#181 Peut-on vraiment parler d’un monde d’après? Avec Jean Viard

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#181 Peut-on vraiment parler d'un monde d'après? Avec Jean Viard
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GRÉGORY : On va parler de ce qu’on appelle du monde d’après. Mais ce qui m’intéresse là, c’est le monde POST-covid. Vous avez écrit un livre dessus et vous parlez d’une rupture extrêmement forte que vous comparez à la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale, à une rupture très forte. Est-ce que vous pourriez m’expliquer pourquoi vous pensez que c’est une rupture aussi forte ?

JEAN : Tout simplement parce que 5 milliards d’hommes ont fait la même chose, se sont confinés. Partout sur la planète, 1 milliard d’enfants ont été retirés des écoles et on s’est regardés les uns les autres parce que, en gros, on ne savait pas quoi faire. Est-ce qu’il fallait s’enfermer ? Est-ce qu’il fallait mettre des masques ? Qu’est-ce qu’il fallait faire avec les restaurants, etc. Et d’ailleurs on continue avec le vaccin. On commence par qui ? Les professions à risques et les personnes âgées, etc. Donc au fond, c’est la première fois que l’humanité se retrouve d’abord démunie. Mais ça, c’était déjà arrivé, mais d’habitude, on était démuni dans des sociétés ou c’était habituel d’être démuni. Nous, on était dans une société ou je suis malade, je vais voir un médecin. Au pire, il me dit que j’ai une maladie mortelle et que ça va être dur à guérir. Mais si vous voulez, on est dans cette logique. Et là, d’un coup, on est 5 milliards à être allés voir nos médecins et ils nous ont dit “Écoute, reste chez toi, ne parle à personne et puis on va espérer que ça passe”. Donc on était aussi démunis qu’il y a 1000 ans. Donc je pense que ça a deux effets. Le premier, c’est une immense solidarité planétaire d’observation, de connaissance mutuelle, de l’autre côté, un immense sentiment qu’on n’est pas maître et possesseur de la nature. Alors, je sais bien que Descartes a dit, on est comme maître et possesseur de la nature, mais dans nos têtes, on était devenu maître et possesseur de la nature. Visiblement non. Ce virus, après il est peut-être possible qui sort d’un laboratoire chinois, ça je ne sais pas, mais même s’il sort d’un laboratoire Chinois, il est bidouillé à partir d’éléments naturels. Et donc, si vous voulez, la question du rapport entre l’humain et la nature, le fait qu’on est un animal parmi les autres animaux, le fait que la nature doit être respectée dans certaines de ses dimensions pour assurer notre survie. Tous ces sujets sont devenus des sujets mondiaux qu’on partage. Alors comme dans tout partage, il y a des concurrences etc, mais c’est l’écume des choses. Le fond, c’est cette coopération planétaire. Et ça, je crois que dans l’histoire de l’humanité, ça restera une date qu’on marquera dans les livres d’histoire avant et après la grande pandémie.

GRÉGORY : Alors ce qui m’intéresse dans ce que vous dites, c’est effectivement ce rapport à la nature, le fait que d’ailleurs on utilise ce mot d’environnement, qu’on parle de sauver la planète sans comprendre que ce qu’il faut sauver, ce n’est pas la planète, c’est le vivant et qu’en réalité l’Homme fait partie du vivant. Et je pense qu’il y a une profonde incompréhension parce que nos modes de vie, en particulier dans les pays industrialisés en tout cas, sont extrêmement énergivores et vont complètement à l’inverse du sens du vivant. Et quelque part, et vous avez raison, je pense que cette pandémie, c’est une preuve de l’expression de nos modes de vie d’une certaine manière, je ne sais pas si vous êtes d’accord avec ça d’ailleurs, mais  du coup, vous pensez qu’il va y avoir une sorte d’avant, après cette crise ?

