#175 Comprendre le dessous des guerres invisibles mondiales avec Thomas Gomart

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#175 Comprendre le dessous des guerres invisibles mondiales avec Thomas Gomart
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GRÉGORY : On va parler de géopolitique et je crois que la première question, qui peut sembler un peu simple et en même temps qui me semble essentielle, c’est de redéfinir ce que c’est que la géopolitique.

THOMAS : C’est une question qui est évidemment essentielle, mais pas si simple, parce que c’est une notion qui est à l’origine de plusieurs débats universitaires, mais la définition la plus simple, c’est peut-être celle de Thierry de Montbrial qui définit la géopolitique comme l’idéologie relative aux territoires. Et en ce sens, la géopolitique se distingue de la politique internationale qui peut se définir comme ce qui relève de l’activité quotidienne des diplomates et des militaires, dans la politique internationale, si on continue la déclinaison, il y a ce qui relève de la diplomatie à proprement parler et ce qui va relever ensuite de l’activité militaire, etc. On peut décliner ainsi, mais l’idée de la géopolitique, c’est que ça relève fondamentalement des représentations spatiales.

GRÉGORY : Et justement, dans votre livre “Guerre invisible”, vous faites mention des guerres mondiales en disant finalement ces guerres mondiales, elles sont mondiales, principalement pour l’Europe, pour les États-Unis, mais finalement en Asie, même s’il y a eu évidemment le Japon, ce n’est pas vraiment mondial. C’est mondial en étant ethnocentré quelque part, ou plutôt européen-centré. Est-ce que c’est vraiment ça ce qui s’est passé ? C’est-à-dire que finalement, la réalité de l’Asie, à ce moment-là de l’histoire, ce ne sont pas les guerres mondiales.

THOMAS : Alors ce n’est pas tout à fait ça que j’explique dans le livre, c’est-à-dire que la réalité du conflit pour les pays asiatiques, Japon, Chine, Philippines, Malaisie, etc, a été extrêmement réelle et qu’en fait la particularité de la seconde guerre mondiale, c’est précisément de cette tenue à la fois sur l’espace Atlantique et sur l’espace Pacifique. En particulier, ça a une dimension extrêmement importante en termes navals. Le fait que c’est une guerre qui s’est tenue sur mer, dans les airs, sur terre, en particulier sur terre, avec l’affrontement frontal entre l’Allemagne et l’U.R.S.S. Donc, si vous voulez, ce n’était pas du tout de dire que les guerres mondiales ne concernaient pas les pays asiatiques au contraire, ils sont des acteurs de tout premier plan. La première guerre après la Seconde Guerre mondiale, ou on est passé à deux doigts de l’affrontement nucléaire, c’est précisément la guerre de Corée. Et d’ailleurs je pense que nous sommes aujourd’hui dans le cycle stratégique ouvert par la guerre de Corée en 1950. On y reviendra peut-être. Ce que j’essaie de dire dans le livre, c’est que nous, européen, notre construction chronologique, notre manière de raconter l’histoire, notre récit, au fond, ce à quoi nous nous rattachons est effectivement très lié à la première et à la Seconde Guerre mondiale, alors que pour les pays asiatiques, sans encore une fois diminuer l’importance que la Seconde Guerre mondiale a pu avoir, ce qui est beaucoup plus important dans le récit qu’ils font aujourd’hui du XXᵉ siècle, c’est le processus de décolonisation. C’est ça que j’essaie d’expliquer dans le livre, c’est-à-dire que là où les Occidentaux ont une lecture basée sur les deux guerres mondiales dont ils sont sortis vainqueurs pour les Américains et les Britanniques. Les Asiatiques au sens très large, mais là aussi il y a des différences nationales très fortes selon que l’on parle du Japon, de la Chine ou à d’autres acteurs régionaux, pour ces acteurs-là, la date qui fait démarrer le XXᵉ siècle, c’est 1905, lorsque la flotte japonaise détruit la flotte russe, et c’est au fond le point de départ d’un processus de décolonisation par rapport aux puissances occidentales.

