#192 Feminisme washing: On claque la porte? Avec Léa Lejeune

VLAN! Podcast
VLAN! Podcast
#192 Feminisme washing: On claque la porte? Avec Léa Lejeune
Loading
/

GRÉGORY : Donc, vous avez écrit un bouquin qui s’appelle Féminisme Washing, et dans l’introduction, il y a une chose qui me questionne, parce que vous parlez du fait que le féminisme est devenu à la mode. Est-ce que c’est un problème ? Ou est-ce que c’est justement la conséquence nécessaire à ce que le féminisme s’installe ?

LÉA : Je pense qu’effectivement, c’est nécessaire qu’on passe à un moment d’idées qui sont au début minoritaire, qui ont été portées par l’extrême gauche, par des militantes beaucoup en France par des lesbiennes, par des autrices parfois confidentielles. Et donc, c’est nécessaire qu’en fait à un moment, ça dépasse la sphère universitaire et militante et ça devienne quelque chose de grand public pour parler à une génération en entier, pour que chacun puisse se l’approprier avec ses valeurs, son interprétation qui parfois peut être critiquée par les militantes parce que jugés insuffisants ou pas assez puristes. Mais en tout cas, oui, il faut que ça devienne un peu à la mode, ça devienne un peu mainstream et dès le début, je cite au début du livre une étude Harris Interactive qui dit que maintenant, 58% des Français se disent féministes et que ça monte même jusqu’à 77% chez les très jeunes femmes de moins de 25 ans. Et ben oui, c’est un passage obligé.

GRÉGORY : Parce que vous faites effectivement référence à Frida Kahlo, au débardeur, au slogan, etc.  Au futur estimé de Dior, donc, tout ça, en fait, ça montre simplement que ça s’installe comme une sorte de nouvelle normalité et encore qu’on pourrait discuter parce qu’on a vu pendant le confinement qu’il y a eu une sorte de retrait, que ce soit en ce qui concerne la violence faite aux femmes, mais aussi dans des tâches. On a vu ça pendant le confinement des tâches qui étaient mal redistribuées, c’est-à-dire qu’on revoyait le schéma assez ancien de la femme qui s’occupe du foyer et puis du mec qui travaille. Je ne dis pas que c’est évidemment le cas dans tous les foyers, mais on l’a revue quand même. Quelque part, ça s’installe parce que voilà ce qu’on vient de décrire. Et puis de l’autre côté, ça vacille un peu quoi.

LÉA : Oui, c’est ça. En fait, il y a une contradiction par les représentations et les stéréotypes. Là, il y a une évolution qui est nette sur ce qu’on a envie de voir, les images de femmes auxquelles on a envie de s’identifier. Vous citiez Frida Kahlo, les messages féministes ou d’empowerment qu’on porte sur nos tee-shirt et qu’on a envie de partager. Et à la fois la réticence, le recul, les mauvaises habitudes, le fait qu’effectivement, pendant le confinement, du coup, on s’est retourné plus vers le foyer et les femmes ont repris beaucoup plus les tâches dont elles avaient réussi à s’émanciper, donc faire la cuisine, s’occuper des enfants, etc. Et c’est aussi la faute de ces messieurs qui ne se sont pas assez mobilisés pour les aider. Je pense qu’il ne faut pas nier ça. Donc oui, le combat féministe n’est pas terminé tant que ce ne sera pas la norme, tant que les gens nous obligerons plus à nous assigner à un rôle plutôt qu’à un autre et nous ne laisserons pas encore la liberté d’être qui on veut. Tout ça n’est pas terminé.

GRÉGORY : Et en même temps, vous faites vous-même référence au paradoxe de Tocqueville. Peut-être vous pouvez l’expliquer dans ce contexte-là et me dire ce que vous en pensez dans le contexte du féminisme.

LÉA : Alors oui, le paradoxe de Tocqueville, je le cite tout à la fin du livre pour expliquer qu’on peut avoir l’impression par moments, en tant que militante, que ou en tant que jeune femme, qu’on n’est jamais assez près du féminisme, qu’on n’arrive jamais à l’égalité que l’on souhaite et que l’on chérit. En gros, l’idée, le paradoxe de Tocqueville, c’est plus je me rapproche d’une idée ou d’un idéal. Donc, lui, il avait utilisé sur la démocratie en Amérique. Mais plus je me rapproche de cette idée, de cet idéal, plus ça me paraît intolérable, l’écart qui entre cet idéal et ma réalité, plus ça me paraît intolérable que l’égalité salariale ne soit pas là, que l’égalité dans les tâches ménagères ne soit toujours pas atteinte, que les violences faites aux femmes continuent et qu’on continue à avoir des féminicides chaque année. Plus on se rapproche de ça, plus ça nous paraît intolérable. Et notamment moi, je le cite donc tout à la fin, dans les entreprises qui se disent féministes et qui font des efforts pour coller aux idéaux d’égalités, mais qui, par contre, ne respectent pas l’égalité en réalité avec leurs salariés, mais ça on va y revenir peut être plus tard.

