#184 La comédie: meilleure manière de critiquer la société? Avec Mouloud Achour

VLAN! Podcast
VLAN! Podcast
#184 La comédie: meilleure manière de critiquer la société? Avec Mouloud Achour
Loading
/

GRÉGORY : Je me pose une question, j’ai vu le film, j’ai adoré. Je me dis pourquoi pour ton premier film, tu as décidé de faire une critique de la société ? Ce que je trouve génial, c’est que c’est une critique de la société et en même temps, c’est drôle. Mais pourquoi tu as décidé d’utiliser ce sujet-là pour ce premier film ?

MOULOUD : Parce que quand on prend des films comme Marche à l’ombre, Les Valseuses, Rabbi Jacob ou même Charlie Chaplin ou Mel Brooks, c’est des comédies où il y a un fond sociétal et que moi je n’arrive pas à rire de choses qui ne m’ont pas fait souffrir en fait. Et c’est une bonne façon d’expier les choses. J’ai passé une enfance ou dès qu’il y avait une galère, on en rigolait avec mes potes. Dès qu’ils nous arrivent un truc super relou, il y a toujours un “putain relou” et il y a une vanne qui arrive après, quelle que soit la galère quoi. Et en fait, ce film, j’avais envie de faire une espèce de constat un peu de la société et de dire, mais plutôt que de faire une œuvre qui tire sur les uns, qui tire sur les autres. J’avais envie de réunir dans une même salle tous les gens, quelles que soient leurs opinions politiques, peu importe leur origine sociale ou ethnique, de les rassembler juste tous ensemble pour se marrer, quoi. Il y a un mec intéressant, il n’est pas sur Instagram, mais il avait dit “aimez-vous les uns les autres”, moi, j’aimerais bien dire rigoler les uns des autres.

GRÉGORY : Et d’ailleurs, c’est ce qui est au tout début du film, non je ne vais pas cacher ça parce que sinon c’est nul.

MOULOUD : Vas-y tu peux.

GRÉGORY : Le message sur les téléphones, tu sais ?

MOULOUD : Mais en fait, c’est comme si on se baladait tous avec le diable dans notre poche, quoi. On a créé un outil incroyable avec tous les savoirs humains et toutes les langues à portée de clic. Et en fait, on a beau avoir l’outil le plus intelligent du monde, l’humain reste profondément capable du pire. Je trouve que c’est ce que ça raconte ce film. C’est de se dire, avec tout ce qu’on a comme outil de connaissance, de vérification de l’information, on a en magazine tellement de choses qu’on ne vérifie rien et que deux personnes peuvent être, le temps d’une journée, les méchants les plus recherchés de France, sans que ça n’émeuve personne quoi.

GRÉGORY : C’est une critique aussi des médias. C’est quoi aujourd’hui, toi, ta vision des médias ?

MOULOUD : Ma vision des médias, c’est que journaliste, c’est un métier auquel je fais une déclaration d’amour dans ce film, parce que c’est un métier sublime. Journaliste, c’est une vocation. C’est dur, c’est un métier précaire. Mais c’est un métier qui est en voie de précarisation parce que l’information, aujourd’hui, est relayée sur les réseaux sociaux, les réseaux sociaux fonctionnent avec des algorithmes, des algorithmes qui ont besoin de fonctionner à l’émotion pour créer de l’engagement et cet engagement polarise la société, et donc les articles sont écrits en fonction de ça. Une fois qu’on a dit ça, on se demande une seule chose, qu’est-ce qu’un réseau social ? En fait, c’est une régie publicitaire qui ne dit pas son nom. Le produit d’appel du réseau social, c’est nous. Quand on pense qu’on est des méga rebelles parce qu’on a exprimé son opinion sur Facebook ou sur Instagram, en fait le seul truc qu’on a fait, c’est de dire à une régie pub ce qu’on pensait, qui sont les gens qui pensaient comme nous et qu’est-ce qu’on allait pouvoir nous vendre ?

GRÉGORY : Et en même temps, dans le film, vous parlez vachement de la quête du buzz. Et quelque part, il y a un ensemble de médias qui surfe là-dessus, en particulier sur Twitter.

MOULOUD : Aujourd’hui, Google possède la majorité du marché publicitaire. Donc les médias sont tenus économiquement par ces boîtes. Ce n’est pas, ce n’est pas le média indépendant ou le média traditionnel ou la chaîne d’information que je vise, c’est ce système-là. Moi, sincèrement, j’ai du respect pour tous les gens qui travaillent dans ce métier, qui soient d’accord avec moi, pas d’accord avec moi, je n’en ai rien à faire. La seule chose que j’essaie de dénoncer dans ce film. Ce sont pas les opinions contraires. C’est un système qui joue sur les divisions et qui joue sur le clash, sur le buzz. Alors qu’on est dans une société tellement crispée, tellement dans un moment critique de l’humanité ou la démocratie est en danger qu’il faut être capable d’aller à contre sens, de vendre de l’information et que ça serait bien d’apaiser les choses.