JEAN : Si vous voulez, l’histoire des hommes n’est jamais écrite à l’avance. Quand on regarde les grandes ruptures du XXᵉ siècle, ça a aussi bien entraîné les années folles en France, après la grippe espagnole et la guerre de 14-18, ça a entraîné la dictature bolchévique, ça a poussé Mussolini au pouvoir. Donc, si vous voulez, on peut aller dans un sens ou dans un autre, ça, c’est pas écrit. Mais par contre, à mon avis, ce qui est écrit, c’est un profond désir de rupture, c’est un profond désir de ne pas avoir souffert pour rien et c’est au fond une imposition à ceux qui nous gouvernent de certaines règles. On a tous compris que l’idée que les chaînes de valeurs organisent le monde, c’est-à-dire en gros, que le prix de production du produit est le seul critère pour savoir où est ce qu’on va le fabriquer, que la politique met en place depuis Reagan et Thatcher dans le but de faire tomber le communisme en Europe et qui a permis de faire tomber le communisme en Europe. Donc si vous voulez, il faut toujours voir quels étaient les objectifs, même si après du coup on est entré dans une société depuis 50 ans ou le seul critère c’était le consommateur. En gros, vous allez dans un supermarché en dehors de l’alimentaire, 70% des objets viennent d’Asie et y coûtent le prix que coûterait un des objets fabriqués en Europe. Donc, effectivement, on a fait le choix de l’objet multiple, on a fait le choix d’ordinateurs portables, téléphones portables qui sont des pures merveilles de technologie, etc, à des prix très bas et on a fait ce choix, donc la chaîne de valeur a écrasé le citoyen. On a au fond abandonné les grands milieux populaires chargés de la production dans nos propres pays en leur disant écoutez en est vraiment désolé, mais c’est moins cher quand ça vient d’Asie ou d’ailleurs, mais souvent d’Asie. Et donc petit à petit, on glissait vers un populisme et vers un refus d’un monde ou on leur dit simplement “On est vraiment désolé, mais vous êtes trop chers”. Il faut avoir cette dynamique. Là, on a vu qu’effectivement on gouverne avec la coopération, mais aussi des frontières. On a eu besoin à nouveau des frontières. La première frontière, évidemment, c’est le masque, et puis la deuxième frontière, c’est ne pas sortir de la maison, les dix kilomètres, les critères pour les frontières nationales, etc. Et on s’est rendu compte qu’on avait dépensé 6 milliards pour amener des masques d’Asie. Je serais curieux de savoir combien on gagne sur un masque fabriqué à l’autre bout du monde, ça doit être un quart de centime, c’est mineur. Donc du coup, les peuples vont avoir une exigence sur tous ces sujets en disant, mais attendez votre discours comme quoi il n’y a pas d’autres politiques, sauf celle de faire des frontières avec des gouvernements d’extrême droite, ce dialogue entre, j’allais dire extrême droite avec des frontières et puis chaîne ouverte, ça ne marche pas et ça marche d’autant moins que plus les pays en Europe par exemple, le pays ou il y a le plus de morts par habitant, c’est la Hongrie. On ne le dit jamais, on est tout le temps en train de regarder ce qui se passe chez les autres. Mais nous, en Europe, c’est le régime populiste de Hongrie qui est le pire en termes de pandémie. Tout simplement parce que ce sont des régimes qui ne s’intéressent pas aux individus, mais qui sont que pouvoir. Et donc là, il faut bien voir ça et en même temps voir que la dictature chinoise a été très efficace. Donc si vous voulez, ne soyons pas naïfs sur le monde de demain, il est possible qu’un certain nombre de pays se disent attendez une bonne dictature à la chinoise pour lutter contre le réchauffement climatique, c’est ce qu’il y a de plus efficace, donc parce que ça a été efficace pour le vaccin, ça a été efficace pour arrêter la pandémie dans des conditions autoritaires, épouvantables, sans même parler des Ouïghours, mais même pour les autres. Donc, il faut avoir tout ça dans la tête. Alors après, avant de venir exactement à votre question, n’oublions pas qu’on s’est battu pour sauver des vies. Donc en ce moment, il y a 3 millions de morts, peut-être 4 millions, et on est entre 80 et 100 millions de vies sauvées et des vies sauvées de personnes âgées, généralement non productives, souvent très près de la fin de vie. Donc, si vous voulez, c’est l’acte le plus humaniste que l’humanité, à mon avis, n’a jamais fait. C’est-à-dire d’arrêter l’économie, de s’enfermer, de se restreindre, chacun d’entre nous de ses plaisirs pour sauver les plus anciens et les plus fragiles, qui sont évidemment plutôt coûteux que rapportant de l’argent. Je crois qu’il faut le dire parce que ça nous refonde dans des valeurs de civilisation qui ont été absolument planétaires, que tout le monde a accepté, sauf les régimes populistes, encore une fois, et donc c’est très important parce que je pense qu’on revalide nos valeurs d’une façon absolument extraordinaire comme on avait pu les valider au début du monothéisme. Il y a des grandes périodes dans la construction des valeurs.

