#186 Quel nouveau modèle pour la France avec David Djaiz

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GRÉGORY : Comment on peut aujourd’hui être positif sur l’état du monde et l’état de la France ?

DAVID : Je crois que pour ça, on a besoin d’un modèle de société. Si on n’est pas positif sur la France, s’il y a autant de déclinisme, si autant de gens disent que la France est foutue, que c’est le suicide français, que notre pays est à la dérive, c’est parce que nous n’avons plus un modèle. C’est-à-dire, au fond, une synthèse qui rassemble différents éléments à l’intérieur d’une société et qui nous permet de nous projeter vers l’avenir. Et si nous arrivons à partir de ce qui se fait déjà dans la société française, à construire ce nouveau modèle, alors nous retrouverons un esprit optimiste et positif. Et je crois que c’est la même chose pour le changement climatique. Si aujourd’hui, il y a autant d’échos anxiété, c’est parce que nous ne voyons pas comment nous pouvons nous en sortir. Nous n’avons pas de plan, nous n’avons pas de projet, nous n’avons pas d’ardeur. Et au fond, la question de la France est celle du changement climatique, c’est la même, si nous arrivons à construire un modèle et à nous projeter dans l’avenir, alors nous allons pouvoir aborder ces questions avec confiance.

GRÉGORY : Tu parles d’écologie, ça me fait plaisir parce que même si tu n’es pas un politique en tant que tel, mais tu fais de la philosophie politique. Finalement, le discours sur l’écologie, il n’apparaît pas, bien sûr, les gens en parlent un peu comme ça, les politiques, mais pas trop, ou alors c’est réservé au parti écologiste. Du coup, la question que je me pose, c’est  : est-ce qu’il faut être un militant écologiste pour parler d’écologie ou ça devrait être la base de ce nouveau modèle, justement ?

DAVID : Quand on regarde les enquêtes d’opinion, on voit que l’écologie est un sujet fédérateur en France. 83%, dans une enquête récente, des Français, souhaiteraient qu’on fasse plus pour l’environnement, pour lutter contre le changement climatique. Simplement, je crois qu’on n’aborde pas le problème de la bonne manière. On l’aborde d’une façon problématique sur le thème, il y a un problème et on va le résoudre. Sauf que la question écologique, ce n’est pas juste une question de problème/solving. Ce n’est pas seulement une question de taxe carbone, d’incitation, de finance verte. C’est d’abord une question de récit, c’est-à-dire que si on n’a pas un changement, un pivotement culturel sur cette question, il est très improbable qu’on arrive à embarquer toute la société, toutes les forces productives, toutes les forces sociales. Alors que justement, lutter contre le changement climatique, ralentir, ça suppose un nouveau récit. Et ça ressemble un peu à ce que j’ai essayé de faire dans ce livre pour la France. C’est-à-dire que le point de départ, c’est que ça fait 20 ans qu’on se lamente. Il y a quand même un paradoxe en France, c’est que les Français sont extrêmement pessimistes sur leurs conditions collectives. Il y avait un sondage BVA de 2015 que tu connais peut-être, qui les mettaient presque au niveau des Irakiens, parce que franchement, c’est presque un peu indécent. Quand tu vois ce que traversent les Irakiens qui n’ont quasiment pas d’États qui sont dans une situation de guerre civile avec des attentats tous les jours. Se dire que les Français sont presque aussi pessimistes que les Irakiens, c’est quasiment indécent, et dans le même temps, et c’est là qu’est le paradoxe, les Français sont plutôt satisfaits de leur vie personnelle. Moi, je dis souvent, il y a un malheur public et un bonheur privé. Et en fait, mon livre, c’est une tentative de répondre à cette question, pourquoi est ce qu’il y a un écart entre une satisfaction personnelle qui est élevée et un pessimisme sur l’avenir. Je crois que c’est très lié au fait que nous sommes orphelins d’un véritable modèle français.

GRÉGORY : Et maintenant, je me souviens que tu m’avais dit dans le premier épisode qu’on a enregistré ensemble, que les politiques, ils étaient coincés entre la croissance et le chômage et qu’ils ne savaient pas où mettre l’écologie. Ce matin, j’écoutais France Inter et on parlait encore de croissance, et effectivement, cette croissance économique, on sait que tout le monde est au courant quand même, que ça va s’arrêter. Ils ne savent pas vraiment, j’ai la sensation en tout cas, comment le mettre ? Effectivement, il y eut cette taxe carbone qui a créé le mouvement des gilets jaunes et je pense pour des bonnes raisons, en l’occurrence, Mais j’ai l’impression qu’ils sont perdus, mais effectivement, c’est peut-être à cause d’un manque de modèles.