GRÉGORY : Et pour toi, du coup, comment un média peut réussir ? Est-ce que c’est même possible en fait ?

MOULOUD : C’est pour ça que j’en ai fait un film. C’est parce que je n’ai pas la réponse. Moi, j’avais juste envie de transformer ces inquiétudes et ces doutes en expression artistique, en cinéma et en comédie. Je pense que quand Chaplin faisait le dictateur, il n’avait pas la solution. Comment est-ce qu’on fait en sorte que l’humain ne devienne pas une horreur nazie ? Il n’avait pas la solution.

GRÉGORY : Clairement. Il y a aussi une critique des visions binaires, des experts. J’aimerais bien qu’on revienne là-dessus sur les experts autodéclarés. Il y a cette phrase en particulier, “moi je suis expert de tout”.

MOULOUD : « Je suis expert de tout, on m’invite sur tous les sujets ». On l’a vu récemment, les experts du Covid sont devenus des experts de l’Afghanistan, et après, ils sont devenus experts en météo. Mais au-delà des gens qui sont sur les plateaux, dans les chaînes d’info, ce sont même nos amis sur les réseaux sociaux. Moi, j’ai du mal à comprendre aujourd’hui à quel point quelqu’un qui fait le métier d’influence, qui est un métier que je respecte, c’est un métier comme un autre, est capable dans la même journée de poster une photo d’un drame humain en Palestine et juste après il y a un code promo. Je n’arrive pas à comprendre dans quel monde on est. Est-ce que je me pose derrière comme question, c’est pourquoi est-ce que la parole de certaines minorités n’est représentée que là ? Pourquoi est-ce que les médias ne font pas leur job en donnant la parole à tout le monde, à toutes ces sensibilités-là ? Et moi, je ne fais que poser des questions à travers ce film. Je n’ai aucune réponse, mais je me dis juste que plutôt que de critiquer cette influenceuse qui exprime quelque chose sincèrement, pourquoi est-ce qu’on en arrive à ce que leur parole et certaines informations sont entendues que là ?

GRÉGORY : Clairement. Du coup, comment toi, en tant que journaliste, tu arrives à gérer le fait que tu invites des gens qui soient pertinents, qui soient des “experts” sur leur domaine, il y a beaucoup d’artistes, évidemment. Mais comment tu gères cette problématique ?

MOULOUD : Déjà, je ne suis pas journaliste, je n’ai pas la carte de presse, j’ai été rédac chef de plein de journaux, mais je n’ai jamais voulu appartenir à cette caste. Moi, je suis un passeur. Donc quand je fais clic, je me mets en retrait et je pose des questions à des gens qui ont travaillé sur des sujets ou qui produisent des œuvres. Donc je me repose sur leur savoir à eux, sur un sujet précis. Mais je ne demande pas à n’importe qui l’avis sur n’importe quoi. J’ai un respect infini pour les artistes que je reçois et je considère que tout le monde chez nous est reçu à la même enseigne, qu’il soit connu, pas connu, en devenir, qu’on considère trop âgé ou trop jeune. Et mon métier, je le situe d’une manière vraiment très, très basique. Je suis en retrait, très en retrait dans les interviews sur clic. Je suis réellement là pour mettre des gens en avant, que je sois d’accord ou pas. Moi, je donne une proposition, j’ai envie de vous faire représenter cette personne et je ne véhicule jamais mes engagements en public. Mes engagements politiques, ils sont dans l’urne tout simplement. Donc je n’ai malheureusement pas la prétention de vouloir peser sur quoi que ce soit dans le débat public. Moi, ma mission est artistique. 

La suite a écouté sur VLAN !

Description de l’épisode

Mouloud Achour est une personne aux talents multiples: rédacteur en chef, journaliste (même s’il me dit ne jamais avoir eu sa carte), animateur de radio et TV.
Il a dernièrement créé Clique TV , émission çà succès dans laquelle il donne la parole à des personnalités éclectiques. Comme il le dit lui même, il est un passeur.
Il sort un film, les Méchants, dans lequel il critique vivement la société avec beaucoup de pertinence.
Cette comédie s’attaque à notre époque: la course au buzz, la supposée réussite, le patriarcat, les préjugés, les jugements hâtifs, le mode de fonctionnement des médias et tellement de sujets.
En réalité, quand j’ai vu le film, que j’ai adoré, j’ai eu la sensation qu’il avait la même mission que je me donne avec ce podcast: déconstruire et montrer comment les visions binaires du monde sont dangereuses.