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Description de l’épisode

Jean Viard est un sociologue très réputé en France, il est également , directeur de recherche au CNRS mais également Directeur de collection aux éditions de l’Aube.
Il est convaincu que cette crise sanitaire va générer un avant et un après et donc est marque un “monde d’après”.
Evidemment il n’est pas voyant donc il ne peut pas définir dans quel sens cela va aller mais la manière dont il articule ses pensées est hyper intéressante.
Je ne suis pas nécessairement aligné avec tout ce qu’il nous dis ici mais j’ai trouvé sa manière d’envisager les choses pour le moins pertinente.
Est-ce que cette crise sanitaire a marqué un moment particulier dans l’histoire de l’humanité tourné vers un humanisme très présent, une solidarité sans pareil? Ou est-ce une génération qui s’est encore sacrifiée pour des boomers qui ne veulent rien sacrifier?
On revient particulièrement sur une société plus écologique, de dictature verte, de démocratie,
Mais on parle surtout de récits, de bulles sociale, de repliement sur soi, d’humanisme, de communautarisme…
Quoiqu’il en soit vous verrez qu’il changera votre perception des choses à plusieurs niveaux.

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Transcription partielle de l’épisode

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GRÉGORY : On va parler de ce qu’on appelle du monde d’après. Mais ce qui m’intéresse là, c’est le monde POST-covid. Vous avez écrit un livre dessus et vous parlez d’une rupture extrêmement forte que vous comparez à la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale, à une rupture très forte. Est-ce que vous pourriez m’expliquer pourquoi vous pensez que c’est une rupture aussi forte ?

JEAN : Tout simplement parce que 5 milliards d’hommes ont fait la même chose, se sont confinés. Partout sur la planète, 1 milliard d’enfants ont été retirés des écoles et on s’est regardés les uns les autres parce que, en gros, on ne savait pas quoi faire. Est-ce qu’il fallait s’enfermer ? Est-ce qu’il fallait mettre des masques ? Qu’est-ce qu’il fallait faire avec les restaurants, etc. Et d’ailleurs on continue avec le vaccin. On commence par qui ? Les professions à risques et les personnes âgées, etc. Donc au fond, c’est la première fois que l’humanité se retrouve d’abord démunie. Mais ça, c’était déjà arrivé, mais d’habitude, on était démuni dans des sociétés ou c’était habituel d’être démuni. Nous, on était dans une société ou je suis malade, je vais voir un médecin. Au pire, il me dit que j’ai une maladie mortelle et que ça va être dur à guérir. Mais si vous voulez, on est dans cette logique. Et là, d’un coup, on est 5 milliards à être allés voir nos médecins et ils nous ont dit “Écoute, reste chez toi, ne parle à personne et puis on va espérer que ça passe”. Donc on était aussi démunis qu’il y a 1000 ans. Donc je pense que ça a deux effets. Le premier, c’est une immense solidarité planétaire d’observation, de connaissance mutuelle, de l’autre côté, un immense sentiment qu’on n’est pas maître et possesseur de la nature. Alors, je sais bien que Descartes a dit, on est comme maître et possesseur de la nature, mais dans nos têtes, on était devenu maître et possesseur de la nature. Visiblement non. Ce virus, après il est peut-être possible qui sort d’un laboratoire chinois, ça je ne sais pas, mais même s’il sort d’un laboratoire Chinois, il est bidouillé à partir d’éléments naturels. Et donc, si vous voulez, la question du rapport entre l’humain et la nature, le fait qu’on est un animal parmi les autres animaux, le fait que la nature doit être respectée dans certaines de ses dimensions pour assurer notre survie. Tous ces sujets sont devenus des sujets mondiaux qu’on partage. Alors comme dans tout partage, il y a des concurrences etc, mais c’est l’écume des choses. Le fond, c’est cette coopération planétaire. Et ça, je crois que dans l’histoire de l’humanité, ça restera une date qu’on marquera dans les livres d’histoire avant et après la grande pandémie.

GRÉGORY : Alors ce qui m’intéresse dans ce que vous dites, c’est effectivement ce rapport à la nature, le fait que d’ailleurs on utilise ce mot d’environnement, qu’on parle de sauver la planète sans comprendre que ce qu’il faut sauver, ce n’est pas la planète, c’est le vivant et qu’en réalité l’Homme fait partie du vivant. Et je pense qu’il y a une profonde incompréhension parce que nos modes de vie, en particulier dans les pays industrialisés en tout cas, sont extrêmement énergivores et vont complètement à l’inverse du sens du vivant. Et quelque part, et vous avez raison, je pense que cette pandémie, c’est une preuve de l’expression de nos modes de vie d’une certaine manière, je ne sais pas si vous êtes d’accord avec ça d’ailleurs, mais  du coup, vous pensez qu’il va y avoir une sorte d’avant, après cette crise ?

