît effectivement le vendredi soir, le samedi soir, est diluée dans ce flux permanent du festif dont on a le sentiment qu’il est un peu partout.

Description de l’épisode

Jeremie Peltier est le directeur des études de la fondation Jean Jaurès mais aussi le directeur d’une collection aux éditions de l’aube. Il a également été nommé parmi les “nouveaux intellos” par le magazine l’Opinion.
Il est déjà venu sur ce podcast pour nous parler du divertissement mais cette fois nous allons parler de la fête.
Il vient de faire paraître un petit ouvrage “la fête est finie” aux éditions de l’Observatoire dans lequel il part évidemment du confinement mais pour creuser cette notion autour de la fête.
Entre le rôle des téléphones portables, des réseaux sociaux mais aussi des sites de rencontres. Sommes nous encore capables de véritablement faire la fête?

Un sujet totalement à propos pour débuter l’année je crois!
En réalité, il y a une injonction à être heureux et à faire la fête en permanence mais si nous faisons la fête en permanence, est-ce que justement ce n’est pas la mort de la fête justement?

Je vous souhaite une bonne année, festive mais surtout sereine.

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Transcription partielle de l’épisode

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#202 Est-ce que la fête est finie? Avec Jeremie Peltier
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JÉRÉMIE : Bien sûr, il faut faire la fête, il faut toujours faire la fête pour décompresser, pour s’aérer la tête, s’aérer l’esprit et pour se changer les idées, notamment dans un moment où on reparle du virus, on reparle du Covid, on reparle de confinement, on nous reparle de masque obligatoire, etc. Donc, je crois que s’il y a justement un moment où il faut faire la fête avant que tout ne referme, c’est justement maintenant, et c’est justement ce weekend.

GRÉGORY : Est-ce qu’il y a, et c’est ce que tu décris un peu dans ton bouquin, une sorte de … alors peut être qu’on peut d’abord commencer par “C’est quoi la fête?” Ça peut être une bonne bonne question à se poser au début.

JÉRÉMIE : T’as raison, c’est une bonne question d’introduction. La fête, c’est un peu ce que je disais au tout début, c’est un moment séparé du reste de notre vie quotidienne. C’est un moment séparé, tu vois de notre banalité et de la misère, un peu de notre quotidien. C’est un moment à part où, justement, on laisse de côté le temps d’une soirée où le temps du week end, nos problèmes perso, nos problèmes d’argent, nos problèmes de famille, nos problèmes de coeur. C’est un moment où on laisse en dehors de la piste de danse, où on laisse sur le pas de la porte tous nos petits soucis du quotidien, tous nos petites angoisses et tous nos petits problèmes personnels pour penser à autre chose et pour s’aérer un peu l’esprit et s’aérer les idées. Et puis, il y a un élément je pense qui est très important quand on parle de fête, c’est la dimension collective de la fête et c’est pour ça que moi, le sujet il m’a intéressé, il m’amusé, c’est connaître la fête, dit beaucoup de notre rapport au collectif, et la fête, par définition, c’est un rapport au collectif. On ne fait pas la fête tout seul. Tu fais pas toi la fête tout seul, dans ton appart, à la maison. Ça arrive, je ne te jette pas la pierre, mais je pense que la fête individuelle est la fête solitaire, la fête en apéro zoom n’est pas la fête. Tu vois pour un phénomène que les uns et les autres ont peut être encore en tête, quand bien même on est sorti de confinement depuis maintenant, un petit moment. Et donc, voilà la fête, c’est moments séparés du reste, au moment où on laisse de côté ses problèmes perso et au moment où on est avec les autres, c’est un moment collectif par essence.

GRÉGORY : Et alors justement, tu parles de moment collectif, mais est ce que Instagram, et de manière plus générale, les réseaux sociaux, ça va pas un peu tué ça? Ça a pas un peu cassé, justement, cet esprit de la fête. Est ce que, à l’inverse, d’être dans une célébration de la vie, on n’est pas dans une célébration de soi quand on fait la fête aujourd’hui?