GRÉGORY : Forcément parce que du coup, le bouquin s’appelle Féminisme washing, peut être d’abord expliquer ce que c’est que le féminisme washing, même si je pense que les gens maintenant ont une bonne idée parce qu’il y en a tellement parlé de greenwashing que quand on parle de féminisme washing, je pense que ça parle tout seul. Néanmoins, j’aimerais comprendre ce que vous entendez par là et pourquoi vous avez écrit le bouquin.

LÉA : Alors, tout à fait. Donc, le concept est dérivé du greenwashing. Donc, le greenwashing, c’était l’écart entre nos idéaux écologiques et ce que faisaient réellement les entreprises. Donc, le féminisme washing, c’est un concept qui est peu utilisé, en tout cas, moi je lui donne du corps et une définition. Donc c’est la réappropriation par le marketing, la publicité, la communication par les entreprises, des idées et des concepts féministes, donc qui appartiennent au départ au militantisme ou à la politique. Et cette réappropriation qui ne va pas en général avec une manière de bien traiter les femmes en interne dans les entreprises. C’est-à-dire dans les ressources humaines, dans la manière de produire, de réaliser les produits, c’est par exemple les T-shirts qui sont fabriqués au Bangladesh par des femmes sous-payés qui sont dans de mauvaises conditions de travail et derrière, sur lesquelles on met genre “le pouvoir aux femmes”, c’est quelque chose qui en fait est pour moi absurde et qui relève du féminisme washing. L’écart entre la communication et le marketing, et la réalité des femmes dans les entreprises et la société.

GRÉGORY : Ce qui est assez intéressant, c’est que vous citez pleins d’exemples en citant les marques. Donc oui, du coup, on peut y aller. Donc il y a Dior entre autres, H&M, Zara, il y a Nike, moi je pense que c’est un des exemples les plus emblématiques. Parce qu’effectivement, ils ont fait toutes ces campagnes autour de la libération de la femme, de l’empowerment, etc, et en même temps, c’est difficile d’ignorer que les produits sont effectivement faits à moindre coût dans des pays où les femmes ne sont pas forcément très bien traitées.

LÉA : Nike, ce n’est pas moi qui cite cet exemple, il n’est pas vraiment dans le bouquin, il est dans un article qui reprend le bouquin. En fait, pour moi, c’est important de citer les marques, c’est une pratique qui est peu utilisée parce que, justement, on a toujours peur que les marques attaquent les journalistes, par exemple, qui font de l’enquête et qui dénoncent tout ça. On a toujours peur de se brouiller avec des personnes. Pour moi, c’était important de dire les marques, d’abord pour que les jeunes femmes et moins jeunes d’ailleurs, les personnes qui lisent le livre se sentent concernés, qu’elles se rendent compte que c’est dans leur quotidien, dans les vêtements qu’elles achètent, le maquillage qu’elles mettent sur leur visage, les marques un peu chouchou qu’elles suivent sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram. Je voulais montrer qu’en fait, ça touchait tout le monde, que ce n’était pas juste un truc des grandes entreprises, etc. Donc oui oui oui effectivement sur Nike, il y a un truc comme ça, sur Dior il y a quelque chose comme ça. Et en fait, on se rend compte que le prix que l’on paye ces objets-là ne va pas dans les poches des personnes qui les fabriquent, mais beaucoup dans le marketing et la publicité. En fait, l’échelle de valeurs est faite de telle manière que ce sont rarement les femmes qui les fabriquent à l’origine qui en bénéficient.

Description de l’épisode

Lea Lejeune est journaliste, elle est l’autrice de Feminism Washing, ouvrage dans lequel elle s’est intéressée à la manière dont les marques et plus largement les institutions utilisaient l’argument en vogue du féminisme pour se mettre en avant mais ont, par ailleurs, des pratiques très discutables voire carrément de dénigrement des femmes en interne.
Evidemment les marques ont compris que le féminisme était en vogue et en jouent toutes plus ou moins, idem pour les entreprises et leur stratégie de ressources humaines.
S’il est facile de faire des tshirt aux slogans féministes, il est autrement bien plus intéressant de s’assurer des personnes et particulièrement des femmes qui produisent ces tshirt mais aussi de la santé mentale des personnes qui travaillent au bureau.
Cela arrive dans des entreprises dirigées par des hommes mais, étonnamment des femmes se font épinglés également.
Bref, la maltraitance est partout et il est tant de corriger les mauvaises habitudes.