Nous traitons de tout cela avec Mouloud mais en allant plus loin car Mouloud est une personne très réfléchie avec des avis très clairs sur beaucoup de sujets comme l’intégration, la tolérance, le racisme. Il nous parle de son histoire avec beaucoup de dignité.
Je me sens particulièrement chanceux car, s’il est un homme de média, il n’aime pas du tout en revanche donner des interviews lui même. C’est plutôt une personne qui aime mettre en avant les autres. Nous avons beaucoup de chance de l’avoir sur Vlan pour partager pendant 1h avec lui.

A l’affiche de ce film, le casting est incroyable: Omar Sy, Roman Frayssinet, Djimo, Ludivine Sagnier, Kyan Khojandi, Mathieu Kassovitz ou encore Samy Naceri et Heuss l’enfoiré.

Vous aimerez aussi ces épisodes

Transcription partielle de l’épisode

VLAN! Podcast
VLAN! Podcast
#184 La comédie: meilleure manière de critiquer la société? Avec Mouloud Achour
Loading
/

GRÉGORY : Je me pose une question, j’ai vu le film, j’ai adoré. Je me dis pourquoi pour ton premier film, tu as décidé de faire une critique de la société ? Ce que je trouve génial, c’est que c’est une critique de la société et en même temps, c’est drôle. Mais pourquoi tu as décidé d’utiliser ce sujet-là pour ce premier film ?

MOULOUD : Parce que quand on prend des films comme Marche à l’ombre, Les Valseuses, Rabbi Jacob ou même Charlie Chaplin ou Mel Brooks, c’est des comédies où il y a un fond sociétal et que moi je n’arrive pas à rire de choses qui ne m’ont pas fait souffrir en fait. Et c’est une bonne façon d’expier les choses. J’ai passé une enfance ou dès qu’il y avait une galère, on en rigolait avec mes potes. Dès qu’ils nous arrivent un truc super relou, il y a toujours un “putain relou” et il y a une vanne qui arrive après, quelle que soit la galère quoi. Et en fait, ce film, j’avais envie de faire une espèce de constat un peu de la société et de dire, mais plutôt que de faire une œuvre qui tire sur les uns, qui tire sur les autres. J’avais envie de réunir dans une même salle tous les gens, quelles que soient leurs opinions politiques, peu importe leur origine sociale ou ethnique, de les rassembler juste tous ensemble pour se marrer, quoi. Il y a un mec intéressant, il n’est pas sur Instagram, mais il avait dit “aimez-vous les uns les autres”, moi, j’aimerais bien dire rigoler les uns des autres.

GRÉGORY : Et d’ailleurs, c’est ce qui est au tout début du film, non je ne vais pas cacher ça parce que sinon c’est nul.

MOULOUD : Vas-y tu peux.

GRÉGORY : Le message sur les téléphones, tu sais ?

MOULOUD : Mais en fait, c’est comme si on se baladait tous avec le diable dans notre poche, quoi. On a créé un outil incroyable avec tous les savoirs humains et toutes les langues à portée de clic. Et en fait, on a beau avoir l’outil le plus intelligent du monde, l’humain reste profondément capable du pire. Je trouve que c’est ce que ça raconte ce film. C’est de se dire, avec tout ce qu’on a comme outil de connaissance, de vérification de l’information, on a en magazine tellement de choses qu’on ne vérifie rien et que deux personnes peuvent être, le temps d’une journée, les méchants les plus recherchés de France, sans que ça n’émeuve personne quoi.

GRÉGORY : C’est une critique aussi des médias. C’est quoi aujourd’hui, toi, ta vision des médias ?

MOULOUD : Ma vision des médias, c’est que journaliste, c’est un métier auquel je fais une déclaration d’amour dans ce film, parce que c’est un métier sublime. Journaliste, c’est une vocation. C’est dur, c’est un métier précaire. Mais c’est un métier qui est en voie de précarisation parce que l’information, aujourd’hui, est relayée sur les réseaux sociaux, les réseaux sociaux fonctionnent avec des algorithmes, des algorithmes qui ont besoin de fonctionner à l’émotion pour créer de l’engagement et cet engagement polarise la société, et donc les articles sont écrits en fonction de ça. Une fois qu’on a dit ça, on se demande une seule chose, qu’est-ce qu’un réseau social ? En fait, c’est une régie publicitaire qui ne dit pas son nom. Le produit d’appel du réseau social, c’est nous. Quand on pense qu’on est des méga rebelles parce qu’on a exprimé son opinion sur Facebook ou sur Instagram, en fait le seul truc qu’on a fait, c’est de dire à une régie pub ce qu’on pensait, qui sont les gens qui pensaient comme nous et qu’est-ce qu’on allait pouvoir nous vendre ?

