#169 Quel avenir politique pour la France? avec David Djaiz

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GRÉGORY : Aujourd’hui, on va parler de la France et de son avenir. On vient de passer en 2020, dans une année extrêmement compliquée de crise sanitaire où le gouvernement français a été particulièrement challengé, on va dire, et encore aujourd’hui, avec les vaccins. On voit par ailleurs des mouvements complexes, que ce soit une crise sociale qui arrive, une crise économique évidemment du coup, une crise politique avec des élections qui arrivent l’année prochaine. On voit en parallèle ce qui se passe dans d’autres pays, en particulier aux États-Unis, où la démocratie est complètement remise en question. Donc là, on va essayer de voir ensemble à quoi va ressembler la France demain. On va peut-être parler d’abord peut-être de ton avis sur cette année 2020 qui vient de se dérouler, et comment, pour toi, les politiques et le gouvernement n’ont pas réussi à faire face à la crise sanitaire.

DAVID : L’année 2020, il faut d’abord la replacer dans son contexte historique. Elle arrive à mon avis comme une date charnière après deux autres dates très importantes, le 11 septembre 2001, première crise majeure terroriste puisque c’est l’attaque du World Trade Center à New York, qui est la première en taille en quelque sorte à ce récit avec lequel on s’est auto-intoxiqué après la chute du mur de Berlin, selon lequel, au fond, le capitalisme démocratique ou la démocratie capitaliste allait triompher dans le monde entier et le communisme était tombé avec la chute du mur de Berlin et la désintégration de l’Union soviétique. Et au fond, on parlait à l’époque de fin de l’histoire. Je vous renvoie à ce livre très intéressant, plus qu’on a voulu le dire par la suite de Francis Fukuyama qui s’appelait The End of History. 2001, c’est la première entaille, en quelque sorte, à ce récit un peu messianique de fin de l’histoire, puisque l’Occident capitaliste et libéral découvre qu’il a encore des ennemis. Même si ces ennemis sont groupusculaires, ils sont déterminés, ils s’organisent en un réseau mondial et ils le frappent. La crise financière de 2008, ça a été un deuxième choc par son ampleur, elle ressemble à la crise de 1929, même si ses conséquences économiques n’ont pas été du même ordre, parce qu’il y a eu une réaction très rapide des banques centrales, des gouvernements, mais c’est quand même un choc. C’est au départ une crise sur le marché du logement américain, donc c’est une crise qui est très localisée, sectorielle, mais en raison de l’imbrication des bilans, des banques, des assurances, etc, elle se propage très vite aux quatre coins du monde et elle va frapper les pays émergents puisqu’il va y avoir une fuite des capitaux. Elle va frapper aussi l’Europe puisque banques américaines et banques européennes sont très dépendantes, elles sont toutes assoiffées de dollars. La situation aux États-Unis va provoquer une sorte de contraction du marché interbancaire, et donc toutes les banques européennes vont se trouver en panne de refinancement en quelque sorte, donc il va y avoir une sorte de catastrophe financière et économique en Europe qui va provoquer l’intervention massive des États et leur surendettement. Donc c’est en 2008 qu’il y a la première crise en quelque sorte de l’interdépendance. Nous avons atteint un tel niveau d’interdépendance économique, informationnelle, technologique, énergétique, etc, qu’un choc qui survient en un point précis du système peut avoir des répercussions sur tout le système. C’est l’âge des vulnérabilités et au fond, la crise Covid, elle, est en quelque sorte le dernier tournant dans ces 20 premières années du XXIᵉ siècle, puisque au départ, c’est effectivement un virus qui surgit dans la région de Wuhan, donc dans une région industrielle chinoise et qui, par le fait des circulations humaines surmultipliées, de nos interdépendances, il se propage très vite aux quatre coins du monde. J’ajoute que la crise économique déclenchée par le lockdown, donc le confinement en Chine, a eu des répercussions très rapidement sur le monde entier puisque aujourd’hui la Chine est encore l’atelier du monde, c’est-à-dire un pays dans lequel une partie de la production mondiale de biens manufacturés s’effectue. Et Dieu sait si, avec la fragmentation