#168 Comment l’imaginaire des artistes nous invite à déconstruire? Avec Augustin Trapenard

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#168 Comment l'imaginaire des artistes nous invite à déconstruire? Avec Augustin Trapenard
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GRÉGORY: On va parler aujourd’hui de littérature, de culture et en particulier de leur rôle dans la réinvention des imaginaires. Mais d’abord, je voudrais comprendre le rôle justement de la culture et de la littérature pour toi.

AUGUSTIN : Je pense qu’il faut d’abord s’interroger sur ce que c’est la culture qui est un mot, qui fait peur. Le mot culture est un mot qui est souvent associé à une forme d’élite. Je me souviens, moi, quand j’ai choisi de faire mes études de littérature, ma grand-mère auvergnate me disait, horrifiée, que ce n’était pas comme ça que j’allais gagner de l’argent. C’est quelque chose qui est associé à une forme de privilège. Moi, je pense que dans mon travail, j’ai toujours essayé non pas de démocratiser la culture, mais de montrer que c’était un ensemble de mœurs partagées puisque c’est ça la culture et que pour accomplir ce partage, il fallait justement désacraliser le mot lui-même. Donc tout mon travail, il a été de montrer depuis maintenant plus de quinze ans que la culture peut être une jouissance, une excitation, un plaisir toujours partagé. Si le mot culture fait peur, le mot littérature encore plus. Donc il s’agit toujours de faire attention à la façon dont on l’emploie et de toujours montrer que le livre en tant que tel, c’est un objet qu’on peut corner, qu’on peut tacher et qu’on peut respirer, qu’on peut aimer sans forcément toujours le mettre sur un piédestal. Encore une fois, moi, je viens d’une famille où il y a des livres qu’on ne touchait pas. C’était un signe de richesse, où du moins de réussite, et j’essaie au contraire les passer, les toucher et les partager sans cesse.

GRÉGORY : Comment tu fais ce passage de prof d’anglais à animateur radio ? Ce n’est pas tant l’évolution professionnelle, mais plutôt le choix que tu fais toi, de se dire je transmets parce qu’il y a vraiment cette idée de transmission que j’aime beaucoup, donc de prof, c’est une forme de transmission, puis de dire je vais devenir animateur radio ou télé et je vais transmettre de manière différente.

AUGUSTIN : Je pense qu’au tout départ, il n’y a pas forcément l’idée de transmission. Il y a un plaisir tout à fait égoïste qui est celui de la littérature. J’étais un enfant qui lisait énormément dans une famille ou il y avait des livres puisque ma mère était enseignante et je me suis profondément réfugié dans les livres et j’ai toujours su que je ferais un métier qui aurait quelque chose à voir avec les livres. Donc j’ai d’abord effectivement fait des études de littérature tout fait pour devenir enseignant, l’école normale sup, l’agrégation, j’ai commencé un doctorat que je n’ai jamais terminé, mais que je terminerai peut-être un jour. Petit à petit, effectivement, je suis devenu chroniqueur, puis producteur de radio et à la télévision, chroniqueur, puis journaliste et présentateur d’émissions. L’idée, elle est toujours la même, elle est de prendre à bras le corps les livres et la littérature et de poursuivre ce plaisir et cette jouissance-là. Et je parle vraiment de jouissance parce que moi, je l’associe à un acte quasi érotique, en fait mon lien à la littérature. Donc, pour moi, il y a une véritable continuité si tu veux.

GRÉGORY : Justement, c’est marrant que tu dis ça, j’allais te demander la place de l’amour. Je sais que c’est quelque chose qui est extrêmement important pour toi.

AUGUSTIN : J’ai une émission qui s’appelait Le Cercle et une qui s’appelait 21 cm.

GRÉGORY : Alors effectivement, est-ce que tu peux nous en parler, parce que je ne comprends pas cette histoire de 21 centimètres ?