JÉRÉMIE : Si absolument, c’est exactement ça, je pense. En tout cas dans ce qui a abîmé la fête, les téléphones et les réseaux sociaux, effectivement, ont une grosse part de responsabilité. Il y a une phrase que j’aime bien, c’est 50% de la fête. C’est la façon dont on la raconte. La moitié de la fête, c’est la façon dont on la raconte. En gros, on a tous l’expérience d’un lendemain de fête où on passe deux heures ou trois heures au téléphone avec nos potes qui étaient avec nous en train de faire la fête ou alors qu’ils n’étaient pas là. Mais on passe du temps au téléphone avec eux pour se remémorer ce qui s’est passé, pour leur raconter ce qui s’est passé. Pour se dire, ah, tu te souviens, à deux heures du matin, à un moment donné, telle ou telle personne a été dansé avec telle ou telle personne. Et tu te souviens quand à trois heures on est finalement partis à une autre soirée, ou quand la soirée a commencé à dégénérer. Voilà la fête. Il y a une part de récit qui est très importante dans la fête. Le problème, c’est qu’on fait avec les réseaux sociaux, avec Instagram, avec Facebook et avec toutes les applications qu’on connaît. La fête, elle, se raconte maintenant en direct. Et c’est à dire qu’on a tous l’expérience de gens qui passent leur temps lors d’une soirée à prendre en photo, en direct, ce qu’ils sont en train de voir et ce qu’ils sont en train de vivre, filmer même en direct, des moments de danse, des moments de chant et filmer en direct. Un peu comme toi, un journaliste de chaîne d’info en continu qui, quasiment, te tiendrais informé minute par minute de l’évolution de la situation. Bon, ben ça, ça casse le récit de la fête, parce que par définition, finalement, le lendemain, on n’a plus rien à raconter, parce que tous les gens qui étaient autour de toi, de toute façon, ont fait exactement la même chose que toi, à savoir la filmer. Et tous les gens qui n’étaient pas à la soirée, tous des gens qui n’étaient pas en train de faire la fête avec vous ont vu exactement ce que vous avez fait et ce que vous avez passé et le temps que vous avez passé lors de la soirée parce que ils l’ont vu sur les réseaux, ils l’ont vu sur un insta, ils ont eu sur Facebook. Donc effectivement, les réseaux, ça a beaucoup abîmé et ça a rendu malade la fête dans cette absence maintenant de récit qu’on en fait le lendemain. Et évidemment, c’était aussi le début de la question, ça abime beaucoup la fête parce que c’est le signe, en tout cas, d’une société quand même très narcissique. Parce que quand les uns et les autres filment, ils filment pas forcément les gens qui sont autour d’eux, mais ils se filment eux mêmes, ils se prennent en selfie, ils se filment eux mêmes en train de faire la fête et c’est pour ça que je pense que tous ces outils là, en fait, ont créé un phénomène qui fait qu’on se regarde beaucoup plus faire la fête, qu’on ne la fait. Et c’est ça qui abîme la fête collective spontanée avec autrui tel qu’on l’entendait par le passé.

GRÉGORY : Peut être qu’il faudrait interdire les téléphones ?

JÉRÉMIE : Totalement. Mais moi, je suis grand partisan de ça. D’ailleurs, tu as des boîtes de nuit en Allemagne qui ont commencé justement à s’y mettre et qui ont commencé, à poser comme condition, et à imposer comme condition pour entrer dans la boîte en question, que des téléphones et que vos téléphones devaient être posés dans le vestiaire. Un peu comme on pose des téléphones avant de rentrer dans un conseil des ministres. Je ne suis pas ministre et je n’ai jamais été et ça m’est jamais arrivé. Mais je sais que ça se passe comme ça pour le coup. Et effectivement, je trouve ça très bien qu’un moment donné, on pose les téléphones et qu’on les laisse en dehors de la piste de danse, parce qu’au delà du fait que avec vos téléphones, en fait, vous vous gachez vous même le moment parce que vous ne profitez pas des autres et vous filmez en direct le truc, le récit, comme je l’ai évoqué tout à l’heure. Ça crée aussi des comportements assez standardisés et assez artificiels parce que, par définition, vous avez plein de gens qui vont se comporter d’une façon très différente parce qu’ils savent que ils peuvent avoir le risque d’être filmés, ils peuvent avoir le risque d’être pris en photo et personne n’a envie de se retrouver en photo le lendemain sur les réseaux sociaux ou dans un film, sur les réseaux sociaux, en train de danser ou en train de faire le fou. Parce que l’image qu’on a de nous dans une fête n’est absolument pas l’image que l’on renvoie quand on est dans la sphère professionnelle, par exemple. Le problème des téléphones dans une fête, c’est que ça aseptise beaucoup les comportements, les attitudes, on s’empêche de faire beaucoup de choses par crainte d’être filmé, par crainte d’être pris en photo et par ailleurs, ça crée des attitudes, des comportements qui sont justement liés au fait d’être pris en photo. On a tous l’expérience d’amis à nous ou de nous même d’ailleurs, qui faisons une pause où on se mettons à chanter d’une façon très particulière parce qu’on sait qu’on est en train d’être filmé. Et donc, on se met en scène et on se met en pause. Et bien ça, ça annihile beaucoup un comportement et une attitude légère qu’on devrait normalement avoir dans une fête. Mais la légèreté qui disparaît effectivement à partir du moment où on sait qu’on est filmé en direct. Un peu comme quand un responsable politique qui filmait aussi lors d’un déplacement ministériel.