DAVID : Bien sûr. Perdu parce que pas de modèle, parce que pas de grand récit. Après 1945, je suis reparti dans la France de l’après-guerre parce qu’on se lamente, mais la situation de la France en 1945 elle était bien pire, il y avait 2 millions de déportés et de prisonniers qui n’étaient pas en France à la Libération, il y avait un million de sans domicile fixe, de personnes qui n’avaient pas de logement parce que leur maison avait été bombardée. Les Parisiens, ils avaient la moitié de l’apport calorique journalier. Un quart des infrastructures du pays avaient été détruits. Une locomotive sur 6 fonctionnait, donc je ne te fais pas un dessin. La France, elle était par terre, et plus grave que ça encore, elle était honteuse parce qu’en 1940, elle s’était effondrée face à l’Allemagne et ensuite, il y a eu la tâche de la collaboration. Donc en 1945, si tu veux la France, elle avait tout pour décliner, elle avait tout pour aller vraiment dans une sorte de mort lente. Et qu’est-ce qui s’est passé ? Au contraire, une effervescence et un nouveau modèle français s’est construit autour de trois piliers. Le premier pilier, c’est la confiance dans l’avenir, c’est-à-dire cette idée partagée par toutes les élites de la résistance, que si on se retrousse les manches, demain sera meilleur qu’aujourd’hui. Ça, c’est très important. C’est une disposition d’esprit psychologique. Cette disposition d’esprit psychologique, elle a permis un développement industriel et technologique sans précédent, très centré sur la croissance économique, le TGV, le Concorde, les grands plans sur le nucléaire, etc. C’est un développement économique extrêmement fort, extrêmement rapide, où la France a réellement fait des prouesses, alors que c’est un petit pays comparé aux États-Unis ou à la Russie soviétique d’alors. Et puis, le troisième volet, c’est la Sécurité sociale, c’est-à-dire l’idée, au fond, qu’il va y voir une solidarité entre tous les individus à l’intérieur d’une nation, ce qui n’existait pas avant. Il faut se rendre compte parce que les Français pensent que la Sécurité sociale, c’est naturel, je vais chez le médecin, je ne paye pas ; je suis licencié ou je perds mon emploi, je touche le chômage, j’ai une retraite. Mais non, ça a été arraché de hautes luttes et ça s’est vraiment construit après 1945. Ce modèle français, c’est ça : confiance dans l’avenir, développement industriel et sécurité sociale. Et en fait, ce que je montre dans le livre, c’est qu’à partir des années 70, avec la mondialisation, avec tous ces grands changements, ce modèle s’est détraqué. Tu vois, dans les années 70, par exemple, la génération qui arrive au pouvoir, ce n’est pas la génération de 45, ce n’est pas celle qui avait connu la guerre, la crise économique, donc, ce n’est pas une génération qui est dans l’urgence des lendemains. C’est plutôt une génération qui est dans le temps présent. Donc la confiance en l’avenir, elle s’érode. Ensuite, la mondialisation, c’est l’ouverture des économies, ce sont les crises pétrolières, ce sont les marges des entreprises qui, à cause des prix de l’énergie qui augmentent, se détériorent. Et donc, si tu veux, ce miracle industriel français se détraque. Et donc, il ne reste plus que la partie sociale. La Sécurité sociale, ça continue à fonctionner. Sauf qu’on a moins de développement économique, on a moins de croissance et donc on a de plus en plus de mal à financer le modèle social. Et donc, on entre dans cette spirale que tu connais de l’endettement, des déficits, etc. Et depuis 40 ans, on vit dans ça. On vit dans un modèle qui se délite. 