GRÉGORY : Et vous, parlez-vous d’un éveil politique de l’Asie, c’est vraiment de ça qu’il s’agit.

THOMAS : C’est en ce sens. C’est d’ailleurs pas simplement l’Asie, ce sont aussi les pays d’Orient. Donc tout ça, c’est toute une historiographie si vous voulez qui ce qui s’est développé au cours des 3 ou 4 dernières décennies, et qui effectivement on parle d’histoire globale ou d’histoire connectée, selon les termes ou les écoles. Tout ça, en fait, doit aboutir, pour rejoindre votre question de départ, à une vision moins européenne-centré des questions internationales. Et de fait, nous sommes pleinement dans ce mouvement et “Guerre invisible”, l’objectif de ce livre est précisément d’expliquer aux lecteurs en langue française pour l’instant, ce déplacement du centre de gravité du Système Monde vers l’Asie Pacifique.

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Description de l’épisode

Thomas Gomart est historien (docteur en histoire des relations internationales) et directeur de l’IFRI (institut français des relations internationales). Il est également l’auteur de plusieurs livres mais dernièrement “guerres invisibles” et “l’affolement du monde” pour lequel il a gagné le prix du meilleur livre de géopolitique français.

En résumé Thomas Gomart est l’une des têtes pensantes françaises de notre politique internationale et à ce titre connait parfaitement les enjeux entre les pays et entre les zones également.
Nous avons enregistré l’épisode il y a quelques mois et donc nous ne faisons pas référence au conflit Israélo-palestinien ensemble mais par contre, nous parlons de très nombreux sujets et en particulier la manière très universaliste donc les Européens regardent le monde, la guerre de la données, de l’énergie, de la technologie entre les grandes puissances.
Nous faisons énormément référence au vivant et à l’écologie car c’est une vraie question que je me pose: comment les pays s’organisent autour de cette problématique centrale et de l’impact du covid sur la politique internationale.
J’ai conscience que cet épisode est un peu moins accessible que d’autres et en même temps nous traitons de questions totalement centrales pour notre vie quotidienne présente et future surtout à 1 an de l’élection présidentielle.
C’est essentiel d’avoir une bonne compréhension de ces mouvements et même si je ne suis pas toujours d’accord avec la vision du monde que Thomas Gomart peut avoir, le moins que l’on puisse dire c’est que sa vision est particulièrement étayée.
Cet épisode devrait par exemple vous aider à répondre aux questions suivante: quelle est la position de l’Europe aujourd’hui? De la France? Est-ce pertinent de sortir de la construction Européenne? L’Europe peut-elle devenir un modèle pour la vie demain? Comment les politiques au niveau mondial envisage la résolution de la crise climatique? Devrions nous nous méfier de la Chine?
Et de très nombreuses autres questions.
J’espère que cela vous plaira d’entrer dans les arcanes de ces guerres invisibles.

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Transcription partielle de l’épisode

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GRÉGORY : On va parler de géopolitique et je crois que la première question, qui peut sembler un peu simple et en même temps qui me semble essentielle, c’est de redéfinir ce que c’est que la géopolitique.

THOMAS : C’est une question qui est évidemment essentielle, mais pas si simple, parce que c’est une notion qui est à l’origine de plusieurs débats universitaires, mais la définition la plus simple, c’est peut-être celle de Thierry de Montbrial qui définit la géopolitique comme l’idéologie relative aux territoires. Et en ce sens, la géopolitique se distingue de la politique internationale qui peut se définir comme ce qui relève de l’activité quotidienne des diplomates et des militaires, dans la politique internationale, si on continue la déclinaison, il y a ce qui relève de la diplomatie à proprement parler et ce qui va relever ensuite de l’activité militaire, etc. On peut décliner ainsi, mais l’idée de la géopolitique, c’est que ça relève fondamentalement des représentations spatiales.