GRÉGORY : Et en même temps, dans le film, vous parlez vachement de la quête du buzz. Et quelque part, il y a un ensemble de médias qui surfe là-dessus, en particulier sur Twitter.

MOULOUD : Aujourd’hui, Google possède la majorité du marché publicitaire. Donc les médias sont tenus économiquement par ces boîtes. Ce n’est pas, ce n’est pas le média indépendant ou le média traditionnel ou la chaîne d’information que je vise, c’est ce système-là. Moi, sincèrement, j’ai du respect pour tous les gens qui travaillent dans ce métier, qui soient d’accord avec moi, pas d’accord avec moi, je n’en ai rien à faire. La seule chose que j’essaie de dénoncer dans ce film. Ce sont pas les opinions contraires. C’est un système qui joue sur les divisions et qui joue sur le clash, sur le buzz. Alors qu’on est dans une société tellement crispée, tellement dans un moment critique de l’humanité ou la démocratie est en danger qu’il faut être capable d’aller à contre sens, de vendre de l’information et que ça serait bien d’apaiser les choses.

GRÉGORY : Et pour toi, du coup, comment un média peut réussir ? Est-ce que c’est même possible en fait ?

MOULOUD : C’est pour ça que j’en ai fait un film. C’est parce que je n’ai pas la réponse. Moi, j’avais juste envie de transformer ces inquiétudes et ces doutes en expression artistique, en cinéma et en comédie. Je pense que quand Chaplin faisait le dictateur, il n’avait pas la solution. Comment est-ce qu’on fait en sorte que l’humain ne devienne pas une horreur nazie ? Il n’avait pas la solution.

GRÉGORY : Clairement. Il y a aussi une critique des visions binaires, des experts. J’aimerais bien qu’on revienne là-dessus sur les experts autodéclarés. Il y a cette phrase en particulier, “moi je suis expert de tout”.

MOULOUD : « Je suis expert de tout, on m’invite sur tous les sujets ». On l’a vu récemment, les experts du Covid sont devenus des experts de l’Afghanistan, et après, ils sont devenus experts en météo. Mais au-delà des gens qui sont sur les plateaux, dans les chaînes d’info, ce sont même nos amis sur les réseaux sociaux. Moi, j’ai du mal à comprendre aujourd’hui à quel point quelqu’un qui fait le métier d’influence, qui est un métier que je respecte, c’est un métier comme un autre, est capable dans la même journée de poster une photo d’un drame humain en Palestine et juste après il y a un code promo. Je n’arrive pas à comprendre dans quel monde on est. Est-ce que je me pose derrière comme question, c’est pourquoi est-ce que la parole de certaines minorités n’est représentée que là ? Pourquoi est-ce que les médias ne font pas leur job en donnant la parole à tout le monde, à toutes ces sensibilités-là ? Et moi, je ne fais que poser des questions à travers ce film. Je n’ai aucune réponse, mais je me dis juste que plutôt que de critiquer cette influenceuse qui exprime quelque chose sincèrement, pourquoi est-ce qu’on en arrive à ce que leur parole et certaines informations sont entendues que là ?

GRÉGORY : Clairement. Du coup, comment toi, en tant que journaliste, tu arrives à gérer le fait que tu invites des gens qui soient pertinents, qui soient des “experts” sur leur domaine, il y a beaucoup d’artistes, évidemment. Mais comment tu gères cette problématique ?

MOULOUD : Déjà, je ne suis pas journaliste, je n’ai pas la carte de presse, j’ai été rédac chef de plein de journaux, mais je n’ai jamais voulu appartenir à cette caste. Moi, je suis un passeur. Donc quand je fais clic, je me mets en retrait et je pose des questions à des gens qui ont travaillé sur des sujets ou qui produisent des œuvres. Donc je me repose sur leur savoir à eux, sur un sujet précis. Mais je ne demande pas à n’importe qui l’avis sur n’importe quoi. J’ai un respect infini pour les artistes que je reçois et je considère que tout le monde chez nous est reçu à la même enseigne, qu’il soit connu, pas connu, en devenir, qu’on considère trop âgé ou trop jeune. Et mon métier, je le situe d’une manière vraiment très, très basique. Je suis en retrait, très en retrait dans les interviews sur clic. Je suis réellement là pour mettre des gens en avant, que je sois d’accord ou pas. Moi, je donne une proposition, j’ai envie de vous faire représenter cette personne et je ne véhicule jamais mes engagements en public. Mes engagements politiques, ils sont dans l’urne tout simplement. Donc je n’ai malheureusement pas la prétention de vouloir peser sur quoi que ce soit dans le débat public. Moi, ma mission est artistique. 

La suite a écouté sur VLAN !

Menu