Description de l’épisode

David Djaiz est un philosophe politique (pas un candidat à la présidentielle), je précise car c’est important de comprendre que l’épisode n’est absolument pas une programme mais une proposition de réflexion pour faire face aux défis qui sont devant nous avec au premier plan l’écologie mais sans que David appartienne un parti écologiste.
Il sort le 15 septembre un nouvel essai “le nouveau modèle français” dans lequel il revient sur ce qui a fait la France car on ne peut pas savoir où l’on va si on ne sait pas d’où l’on vient.
En même temps, David est fatigué de ce discours sur le déclin français, sur un passé magnifié, sur une sécurité d’autrefois totalement illusoire mais dont certains candidats se servent pour faire peur.
J’avoue être moi même fatigué par ces discours sur la sécurité, sur ces solutions analytiques qui n’en sont pas. En réalité, à mon sens, aucun candidat n’a la bonne manière d’aborder les sujets qui sont devant nous. Je ne dis pas avoir les solutions moi même mais clairement les discours que j’entends sont soit totalement à coté de la plaque soit pas assez ambitieux.
Nous avons l’impression collectivement d’être pris au piège, d’être esclave d’un système qui nous entraine à notre propre extinction. Cela peut sembler dingue et pourtant, nous regardons tous faire en se demandant bien par quel bout prendre la problématique qui est bien plus large que nous tous.
Alors avec David, nous avons une discussion sans fard et honnête et parlons de sa proposition autour de l’économie du bien être – et non ce n’est pas un concept sorti d’une séance de méditation ou de Yoga, c’est une proposition sérieuse et documentée d’un nouveau rapport au monde.

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Transcription partielle de l’épisode

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GRÉGORY : Comment on peut aujourd’hui être positif sur l’état du monde et l’état de la France ?

DAVID : Je crois que pour ça, on a besoin d’un modèle de société. Si on n’est pas positif sur la France, s’il y a autant de déclinisme, si autant de gens disent que la France est foutue, que c’est le suicide français, que notre pays est à la dérive, c’est parce que nous n’avons plus un modèle. C’est-à-dire, au fond, une synthèse qui rassemble différents éléments à l’intérieur d’une société et qui nous permet de nous projeter vers l’avenir. Et si nous arrivons à partir de ce qui se fait déjà dans la société française, à construire ce nouveau modèle, alors nous retrouverons un esprit optimiste et positif. Et je crois que c’est la même chose pour le changement climatique. Si aujourd’hui, il y a autant d’échos anxiété, c’est parce que nous ne voyons pas comment nous pouvons nous en sortir. Nous n’avons pas de plan, nous n’avons pas de projet, nous n’avons pas d’ardeur. Et au fond, la question de la France est celle du changement climatique, c’est la même, si nous arrivons à construire un modèle et à nous projeter dans l’avenir, alors nous allons pouvoir aborder ces questions avec confiance.

GRÉGORY : Tu parles d’écologie, ça me fait plaisir parce que même si tu n’es pas un politique en tant que tel, mais tu fais de la philosophie politique. Finalement, le discours sur l’écologie, il n’apparaît pas, bien sûr, les gens en parlent un peu comme ça, les politiques, mais pas trop, ou alors c’est réservé au parti écologiste. Du coup, la question que je me pose, c’est  : est-ce qu’il faut être un militant écologiste pour parler d’écologie ou ça devrait être la base de ce nouveau modèle, justement ?

DAVID : Quand on regarde les enquêtes d’opinion, on voit que l’écologie est un sujet fédérateur en France. 83%, dans une enquête récente, des Français, souhaiteraient qu’on fasse plus pour l’environnement, pour lutter contre le changement climatique. Simplement, je crois qu’on n’aborde pas le problème de la bonne manière. On l’aborde d’une façon problématique sur le thème, il y a un problème et on va le résoudre. Sauf que la question écologique, ce n’est pas juste une question de problème/solving. Ce n’est pas seulement une question de taxe carbone, d’incitation, de finance verte. C’est d’abord une question de récit, c’est-à-dire que si on n’a pas un changement, un pivotement culturel sur cette question, il est très improbable qu’on arrive à embarquer toute la société, toutes les forces productives, toutes les forces sociales. Alors que justement, lutter contre le changement climatique, ralentir, ça suppose un nouveau récit. Et ça ressemble un peu à ce que j’ai essayé de faire dans ce livre pour la France. C’est-à-dire que le point de départ, c’est que ça fait 20 ans qu’on se lamente. Il y a quand même un paradoxe en France, c’est que les Français sont extrêmement pessimistes sur leurs conditions collectives. Il y avait un sondage BVA de 2015 que tu connais peut-être, qui les mettaient presque au niveau des Irakiens, parce que franchement, c’est presque un peu indécent. Quand tu vois ce que traversent les Irakiens qui n’ont quasiment pas d’États qui sont dans une situation de guerre civile avec des attentats tous les jours. Se dire que les Français sont presque aussi pessimistes que les Irakiens, c’est quasiment indécent, et dans le même temps, et c’est là qu’est le paradoxe, les Français sont plutôt satisfaits de leur vie personnelle. Moi, je dis souvent, il y a un malheur public et un bonheur privé. Et en fait, mon livre, c’est une tentative de répondre à cette question, pourquoi est ce qu’il y a un écart entre une satisfaction personnelle qui est élevée et un pessimisme sur l’avenir. Je crois que c’est très lié au fait que nous sommes orphelins d’un véritable modèle français.