des chaînes de valeur, nous sommes exposés en quelque sorte à la Chine. Donc, c’est véritablement le point d’aboutissement de trois crises systémiques majeures qui font que nous sommes en train de basculer dans une nouvelle ère, dans un nouveau cycle. Si je devais être complet dans le tableau que j’essaie de brosser, eh bien je dirais qu’il y a une quatrième crise, je ne sais pas si on peut parler de crise, je ne crois pas qu’on puisse parler de crise. C’est le changement climatique, ce n’est pas une crise parce que dans le mot crise, ça vient du grec krisis qui suggère l’idée d’une bifurcation et que donc on puisse emprunter un chemin ou un autre. Dans une crise, il y a une idée d’alternative en quelque sorte, il y a une bonne comme une mauvaise issue. C’est un terme de médecine grecque. La krisis, c’est le stade de la maladie et la maladie, elle peut se solder si le médecin a bien agi par la guérison ou elle peut se solder par la mort. Nous ne sommes pas dans une situation de crise à proprement parler s’agissant du climat, puisqu’il s’agit d’une dégradation continue et que l’on sait déjà que tous les changements qui se sont produits sont de l’ordre de l’irréversible. La question, c’est comment est-ce que nous freineront la rapidité de ces changements et comment est-ce que nous nous adaptons à ces changements ? Donc, je ne parlerai pas de crise, mais je parlerai de défi climatique. Et il est vrai que nous vivons à l’heure des crises et des défis et des transitions en tous genres. Et puisque tu posais la question de la réaction de l’État face à ça, je ne dirais pas que nous avions une guerre de retard, comme on le disait en 1940 à propos de l’armée française. Rappelle-toi ce texte de Mark Block qui s’appelle L’Étrange Défaite. Marc Bloch était à la fois un très grand historien, le fondateur de l’École des Annales, mais c’était aussi un capitaine qui était engagé dans les services en charge du ravitaillement de l’armée du Nord, c’est-à-dire l’armée française qui était en charge de résister à la percée allemande. Donc il a vu de près la défaillance logistique. Il a vu de près la défaillance organisationnelle et au fond, il a dressé un tableau impitoyable de cet état-major rempli de généraux, de généralissime, de maréchaux, croulant sous les médailles, sous les honneurs parce qu’ils avaient été des héros de la Grande Guerre, mais qui ont été totalement incapables à ajuster leur doctrine stratégique à la Seconde Guerre mondiale, et notamment à ce qui a fait la force de l’armée allemande, c’est-à-dire la motorisation, l’usage des chars et des avions. Et donc nous avions une armée pléthorique, la plus importante du monde par le nombre de soldats, mais totalement incapable de faire face à cette guerre extrêmement rapide de chars et d’avions qui était conduite par l’armée allemande. On disait alors qu’on avait une guerre de retard. Je crois que cette fois-ci, c’est plus grave encore puisque nous avons des structures publiques, mais ce n’est pas simplement en France, c’est dans beaucoup de pays du monde développé, qui ne sont pas adaptés, qui ne sont pas aptes à faire face à ces crises, à ces changements et à ces transitions. Nous avons des structures publiques qui vivent justement encore dans le monde de la paix et de la guerre, qui vivent dans des modèles, dans des paradigmes qui sont complètement dépassés. Et nous ne sommes pas capables de faire face, de construire des stratégies de résilience en quelque sorte, c’est-à-dire de faire face à des chocs extrêmement brutaux qui touchent nos vulnérabilités, qui sont parfois imprévues et qui nécessitent une réponse à la fois rapide et vigoureuse. Donc c’est un risque complet qu’il va falloir faire à un Risset de l’action publique, un Risset de notre état d’esprit collectif. Et c’est d’autant plus urgent que la France, me semble-t-il, ce grand pays qui a été si souvent à l’avant-garde politique, intellectuelle, scientifique, littéraire, esthétique, me paraît aujourd’hui dans une situation de déclassement et de décrochage qui ne laisse pas d’inquiéter et dans tous les domaines.

La suite a écouté sur VLAN !

Description de l’épisode

David Djaiz est philosophe politique, auteur, haut fonctionnaire, professeur à Science Po, bref, il connait parfaitement le sujet politique et la situation française en particulier.