A travers cet épisode Léa nous explique son enquête, ce qu’elle a trouvé et comment justement nous pourrions communément rectifier le tir.

Vous aimerez aussi ces épisodes

Transcription partielle de l’épisode

VLAN! Podcast
VLAN! Podcast
#192 Feminisme washing: On claque la porte? Avec Léa Lejeune
Loading
/

GRÉGORY : Donc, vous avez écrit un bouquin qui s’appelle Féminisme Washing, et dans l’introduction, il y a une chose qui me questionne, parce que vous parlez du fait que le féminisme est devenu à la mode. Est-ce que c’est un problème ? Ou est-ce que c’est justement la conséquence nécessaire à ce que le féminisme s’installe ?

LÉA : Je pense qu’effectivement, c’est nécessaire qu’on passe à un moment d’idées qui sont au début minoritaire, qui ont été portées par l’extrême gauche, par des militantes beaucoup en France par des lesbiennes, par des autrices parfois confidentielles. Et donc, c’est nécessaire qu’en fait à un moment, ça dépasse la sphère universitaire et militante et ça devienne quelque chose de grand public pour parler à une génération en entier, pour que chacun puisse se l’approprier avec ses valeurs, son interprétation qui parfois peut être critiquée par les militantes parce que jugés insuffisants ou pas assez puristes. Mais en tout cas, oui, il faut que ça devienne un peu à la mode, ça devienne un peu mainstream et dès le début, je cite au début du livre une étude Harris Interactive qui dit que maintenant, 58% des Français se disent féministes et que ça monte même jusqu’à 77% chez les très jeunes femmes de moins de 25 ans. Et ben oui, c’est un passage obligé.

GRÉGORY : Parce que vous faites effectivement référence à Frida Kahlo, au débardeur, au slogan, etc.  Au futur estimé de Dior, donc, tout ça, en fait, ça montre simplement que ça s’installe comme une sorte de nouvelle normalité et encore qu’on pourrait discuter parce qu’on a vu pendant le confinement qu’il y a eu une sorte de retrait, que ce soit en ce qui concerne la violence faite aux femmes, mais aussi dans des tâches. On a vu ça pendant le confinement des tâches qui étaient mal redistribuées, c’est-à-dire qu’on revoyait le schéma assez ancien de la femme qui s’occupe du foyer et puis du mec qui travaille. Je ne dis pas que c’est évidemment le cas dans tous les foyers, mais on l’a revue quand même. Quelque part, ça s’installe parce que voilà ce qu’on vient de décrire. Et puis de l’autre côté, ça vacille un peu quoi.

LÉA : Oui, c’est ça. En fait, il y a une contradiction par les représentations et les stéréotypes. Là, il y a une évolution qui est nette sur ce qu’on a envie de voir, les images de femmes auxquelles on a envie de s’identifier. Vous citiez Frida Kahlo, les messages féministes ou d’empowerment qu’on porte sur nos tee-shirt et qu’on a envie de partager. Et à la fois la réticence, le recul, les mauvaises habitudes, le fait qu’effectivement, pendant le confinement, du coup, on s’est retourné plus vers le foyer et les femmes ont repris beaucoup plus les tâches dont elles avaient réussi à s’émanciper, donc faire la cuisine, s’occuper des enfants, etc. Et c’est aussi la faute de ces messieurs qui ne se sont pas assez mobilisés pour les aider. Je pense qu’il ne faut pas nier ça. Donc oui, le combat féministe n’est pas terminé tant que ce ne sera pas la norme, tant que les gens nous obligerons plus à nous assigner à un rôle plutôt qu’à un autre et nous ne laisserons pas encore la liberté d’être qui on veut. Tout ça n’est pas terminé.

GRÉGORY : Et en même temps, vous faites vous-même référence au paradoxe de Tocqueville. Peut-être vous pouvez l’expliquer dans ce contexte-là et me dire ce que vous en pensez dans le contexte du féminisme.