AUGUSTIN : C’est une émission qui n’existe plus puisque j’ai quitté le groupe Canal+, mais c’est une émission effectivement que j’ai tenue pendant cinq ans et qui correspond à la taille d’un livre, tout simplement. Un livre grand format fait 21 cm. Après libre à toi d’en tirer les conclusions que tu souhaites. Ce que j’ai envie de dire, c’est que la littérature m’habite. 

GRÉGORY : Tu parlais tout à l’heure de ton enfance et de l’imaginaire, et c’est justement là où j’ai envie de t’emmener. Et en particulier, je sais que Les Hauts de Hurlevent, c’est ton livre favori. Est-ce que, d’abord, tu peux nous en parler ? Pourquoi c’est ton livre favori ? Moi, de ce que j’ai compris justement, elle a construit ces livres à travers son imaginaire, parce que finalement, elle n’a jamais vraiment voyagé, cette femme.

AUGUSTIN : Oui, c’est très intéressant ce que tu dis effectivement. Déjà, j’ai grandi entre la France et l’Angleterre puisque mon père a été nommé lorsque j’étais très jeune en Angleterre. Donc j’ai appris à lire, à écrire en anglais. Il faut savoir que Les Hauts de Hurlevent, l’unique romain d’Emily Brontë, publié en 1847, c’est un peu l’équivalent de nos Misérables ou de l’Étranger de Camus, si tu veux, c’est un classique en Angleterre et d’ailleurs dans tout le monde anglophone qui est étudié, rabâché, lu et relu. Donc c’est un livre que j’ai lu assez jeunes vers l’âge de 10/11 ans parce qu’après j’ai suivi un cursus en France qui est un cursus bilingue. Et c’est un livre qui m’a complètement hanté et bouleversé effectivement par son traitement de l’amour, mais aussi des classes sociales, mais aussi de l’autre, de l’étranger, et puis aussi par sa poésie, sa profonde poésie. Tu as raison de dire qu’Emily Brontë a un parcours assez singulier, elle était une jeune fille de pasteur et elle a très peu voyagé dans sa vie. Elle est très peu sortie de ce presbytère dans le nord de l’Angleterre ou elle vivait avec sa fratrie. On sait au moins qu’elle est sortie deux fois, une fois pour faire un long week-end dans le coin du Yorkshire et une autre fois pendant un an ou elle est partie à Bruxelles pour enseigner. Ce qui veut dire effectivement que son écriture, sa littérature, son unique roman en l’occurrence, mais aussi ses poèmes, se fondent sur un imaginaire et sur ses propres lectures également, qu’elle raturait et qu’elle complétait. On a par exemple, lorsque j’étais chercheur en littérature plus jeune, je me souviens de m’être rendu dans la bibliothèque des Brontë dans le Yorkshire, et d’avoir pu consulter les livres de la bibliothèque des Brontë et voir que, par exemple, dans l’exemplaire du Paradis perdu de Milton, Emily Brontë rajoutait des petites phrases, corrigeait le texte de Milton, répondait en fait au texte qui lui était présenté. Je trouve que c’est une très belle image de ce que c’est que la littérature, une forme de palimpseste, c’étaient ces manuscrits qu’utilisaient les moines et sur le manuscrit, on pouvait voir en fait le texte qui avait été écrit précédemment et qui était effacé. Et c’est une très belle image pour parler de la littérature. La littérature se nourrit également de littérature. Elle existe aussi parce qu’il y avait auparavant.

La suite a écouté sur VLAN !

Description de l’épisode

Augustin Trapenard est professeur, producteur, animateur de radio et TV, il officie particulièrement sur Canal Plus et sur France Inter avec Boomerang tous les matins.
Augustin, c’est le monsieur culture sans prise de tête, la culture accessible, la culture que j’aime.
Celle qui questionne, qui fait avancer.