GRÉGORY : Et maintenant, je me souviens que tu m’avais dit dans le premier épisode qu’on a enregistré ensemble, que les politiques, ils étaient coincés entre la croissance et le chômage et qu’ils ne savaient pas où mettre l’écologie. Ce matin, j’écoutais France Inter et on parlait encore de croissance, et effectivement, cette croissance économique, on sait que tout le monde est au courant quand même, que ça va s’arrêter. Ils ne savent pas vraiment, j’ai la sensation en tout cas, comment le mettre ? Effectivement, il y eut cette taxe carbone qui a créé le mouvement des gilets jaunes et je pense pour des bonnes raisons, en l’occurrence, Mais j’ai l’impression qu’ils sont perdus, mais effectivement, c’est peut-être à cause d’un manque de modèles.

DAVID : Bien sûr. Perdu parce que pas de modèle, parce que pas de grand récit. Après 1945, je suis reparti dans la France de l’après-guerre parce qu’on se lamente, mais la situation de la France en 1945 elle était bien pire, il y avait 2 millions de déportés et de prisonniers qui n’étaient pas en France à la Libération, il y avait un million de sans domicile fixe, de personnes qui n’avaient pas de logement parce que leur maison avait été bombardée. Les Parisiens, ils avaient la moitié de l’apport calorique journalier. Un quart des infrastructures du pays avaient été détruits. Une locomotive sur 6 fonctionnait, donc je ne te fais pas un dessin. La France, elle était par terre, et plus grave que ça encore, elle était honteuse parce qu’en 1940, elle s’était effondrée face à l’Allemagne et ensuite, il y a eu la tâche de la collaboration. Donc en 1945, si tu veux la France, elle avait tout pour décliner, elle avait tout pour aller vraiment dans une sorte de mort lente. Et qu’est-ce qui s’est passé ? Au contraire, une effervescence et un nouveau modèle français s’est construit autour de trois piliers. Le premier pilier, c’est la confiance dans l’avenir, c’est-à-dire cette idée partagée par toutes les élites de la résistance, que si on se retrousse les manches, demain sera meilleur qu’aujourd’hui. Ça, c’est très important. C’est une disposition d’esprit psychologique. Cette disposition d’esprit psychologique, elle a permis un développement industriel et technologique sans précédent, très centré sur la croissance économique, le TGV, le Concorde, les grands plans sur le nucléaire, etc. C’est un développement économique extrêmement fort, extrêmement rapide, où la France a réellement fait des prouesses, alors que c’est un petit pays comparé aux États-Unis ou à la Russie soviétique d’alors. Et puis, le troisième volet, c’est la Sécurité sociale, c’est-à-dire l’idée, au fond, qu’il va y voir une solidarité entre tous les individus à l’intérieur d’une nation, ce qui n’existait pas avant. Il faut se rendre compte parce que les Français pensent que la Sécurité sociale, c’est naturel, je vais chez le médecin, je ne paye pas ; je suis licencié ou je perds mon emploi, je touche le chômage, j’ai une retraite. Mais non, ça a été arraché de hautes luttes et ça s’est vraiment construit après 1945. Ce modèle français, c’est ça : confiance dans l’avenir, développement industriel et sécurité sociale. Et en fait, ce que je montre dans le livre, c’est qu’à partir des années 70, avec la mondialisation, avec tous ces grands changements, ce modèle s’est détraqué. Tu vois, dans les années 70, par exemple, la génération qui arrive au pouvoir, ce n’est pas la génération de 45, ce n’est pas celle qui avait connu la guerre, la crise économique, donc, ce n’est pas une génération qui est dans l’urgence des lendemains. C’est plutôt une génération qui est dans le temps présent. Donc la confiance en l’avenir, elle s’érode. Ensuite, la mondialisation, c’est l’ouverture des économies, ce sont les crises pétrolières, ce sont les marges des entreprises qui, à cause des prix de l’énergie qui augmentent, se détériorent. Et donc, si tu veux, ce miracle industriel français se détraque. Et donc, il ne reste plus que la partie sociale. La Sécurité sociale, ça continue à fonctionner. Sauf qu’on a moins de développement économique, on a moins de croissance et donc on a de plus en plus de mal à financer le modèle social. Et donc, on entre dans cette spirale que tu connais de l’endettement, des déficits, etc. Et depuis 40 ans, on vit dans ça. On vit dans un modèle qui se délite. 

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