Cet épisode a été enregistré en janvier 2021 donc peut être que vous serez surpris qu’on se souhaite la bonne année mais tout l’épisode reste très actuel bien sur.
Avec David que j’ai reçu déjà sur ce podcast pour parler de mondialisation post covid et de la perte de confiance dans les politiques.
Aujourd’hui, nous parlons de l’avenir politique français tant on voit comme le gouvernement actuel n’arrive pas (comme d’autres) à faire face à la crise sanitaire, comment la montée de l’extrême droite est une réalité très tangible, comment l’Europe a perdu quasi toute influence à l’échelle internationale sans parler évidemment du challenge climatique et social.
Par conséquent, dans ce long épisode nous essayons de gratter différents sujets, d’approfondir d’autres comme par exemple le rôle de l’état dans la crise sanitaire du covid mais également l’action des citoyens, le mode de fonctionnement de la république française

Je crois que l’humanité est face à des défis inédits et par conséquent, le rôle du politique et, pour ce qui nous concerne, du gouvernement français est donc crucial même s’il n’est pas l’unique.

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Transcription partielle de l’épisode

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GRÉGORY : Aujourd’hui, on va parler de la France et de son avenir. On vient de passer en 2020, dans une année extrêmement compliquée de crise sanitaire où le gouvernement français a été particulièrement challengé, on va dire, et encore aujourd’hui, avec les vaccins. On voit par ailleurs des mouvements complexes, que ce soit une crise sociale qui arrive, une crise économique évidemment du coup, une crise politique avec des élections qui arrivent l’année prochaine. On voit en parallèle ce qui se passe dans d’autres pays, en particulier aux États-Unis, où la démocratie est complètement remise en question. Donc là, on va essayer de voir ensemble à quoi va ressembler la France demain. On va peut-être parler d’abord peut-être de ton avis sur cette année 2020 qui vient de se dérouler, et comment, pour toi, les politiques et le gouvernement n’ont pas réussi à faire face à la crise sanitaire.