LÉA : Alors oui, le paradoxe de Tocqueville, je le cite tout à la fin du livre pour expliquer qu’on peut avoir l’impression par moments, en tant que militante, que ou en tant que jeune femme, qu’on n’est jamais assez près du féminisme, qu’on n’arrive jamais à l’égalité que l’on souhaite et que l’on chérit. En gros, l’idée, le paradoxe de Tocqueville, c’est plus je me rapproche d’une idée ou d’un idéal. Donc, lui, il avait utilisé sur la démocratie en Amérique. Mais plus je me rapproche de cette idée, de cet idéal, plus ça me paraît intolérable, l’écart qui entre cet idéal et ma réalité, plus ça me paraît intolérable que l’égalité salariale ne soit pas là, que l’égalité dans les tâches ménagères ne soit toujours pas atteinte, que les violences faites aux femmes continuent et qu’on continue à avoir des féminicides chaque année. Plus on se rapproche de ça, plus ça nous paraît intolérable. Et notamment moi, je le cite donc tout à la fin, dans les entreprises qui se disent féministes et qui font des efforts pour coller aux idéaux d’égalités, mais qui, par contre, ne respectent pas l’égalité en réalité avec leurs salariés, mais ça on va y revenir peut être plus tard.

GRÉGORY : Forcément parce que du coup, le bouquin s’appelle Féminisme washing, peut être d’abord expliquer ce que c’est que le féminisme washing, même si je pense que les gens maintenant ont une bonne idée parce qu’il y en a tellement parlé de greenwashing que quand on parle de féminisme washing, je pense que ça parle tout seul. Néanmoins, j’aimerais comprendre ce que vous entendez par là et pourquoi vous avez écrit le bouquin.

LÉA : Alors, tout à fait. Donc, le concept est dérivé du greenwashing. Donc, le greenwashing, c’était l’écart entre nos idéaux écologiques et ce que faisaient réellement les entreprises. Donc, le féminisme washing, c’est un concept qui est peu utilisé, en tout cas, moi je lui donne du corps et une définition. Donc c’est la réappropriation par le marketing, la publicité, la communication par les entreprises, des idées et des concepts féministes, donc qui appartiennent au départ au militantisme ou à la politique. Et cette réappropriation qui ne va pas en général avec une manière de bien traiter les femmes en interne dans les entreprises. C’est-à-dire dans les ressources humaines, dans la manière de produire, de réaliser les produits, c’est par exemple les T-shirts qui sont fabriqués au Bangladesh par des femmes sous-payés qui sont dans de mauvaises conditions de travail et derrière, sur lesquelles on met genre “le pouvoir aux femmes”, c’est quelque chose qui en fait est pour moi absurde et qui relève du féminisme washing. L’écart entre la communication et le marketing, et la réalité des femmes dans les entreprises et la société.

GRÉGORY : Ce qui est assez intéressant, c’est que vous citez pleins d’exemples en citant les marques. Donc oui, du coup, on peut y aller. Donc il y a Dior entre autres, H&M, Zara, il y a Nike, moi je pense que c’est un des exemples les plus emblématiques. Parce qu’effectivement, ils ont fait toutes ces campagnes autour de la libération de la femme, de l’empowerment, etc, et en même temps, c’est difficile d’ignorer que les produits sont effectivement faits à moindre coût dans des pays où les femmes ne sont pas forcément très bien traitées.

LÉA : Nike, ce n’est pas moi qui cite cet exemple, il n’est pas vraiment dans le bouquin, il est dans un article qui reprend le bouquin. En fait, pour moi, c’est important de citer les marques, c’est une pratique qui est peu utilisée parce que, justement, on a toujours peur que les marques attaquent les journalistes, par exemple, qui font de l’enquête et qui dénoncent tout ça. On a toujours peur de se brouiller avec des personnes. Pour moi, c’était important de dire les marques, d’abord pour que les jeunes femmes et moins jeunes d’ailleurs, les personnes qui lisent le livre se sentent concernés, qu’elles se rendent compte que c’est dans leur quotidien, dans les vêtements qu’elles achètent, le maquillage qu’elles mettent sur leur visage, les marques un peu chouchou qu’elles suivent sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram. Je voulais montrer qu’en fait, ça touchait tout le monde, que ce n’était pas juste un truc des grandes entreprises, etc. Donc oui oui oui effectivement sur Nike, il y a un truc comme ça, sur Dior il y a quelque chose comme ça. Et en fait, on se rend compte que le prix que l’on paye ces objets-là ne va pas dans les poches des personnes qui les fabriquent, mais beaucoup dans le marketing et la publicité. En fait, l’échelle de valeurs est faite de telle manière que ce sont rarement les femmes qui les fabriquent à l’origine qui en bénéficient.

Menu