GRÉGORY : Ça, c’est hyper intéressant parce qu’effectivement, tu vois, moi ça m’a toujours marqué, sur les réseaux sociaux des gens qui parfois c’est tu vois le début de la story et en fait, ils ne font rien et ils sentent qu’ils sont filmés, du coup ils commencent à danser de manière un peu forte on va dire. Parce qu’il y a aussi peut être cette injonction à la fête, c’est à dire il faut être heureux, il faut montrer que tout va bien. Est-ce qu’il a pas justement un peu une injonction à cette fête, est ce qu’on n’est pas dans une époque qui est supposée hyper festive?

JÉRÉMIE : Si, si seulement il y a un truc où justement, c’était très frappant au tout début du confinement, la façon dont les uns et les autres ont mis en scène leur bonheur, ont mis en scène leur petite vie cool, etc. Pour bien montrer que leur vie restait cool, leur vie restait agréable et leur vie restait excitante et palpitante. Et il y a une espèce d’injonction de l’époque dans laquelle on est à montrer qu’on vit des moments cool, à de montrer qu’on vit des moments sympa, à montrer que notre existence est sympa et un peu cool. C’est un peu la compétition du bonheur sur les réseaux sociaux, sur Instagram, sur Facebook et tout. Donc, oui, il y a une espèce d’injonction qui crée beaucoup de comportements, un peu factice et une espèce de compétition de photos cool effectivement sur les réseaux. Et par ailleurs. Tu parles du festivation et effectivement, c’est ça. C’est un sujet que j’ai abordé dans le livre, ça a été théorisé par un écrivain qui s’appelle Philippe Muray. Et la festivisation, effectivement, c’est le sentiment que finalement, ça peut être la fête tout le temps. Et il peut y avoir de la fête partout Alors que par définition, pour revenir sur ce qu’on se disait au début de l’émission, la fête, c’est vraiment un moment à part, c’est un moment séparé. Pour qu’il y ait “fête”, ça veut dire qu’il y a des moments où il n’y a pas de fête. Sinon, la fête, par essence, elle disparaît et elle perd de son intérêt. Sauf que l’époque effectivement, dans laquelle on est, il y a un côté fête permanente. Alors c’est pas de vraie fête, mais c’est des éléments et des outils, des monuments qui prennent la trace d’une fête. Tu te balades dans des magasins, par exemple dans le magasin Sephora, sur les Champs Élysées, t’as le sentiment de rentrer dans une espèce de boîte de nuit avec le son d’un DJ, avec du parfum partout, qui donne le sentiment d’être dans une boîte avec tout un tas d’individus parfumés à outrance, etc. Tu te balades dans les rues des grandes métropoles et dans les grandes villes, tout est fait pour te donner une espèce d’expérience un peu cool, un peu festive, comme si un peu tu te baladais dans un parc d’attractions, balle à toi, dans des monuments historiques qui portent pourtant beaucoup de gravité et qui ne sont par essence pas très festif. Et tu t’aperçois que de plus en plus de monuments pareils intrigue. Une partie un peu cool, un peu sympa pour donner le sentiment que si c’est un peu une fête, je suis hyper frappé de voir que des musées comme le Musée de l’immigration à Paris, qui pourtant par essence plein de gravité et qui n’est pas le truc le plus drôle et le plus festif. Et c’est très bien puisque fouille et fouille justement des endroits pleins de gravité. Plein de tonnerre. Le musée l’Immigration accueille chaque année la Fashion Week et accueille des défilés de la Fashion Week, comme pour montrer que le cool peut être partout et que la fête peut être partout. Et quand la fête est partout. Finalement, ça signifie que la fête, elle est nulle part. Et ça veut dire que la fête qu’on connaît effectivement le vendredi soir, le samedi soir, est diluée dans ce flux permanent du festif dont on a le sentiment qu’il est un peu partout.

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