DAVID : L’année 2020, il faut d’abord la replacer dans son contexte historique. Elle arrive à mon avis comme une date charnière après deux autres dates très importantes, le 11 septembre 2001, première crise majeure terroriste puisque c’est l’attaque du World Trade Center à New York, qui est la première en taille en quelque sorte à ce récit avec lequel on s’est auto-intoxiqué après la chute du mur de Berlin, selon lequel, au fond, le capitalisme démocratique ou la démocratie capitaliste allait triompher dans le monde entier et le communisme était tombé avec la chute du mur de Berlin et la désintégration de l’Union soviétique. Et au fond, on parlait à l’époque de fin de l’histoire. Je vous renvoie à ce livre très intéressant, plus qu’on a voulu le dire par la suite de Francis Fukuyama qui s’appelait The End of History. 2001, c’est la première entaille, en quelque sorte, à ce récit un peu messianique de fin de l’histoire, puisque l’Occident capitaliste et libéral découvre qu’il a encore des ennemis. Même si ces ennemis sont groupusculaires, ils sont déterminés, ils s’organisent en un réseau mondial et ils le frappent. La crise financière de 2008, ça a été un deuxième choc par son ampleur, elle ressemble à la crise de 1929, même si ses conséquences économiques n’ont pas été du même ordre, parce qu’il y a eu une réaction très rapide des banques centrales, des gouvernements, mais c’est quand même un choc. C’est au départ une crise sur le marché du logement américain, donc c’est une crise qui est très localisée, sectorielle, mais en raison de l’imbrication des bilans, des banques, des assurances, etc, elle se propage très vite aux quatre coins du monde et elle va frapper les pays émergents puisqu’il va y avoir une fuite des capitaux. Elle va frapper aussi l’Europe puisque banques américaines et banques européennes sont très dépendantes, elles sont toutes assoiffées de dollars. La situation aux États-Unis va provoquer une sorte de contraction du marché interbancaire, et donc toutes les banques européennes vont se trouver en panne de refinancement en quelque sorte, donc il va y avoir une sorte de catastrophe financière et économique en Europe qui va provoquer l’intervention massive des États et leur surendettement. Donc c’est en 2008 qu’il y a la première crise en quelque sorte de l’interdépendance. Nous avons atteint un tel niveau d’interdépendance économique, informationnelle, technologique, énergétique, etc, qu’un choc qui survient en un point précis du système peut avoir des répercussions sur tout le système. C’est l’âge des vulnérabilités et au fond, la crise Covid, elle, est en quelque sorte le dernier tournant dans ces 20 premières années du XXIᵉ siècle, puisque au départ, c’est effectivement un virus qui surgit dans la région de Wuhan, donc dans une région industrielle chinoise et qui, par le fait des circulations humaines surmultipliées, de nos interdépendances, il se propage très vite aux quatre coins du monde. J’ajoute que la crise économique déclenchée par le lockdown, donc le confinement en Chine, a eu des répercussions très rapidement sur le monde entier puisque aujourd’hui la Chine est encore l’atelier du monde, c’est-à-dire un pays dans lequel une partie de la production mondiale de biens manufacturés s’effectue. Et Dieu sait si, avec la fragmentation des chaînes de valeur, nous sommes exposés en quelque sorte à la Chine. Donc, c’est véritablement le point d’aboutissement de trois crises systémiques majeures qui font que nous sommes en train de basculer dans une nouvelle ère, dans un nouveau cycle. Si je devais être complet dans le tableau que j’essaie de brosser, eh bien je dirais qu’il y a une quatrième crise, je ne sais pas si on peut parler de crise, je ne crois pas qu’on puisse parler de crise. C’est le changement climatique, ce n’est pas une crise parce que dans le mot crise, ça vient du grec krisis qui suggère l’idée d’une bifurcation et que donc on puisse emprunter un chemin ou un autre. Dans une crise, il y a une idée d’alternative en quelque sorte, il y a une bonne comme une mauvaise issue. C’est un terme de médecine grecque. La krisis, c’est le stade de la maladie et la maladie, elle peut se solder si le médecin a bien agi par la guérison ou elle peut se solder par la mort. Nous ne sommes pas dans une situation de crise à proprement parler s’agissant du climat, puisqu’il s’agit d’une dégradation continue et que l’on sait déjà que tous les changements qui se sont produits sont de l’ordre de l’irréversible. La question, c’est comment est-ce que nous freineront la rapidité de ces changements et comment est-ce que nous nous adaptons à ces changements ? Donc, je ne parlerai pas de crise, mais je parlerai de défi climatique. Et il est vrai que nous vivons à l’heure des crises et des défis et des transitions en tous genres. Et puisque tu posais la question de la réaction de l’État face à ça, je ne dirais pas que nous avions une guerre de retard, comme on le disait en 1940 à propos de l’armée française. Rappelle-toi ce texte de Mark Block qui s’appelle L’Étrange Défaite. Marc Bloch était à la fois un très grand historien, le fondateur de l’École des Annales, mais c’était aussi un capitaine qui était engagé dans les services en charge du ravitaillement de l’armée du Nord, c’est-à-dire l’armée française qui était en charge de résister à la percée allemande. Donc il a vu de près la défaillance logistique. Il a vu de près la défaillance organisationnelle et au fond, il a dressé un tableau impitoyable de cet état-major rempli de généraux, de généralissime, de maréchaux, croulant sous les médailles, sous les honneurs parce qu’ils avaient été des héros de la Grande Guerre, mais qui ont été totalement incapables à ajuster leur doctrine stratégique à la Seconde Guerre mondiale, et notamment à ce qui a fait la force de l’armée allemande, c’est-à-dire la motorisation, l’usage des chars et des avions. Et donc nous avions une armée pléthorique, la plus importante du monde par le nombre de soldats, mais totalement incapable de faire face à cette guerre extrêmement rapide de chars et d’avions qui était conduite par l’armée allemande. On disait alors qu’on avait une guerre de retard. Je crois que cette fois-ci, c’est plus grave encore puisque nous avons des structures publiques, mais ce n’est pas simplement en France, c’est dans beaucoup de pays du monde développé, qui ne sont pas adaptés, qui ne sont pas aptes à faire face à ces crises, à ces changements et à ces transitions. Nous avons des structures publiques qui vivent justement encore dans le monde de la paix et de la guerre, qui vivent dans des modèles, dans des paradigmes qui sont complètement dépassés. Et nous ne sommes pas capables de faire face, de construire des stratégies de résilience en quelque sorte, c’est-à-dire de faire face à des chocs extrêmement brutaux qui touchent nos vulnérabilités, qui sont parfois imprévues et qui nécessitent une réponse à la fois rapide et vigoureuse. Donc c’est un risque complet qu’il va falloir faire à un Risset de l’action publique, un Risset de notre état d’esprit collectif. Et c’est d’autant plus urgent que la France, me semble-t-il, ce grand pays qui a été si souvent à l’avant-garde politique, intellectuelle, scientifique, littéraire, esthétique, me paraît aujourd’hui dans une situation de déclassement et de décrochage qui ne laisse pas d’inquiéter et dans tous les domaines.

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