#166 Comprendre le phénomène des génocides pour les éviter avec Jacques Fredj

VLAN! Podcast
VLAN! Podcast
#166 Comprendre le phénomène des génocides pour les éviter avec Jacques Fredj
Loading
/

GRÉGORY : On va parler aujourd’hui d’un sujet qui n’est pas très rigolo, mais en même temps extrêmement important qu’est le génocide. Et pour commencer, je crois que sans doute la première chose à faire et qui me semble essentielle, c’est de redéfinir ce que c’est qu’un génocide.

JACQUES : Oui, c’est un mot qui a été inventé au lendemain de la guerre, qui date de 1948. Le concept a été inventé par un juriste américain qui s’appelle Raphael Lemkin et qui finalement, dès 1943, il pensait à la fois à ce qui est en train de se passer pendant la Seconde Guerre mondiale, mais en même temps, il pensait au génocide des Arméniens. Et il pensait que pour les crimes, que ce soient ceux des Arméniens ou ceux qui étaient en train d’être perpétrés à l’encontre des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale, il fallait inventer un mot nouveau pour qualifier ces crimes particuliers qui avaient été commis en 1915 et qui étaient en train d’être commis pendant la Seconde Guerre mondiale. Et vous savez que ce mot n’a pas été utilisé dans les grands procès de Nuremberg, qui était le premier essai de justice internationale, ou on a jugé les bourreaux, les criminels nazis. Mais la définition est arrivée en 1948, donc c’est un terme qui vient à la fois du grec et du latin, qui signifie “tuer et race” on va dire, et l’idée si vous voulez pour faire simple, parce qu’il faut que vous sachiez que c’est un terme juridique, le mot génocide, mais c’est aussi un sujet d’histoire. Et alors, pour faire simple, un génocide, c’est un État qui va assassiner un groupe de manière planifiée, intentionnelle, organisée, sans raison en fait, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’aller récupérer une terre ou autre, on veut assassiner des gens pour ce qu’ils sont. Peu importe ce qu’ils pensent, on ne les assassine pas pour ce qu’ils pensent ou pour ce qu’ils disent, mais parce qu’ils sont quelque chose, ils sont nés quelque chose ou ce sont les porteurs de quelque chose, une identité, une religion, une ethnie, etc, voilà. Ce sont des notions fondamentales qui vont faire la différence. Le crime de génocide est rattaché aux crimes contre l’humanité. Donc il y a d’autres crimes qui sont bien évidemment tout aussi terribles. Ce n’est pas parce qu’un crime n’est pas un génocide, que ce n’est pas un crime de masse, que ce n’est pas un crime terrible. C’est très important parce que le mot génocide répond à certaines situations et pas à toutes les situations. C’est-à-dire qu’on vit une période où le ou il y a une tentative volontaire ou involontaire de vouloir déformer le sens des mots et de souhaiter faire de toutes les situations un génocide. Tout n’est pas génocide, mais ça ne veut pas dire que parce que ce n’est pas un génocide, ça ne veut pas dire que pour autant un crime qui est en train de se perpétrer ne relève pas d’une gravité exceptionnelle. Donc voilà, ça qualifie la marque du crime de génocide.

GRÉGORY : Et on a l’impression quand on vous écoute que ça ne pourrait pas se reproduire. C’est-à-dire qu’on a l’impression qu’effectivement, il y a eu la Seconde Guerre mondiale et l’extermination des juifs, et on va évidemment y revenir, mais qu’aujourd’hui, en 2021, on a appris et que ça ne peut pas se reproduire. Pourtant, la réalité, c’est que ça s’est déjà reproduit entre temps. Peut-être qu’on peut revenir sur ces exemples-là parce que c’est important de les rappeler et surtout, ça peut revenir à n’importe quel moment. J’aimerais d’abord qu’on reprenne des exemples ou ça s’est reproduit depuis la Seconde Guerre mondiale, mais aussi comprendre la logique derrière le génocide, comment ça se met en place et comment on en arrive à une population qui en détruit une autre. Ce qui est complètement fou quand on y pense.