On parle de très nombreux sujets avec Augustin toujours dans le rire et la bonne humeur qui le caractérise évidemment.
Evidemment au centre son amour pour la littérature et pour la culture en général, on y parle de jouissance, de déconstruction, d’éducation, de cancel culture.
Mais surtout, on parle de l’association dont il est le parrain: Bibliothèques Sans Frontières et du rôle de la culture pour des personnes qui n’ont rien, qui survivent dans des camps de réfugiés dans lesquels ils vont passer beaucoup trop de temps.
Un épisode rare par la multitude, la profondeur, la beauté des propos.
D’ailleurs, vous comprendrez le titre de l’épisode qu’une fois que vous aurez écouter l’intégralité de l’épisode. Je ne vous dis que ça 🙂

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Transcription partielle de l’épisode

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GRÉGORY: On va parler aujourd’hui de littérature, de culture et en particulier de leur rôle dans la réinvention des imaginaires. Mais d’abord, je voudrais comprendre le rôle justement de la culture et de la littérature pour toi.

AUGUSTIN : Je pense qu’il faut d’abord s’interroger sur ce que c’est la culture qui est un mot, qui fait peur. Le mot culture est un mot qui est souvent associé à une forme d’élite. Je me souviens, moi, quand j’ai choisi de faire mes études de littérature, ma grand-mère auvergnate me disait, horrifiée, que ce n’était pas comme ça que j’allais gagner de l’argent. C’est quelque chose qui est associé à une forme de privilège. Moi, je pense que dans mon travail, j’ai toujours essayé non pas de démocratiser la culture, mais de montrer que c’était un ensemble de mœurs partagées puisque c’est ça la culture et que pour accomplir ce partage, il fallait justement désacraliser le mot lui-même. Donc tout mon travail, il a été de montrer depuis maintenant plus de quinze ans que la culture peut être une jouissance, une excitation, un plaisir toujours partagé. Si le mot culture fait peur, le mot littérature encore plus. Donc il s’agit toujours de faire attention à la façon dont on l’emploie et de toujours montrer que le livre en tant que tel, c’est un objet qu’on peut corner, qu’on peut tacher et qu’on peut respirer, qu’on peut aimer sans forcément toujours le mettre sur un piédestal. Encore une fois, moi, je viens d’une famille où il y a des livres qu’on ne touchait pas. C’était un signe de richesse, où du moins de réussite, et j’essaie au contraire les passer, les toucher et les partager sans cesse.

GRÉGORY : Comment tu fais ce passage de prof d’anglais à animateur radio ? Ce n’est pas tant l’évolution professionnelle, mais plutôt le choix que tu fais toi, de se dire je transmets parce qu’il y a vraiment cette idée de transmission que j’aime beaucoup, donc de prof, c’est une forme de transmission, puis de dire je vais devenir animateur radio ou télé et je vais transmettre de manière différente.

AUGUSTIN : Je pense qu’au tout départ, il n’y a pas forcément l’idée de transmission. Il y a un plaisir tout à fait égoïste qui est celui de la littérature. J’étais un enfant qui lisait énormément dans une famille ou il y avait des livres puisque ma mère était enseignante et je me suis profondément réfugié dans les livres et j’ai toujours su que je ferais un métier qui aurait quelque chose à voir avec les livres. Donc j’ai d’abord effectivement fait des études de littérature tout fait pour devenir enseignant, l’école normale sup, l’agrégation, j’ai commencé un doctorat que je n’ai jamais terminé, mais que je terminerai peut-être un jour. Petit à petit, effectivement, je suis devenu chroniqueur, puis producteur de radio et à la télévision, chroniqueur, puis journaliste et présentateur d’émissions. L’idée, elle est toujours la même, elle est de prendre à bras le corps les livres et la littérature et de poursuivre ce plaisir et cette jouissance-là. Et je parle vraiment de jouissance parce que moi, je l’associe à un acte quasi érotique, en fait mon lien à la littérature. Donc, pour moi, il y a une véritable continuité si tu veux.