JEAN : Si vous voulez, l’histoire des hommes n’est jamais écrite à l’avance. Quand on regarde les grandes ruptures du XXᵉ siècle, ça a aussi bien entraîné les années folles en France, après la grippe espagnole et la guerre de 14-18, ça a entraîné la dictature bolchévique, ça a poussé Mussolini au pouvoir. Donc, si vous voulez, on peut aller dans un sens ou dans un autre, ça, c’est pas écrit. Mais par contre, à mon avis, ce qui est écrit, c’est un profond désir de rupture, c’est un profond désir de ne pas avoir souffert pour rien et c’est au fond une imposition à ceux qui nous gouvernent de certaines règles. On a tous compris que l’idée que les chaînes de valeurs organisent le monde, c’est-à-dire en gros, que le prix de production du produit est le seul critère pour savoir où est ce qu’on va le fabriquer, que la politique met en place depuis Reagan et Thatcher dans le but de faire tomber le communisme en Europe et qui a permis de faire tomber le communisme en Europe. Donc si vous voulez, il faut toujours voir quels étaient les objectifs, même si après du coup on est entré dans une société depuis 50 ans ou le seul critère c’était le consommateur. En gros, vous allez dans un supermarché en dehors de l’alimentaire, 70% des objets viennent d’Asie et y coûtent le prix que coûterait un des objets fabriqués en Europe. Donc, effectivement, on a fait le choix de l’objet multiple, on a fait le choix d’ordinateurs portables, téléphones portables qui sont des pures merveilles de technologie, etc, à des prix très bas et on a fait ce choix, donc la chaîne de valeur a écrasé le citoyen. On a au fond abandonné les grands milieux populaires chargés de la production dans nos propres pays en leur disant écoutez en est vraiment désolé, mais c’est moins cher quand ça vient d’Asie ou d’ailleurs, mais souvent d’Asie. Et donc petit à petit, on glissait vers un populisme et vers un refus d’un monde ou on leur dit simplement “On est vraiment désolé, mais vous êtes trop chers”. Il faut avoir cette dynamique. Là, on a vu qu’effectivement on gouverne avec la coopération, mais aussi des frontières. On a eu besoin à nouveau des frontières. La première frontière, évidemment, c’est le masque, et puis la deuxième frontière, c’est ne pas sortir de la maison, les dix kilomètres, les critères pour les frontières nationales, etc. Et on s’est rendu compte qu’on avait dépensé 6 milliards pour amener des masques d’Asie. Je serais curieux de savoir combien on gagne sur un masque fabriqué à l’autre bout du monde, ça doit être un quart de centime, c’est mineur. Donc du coup, les peuples vont avoir une exigence sur tous ces sujets en disant, mais attendez votre discours comme quoi il n’y a pas d’autres politiques, sauf celle de faire des frontières avec des gouvernements d’extrême droite, ce dialogue entre, j’allais dire extrême droite avec des frontières et puis chaîne ouverte, ça ne marche pas et ça marche d’autant moins que plus les pays en Europe par exemple, le pays ou il y a le plus de morts par habitant, c’est la Hongrie. On ne le dit jamais, on est tout le temps en train de regarder ce qui se passe chez les autres. Mais nous, en Europe, c’est le régime populiste de Hongrie qui est le pire en termes de pandémie. Tout simplement parce que ce sont des régimes qui ne s’intéressent pas aux individus, mais qui sont que pouvoir. Et donc là, il faut bien voir ça et en même temps voir que la dictature chinoise a été très efficace. Donc si vous voulez, ne soyons pas naïfs sur le monde de demain, il est possible qu’un certain nombre de pays se disent attendez une bonne dictature à la chinoise pour lutter contre le réchauffement climatique, c’est ce qu’il y a de plus efficace, donc parce que ça a été efficace pour le vaccin, ça a été efficace pour arrêter la pandémie dans des conditions autoritaires, épouvantables, sans même parler des Ouïghours, mais même pour les autres. Donc, il faut avoir tout ça dans la tête. Alors après, avant de venir exactement à votre question, n’oublions pas qu’on s’est battu pour sauver des vies. Donc en ce moment, il y a 3 millions de morts, peut-être 4 millions, et on est entre 80 et 100 millions de vies sauvées et des vies sauvées de personnes âgées, généralement non productives, souvent très près de la fin de vie. Donc, si vous voulez, c’est l’acte le plus humaniste que l’humanité, à mon avis, n’a jamais fait. C’est-à-dire d’arrêter l’économie, de s’enfermer, de se restreindre, chacun d’entre nous de ses plaisirs pour sauver les plus anciens et les plus fragiles, qui sont évidemment plutôt coûteux que rapportant de l’argent. Je crois qu’il faut le dire parce que ça nous refonde dans des valeurs de civilisation qui ont été absolument planétaires, que tout le monde a accepté, sauf les régimes populistes, encore une fois, et donc c’est très important parce que je pense qu’on revalide nos valeurs d’une façon absolument extraordinaire comme on avait pu les valider au début du monothéisme. Il y a des grandes périodes dans la construction des valeurs.

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