JACQUES : Oui, alors en fait là où vous avez entièrement raison, c’est que globalement, nous, le mémorial de la Shoah, car on travaille sur les génocides qui font l’unanimité sur le plan historique. Il faut savoir qu’il y a des discussions, il y a des débats encore aujourd’hui sur des situations. On a parlé des Yézidis, on a parlé des Ouïghours, on a parlé de l’ex-Yougoslavie. On a parlé de l’Holodomor en Ukraine. Aujourd’hui, il y a unanimité sur le massacre, le génocide des Hereros et des Namas en Namibie, à la fin du XIXᵉ siècle, celui des Arméniens en 1915, celui des Tsiganes pendant la Seconde Guerre mondiale, le génocide des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale également. Et puis, après la guerre, il y a un génocide qui fait l’unanimité dans toutes les situations qui se sont déroulées après la guerre, c’est celui des Tutsis au Rwanda. Et là où vous avez 1000 fois raison, c’est que pendant des années, au lendemain de la guerre, on a répété ces formules que les rescapés de la Shoa criaient avec conviction. Plus jamais ça ! Et c’est vrai que tout ce qui s’est passé depuis, et en particulier en 1994, le génocide des Tutsis au Rwanda, montre que finalement des situations se reproduisent et qu’il y a un côté un peu naïf à imaginer que l’homme apprendra de manière définitive ces leçons historiques, et qu’il ne reproduira plus des crimes qui ont mené à tant de morts dans l’histoire pour des raisons totalement absurde, où l’intolérance est au cœur du crime. On va dire très clairement les choses parce que ce qui va être commun à toutes ces situations, c’est qu’il y a cette intolérance qui est à la base de tout et qui va amener à la mise à mort d’une population par une autre population. Et là où je vous rejoins, c’est que même nous, dans notre terminologie, nous avons changé notre façon de de parler. Moi, je ne dis plus qu’il s’agit d’éradiquer de manière définitive, sur le plan de l’éducation, le risque de génocide. Je crois que malheureusement, la nature humaine étant ce qu’elle est, je pense que notre rôle, c’est de limiter les conséquences de la haine, du racisme et de l’antisémitisme en général. Et j’utilise le mot limité parce qu’il y a eu le génocide des Tutsis au Rwanda et parce qu’il y a peut-être au moment où on parle d’une situation génocidaire et malheureusement, ce n’est pas à désespérer de l’être humain. C’est simplement que je pense qu’on a été trop ambitieux à vouloir penser qu’on allait mettre fin au racisme, à l’antisémitisme, au génocide, à l’intolérance, à l’exclusion, à la discrimination. C’est nous qui avons été naïf de penser qu’on y mettrait fin.

La suite a écouté sur VLAN !

Description de l’épisode

Jacques Fredj est un historien, c’est également le directeur du mémorial de la Shoah qui se concentre à comprendre les phénomènes génocidaires qu’ils concernent les juifs mais aussi et plus largement l’ensemble des populations qui ont été, à un moment donné de l’histoire exterminées en grand nombre.
Evidemment le sujet n’est pas joyeux, il est grave et en même temps, pour cette semaine de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, il me semblait important d’en parler.

Je n’aurais pas voulu ignorer ce sujet dont on pourrait se dire qu’il ne se reproduira pas après la seconde guerre mondiale et qui pourtant c’est déjà reproduit voire se reproduit peut être même en ce moment même.
Je pense particulièrement aux Ouighours dont l’extermination n’a pas, pour le moment, le nom de génocides mais qui pourrait bien se voire requalifier.
Mais au fond c’est quoi un génocide? Comment le distingue-t-on d’un crime contre l’humanité?
Comment ces phénomènes peuvent prendre naissance? Comment on arrive à une situation dans laquelle une population laisse un gouvernement exterminer une autre population?
Est-ce que nous pourrions être des spectateurs de ces scènes encore aujourd’hui?
Jacques Fredj nous explique parfaitement et par l’exemple comment tout cela arrive à se mettre en place, comment nous pouvons laisser faire.
Il a d’ailleurs cette phrase terrible qui consiste à dire que l’objectif n’est pas de voire disparaitre ces phénomènes mais de les éviter partout ou cela est possible.
Je ne sais pas s’il a raison mais au moins cet épisode participe à son micro niveau à éduquer autour de ces questions.
N’hésitez pas à réagir en commentaire surtout.

Vous aimerez aussi ces épisodes

Transcription partielle de l’épisode

VLAN! Podcast
VLAN! Podcast
#166 Comprendre le phénomène des génocides pour les éviter avec Jacques Fredj
Loading
/

GRÉGORY : On va parler aujourd’hui d’un sujet qui n’est pas très rigolo, mais en même temps extrêmement important qu’est le génocide. Et pour commencer, je crois que sans doute la première chose à faire et qui me semble essentielle, c’est de redéfinir ce que c’est qu’un génocide.