GRÉGORY : Justement, c’est marrant que tu dis ça, j’allais te demander la place de l’amour. Je sais que c’est quelque chose qui est extrêmement important pour toi.

AUGUSTIN : J’ai une émission qui s’appelait Le Cercle et une qui s’appelait 21 cm.

GRÉGORY : Alors effectivement, est-ce que tu peux nous en parler, parce que je ne comprends pas cette histoire de 21 centimètres ?

AUGUSTIN : C’est une émission qui n’existe plus puisque j’ai quitté le groupe Canal+, mais c’est une émission effectivement que j’ai tenue pendant cinq ans et qui correspond à la taille d’un livre, tout simplement. Un livre grand format fait 21 cm. Après libre à toi d’en tirer les conclusions que tu souhaites. Ce que j’ai envie de dire, c’est que la littérature m’habite. 

GRÉGORY : Tu parlais tout à l’heure de ton enfance et de l’imaginaire, et c’est justement là où j’ai envie de t’emmener. Et en particulier, je sais que Les Hauts de Hurlevent, c’est ton livre favori. Est-ce que, d’abord, tu peux nous en parler ? Pourquoi c’est ton livre favori ? Moi, de ce que j’ai compris justement, elle a construit ces livres à travers son imaginaire, parce que finalement, elle n’a jamais vraiment voyagé, cette femme.

AUGUSTIN : Oui, c’est très intéressant ce que tu dis effectivement. Déjà, j’ai grandi entre la France et l’Angleterre puisque mon père a été nommé lorsque j’étais très jeune en Angleterre. Donc j’ai appris à lire, à écrire en anglais. Il faut savoir que Les Hauts de Hurlevent, l’unique romain d’Emily Brontë, publié en 1847, c’est un peu l’équivalent de nos Misérables ou de l’Étranger de Camus, si tu veux, c’est un classique en Angleterre et d’ailleurs dans tout le monde anglophone qui est étudié, rabâché, lu et relu. Donc c’est un livre que j’ai lu assez jeunes vers l’âge de 10/11 ans parce qu’après j’ai suivi un cursus en France qui est un cursus bilingue. Et c’est un livre qui m’a complètement hanté et bouleversé effectivement par son traitement de l’amour, mais aussi des classes sociales, mais aussi de l’autre, de l’étranger, et puis aussi par sa poésie, sa profonde poésie. Tu as raison de dire qu’Emily Brontë a un parcours assez singulier, elle était une jeune fille de pasteur et elle a très peu voyagé dans sa vie. Elle est très peu sortie de ce presbytère dans le nord de l’Angleterre ou elle vivait avec sa fratrie. On sait au moins qu’elle est sortie deux fois, une fois pour faire un long week-end dans le coin du Yorkshire et une autre fois pendant un an ou elle est partie à Bruxelles pour enseigner. Ce qui veut dire effectivement que son écriture, sa littérature, son unique roman en l’occurrence, mais aussi ses poèmes, se fondent sur un imaginaire et sur ses propres lectures également, qu’elle raturait et qu’elle complétait. On a par exemple, lorsque j’étais chercheur en littérature plus jeune, je me souviens de m’être rendu dans la bibliothèque des Brontë dans le Yorkshire, et d’avoir pu consulter les livres de la bibliothèque des Brontë et voir que, par exemple, dans l’exemplaire du Paradis perdu de Milton, Emily Brontë rajoutait des petites phrases, corrigeait le texte de Milton, répondait en fait au texte qui lui était présenté. Je trouve que c’est une très belle image de ce que c’est que la littérature, une forme de palimpseste, c’étaient ces manuscrits qu’utilisaient les moines et sur le manuscrit, on pouvait voir en fait le texte qui avait été écrit précédemment et qui était effacé. Et c’est une très belle image pour parler de la littérature. La littérature se nourrit également de littérature. Elle existe aussi parce qu’il y avait auparavant.

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