GRÉGORY : Et justement, dans votre livre “Guerre invisible”, vous faites mention des guerres mondiales en disant finalement ces guerres mondiales, elles sont mondiales, principalement pour l’Europe, pour les États-Unis, mais finalement en Asie, même s’il y a eu évidemment le Japon, ce n’est pas vraiment mondial. C’est mondial en étant ethnocentré quelque part, ou plutôt européen-centré. Est-ce que c’est vraiment ça ce qui s’est passé ? C’est-à-dire que finalement, la réalité de l’Asie, à ce moment-là de l’histoire, ce ne sont pas les guerres mondiales.

THOMAS : Alors ce n’est pas tout à fait ça que j’explique dans le livre, c’est-à-dire que la réalité du conflit pour les pays asiatiques, Japon, Chine, Philippines, Malaisie, etc, a été extrêmement réelle et qu’en fait la particularité de la seconde guerre mondiale, c’est précisément de cette tenue à la fois sur l’espace Atlantique et sur l’espace Pacifique. En particulier, ça a une dimension extrêmement importante en termes navals. Le fait que c’est une guerre qui s’est tenue sur mer, dans les airs, sur terre, en particulier sur terre, avec l’affrontement frontal entre l’Allemagne et l’U.R.S.S. Donc, si vous voulez, ce n’était pas du tout de dire que les guerres mondiales ne concernaient pas les pays asiatiques au contraire, ils sont des acteurs de tout premier plan. La première guerre après la Seconde Guerre mondiale, ou on est passé à deux doigts de l’affrontement nucléaire, c’est précisément la guerre de Corée. Et d’ailleurs je pense que nous sommes aujourd’hui dans le cycle stratégique ouvert par la guerre de Corée en 1950. On y reviendra peut-être. Ce que j’essaie de dire dans le livre, c’est que nous, européen, notre construction chronologique, notre manière de raconter l’histoire, notre récit, au fond, ce à quoi nous nous rattachons est effectivement très lié à la première et à la Seconde Guerre mondiale, alors que pour les pays asiatiques, sans encore une fois diminuer l’importance que la Seconde Guerre mondiale a pu avoir, ce qui est beaucoup plus important dans le récit qu’ils font aujourd’hui du XXᵉ siècle, c’est le processus de décolonisation. C’est ça que j’essaie d’expliquer dans le livre, c’est-à-dire que là où les Occidentaux ont une lecture basée sur les deux guerres mondiales dont ils sont sortis vainqueurs pour les Américains et les Britanniques. Les Asiatiques au sens très large, mais là aussi il y a des différences nationales très fortes selon que l’on parle du Japon, de la Chine ou à d’autres acteurs régionaux, pour ces acteurs-là, la date qui fait démarrer le XXᵉ siècle, c’est 1905, lorsque la flotte japonaise détruit la flotte russe, et c’est au fond le point de départ d’un processus de décolonisation par rapport aux puissances occidentales.

GRÉGORY : Et vous, parlez-vous d’un éveil politique de l’Asie, c’est vraiment de ça qu’il s’agit.

THOMAS : C’est en ce sens. C’est d’ailleurs pas simplement l’Asie, ce sont aussi les pays d’Orient. Donc tout ça, c’est toute une historiographie si vous voulez qui ce qui s’est développé au cours des 3 ou 4 dernières décennies, et qui effectivement on parle d’histoire globale ou d’histoire connectée, selon les termes ou les écoles. Tout ça, en fait, doit aboutir, pour rejoindre votre question de départ, à une vision moins européenne-centré des questions internationales. Et de fait, nous sommes pleinement dans ce mouvement et “Guerre invisible”, l’objectif de ce livre est précisément d’expliquer aux lecteurs en langue française pour l’instant, ce déplacement du centre de gravité du Système Monde vers l’Asie Pacifique.

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