JACQUES : Oui, c’est un mot qui a été inventé au lendemain de la guerre, qui date de 1948. Le concept a été inventé par un juriste américain qui s’appelle Raphael Lemkin et qui finalement, dès 1943, il pensait à la fois à ce qui est en train de se passer pendant la Seconde Guerre mondiale, mais en même temps, il pensait au génocide des Arméniens. Et il pensait que pour les crimes, que ce soient ceux des Arméniens ou ceux qui étaient en train d’être perpétrés à l’encontre des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale, il fallait inventer un mot nouveau pour qualifier ces crimes particuliers qui avaient été commis en 1915 et qui étaient en train d’être commis pendant la Seconde Guerre mondiale. Et vous savez que ce mot n’a pas été utilisé dans les grands procès de Nuremberg, qui était le premier essai de justice internationale, ou on a jugé les bourreaux, les criminels nazis. Mais la définition est arrivée en 1948, donc c’est un terme qui vient à la fois du grec et du latin, qui signifie “tuer et race” on va dire, et l’idée si vous voulez pour faire simple, parce qu’il faut que vous sachiez que c’est un terme juridique, le mot génocide, mais c’est aussi un sujet d’histoire. Et alors, pour faire simple, un génocide, c’est un État qui va assassiner un groupe de manière planifiée, intentionnelle, organisée, sans raison en fait, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’aller récupérer une terre ou autre, on veut assassiner des gens pour ce qu’ils sont. Peu importe ce qu’ils pensent, on ne les assassine pas pour ce qu’ils pensent ou pour ce qu’ils disent, mais parce qu’ils sont quelque chose, ils sont nés quelque chose ou ce sont les porteurs de quelque chose, une identité, une religion, une ethnie, etc, voilà. Ce sont des notions fondamentales qui vont faire la différence. Le crime de génocide est rattaché aux crimes contre l’humanité. Donc il y a d’autres crimes qui sont bien évidemment tout aussi terribles. Ce n’est pas parce qu’un crime n’est pas un génocide, que ce n’est pas un crime de masse, que ce n’est pas un crime terrible. C’est très important parce que le mot génocide répond à certaines situations et pas à toutes les situations. C’est-à-dire qu’on vit une période où le ou il y a une tentative volontaire ou involontaire de vouloir déformer le sens des mots et de souhaiter faire de toutes les situations un génocide. Tout n’est pas génocide, mais ça ne veut pas dire que parce que ce n’est pas un génocide, ça ne veut pas dire que pour autant un crime qui est en train de se perpétrer ne relève pas d’une gravité exceptionnelle. Donc voilà, ça qualifie la marque du crime de génocide.

GRÉGORY : Et on a l’impression quand on vous écoute que ça ne pourrait pas se reproduire. C’est-à-dire qu’on a l’impression qu’effectivement, il y a eu la Seconde Guerre mondiale et l’extermination des juifs, et on va évidemment y revenir, mais qu’aujourd’hui, en 2021, on a appris et que ça ne peut pas se reproduire. Pourtant, la réalité, c’est que ça s’est déjà reproduit entre temps. Peut-être qu’on peut revenir sur ces exemples-là parce que c’est important de les rappeler et surtout, ça peut revenir à n’importe quel moment. J’aimerais d’abord qu’on reprenne des exemples ou ça s’est reproduit depuis la Seconde Guerre mondiale, mais aussi comprendre la logique derrière le génocide, comment ça se met en place et comment on en arrive à une population qui en détruit une autre. Ce qui est complètement fou quand on y pense.

JACQUES : Oui, alors en fait là où vous avez entièrement raison, c’est que globalement, nous, le mémorial de la Shoah, car on travaille sur les génocides qui font l’unanimité sur le plan historique. Il faut savoir qu’il y a des discussions, il y a des débats encore aujourd’hui sur des situations. On a parlé des Yézidis, on a parlé des Ouïghours, on a parlé de l’ex-Yougoslavie. On a parlé de l’Holodomor en Ukraine. Aujourd’hui, il y a unanimité sur le massacre, le génocide des Hereros et des Namas en Namibie, à la fin du XIXᵉ siècle, celui des Arméniens en 1915, celui des Tsiganes pendant la Seconde Guerre mondiale, le génocide des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale également. Et puis, après la guerre, il y a un génocide qui fait l’unanimité dans toutes les situations qui se sont déroulées après la guerre, c’est celui des Tutsis au Rwanda. Et là où vous avez 1000 fois raison, c’est que pendant des années, au lendemain de la guerre, on a répété ces formules que les rescapés de la Shoa criaient avec conviction. Plus jamais ça ! Et c’est vrai que tout ce qui s’est passé depuis, et en particulier en 1994, le génocide des Tutsis au Rwanda, montre que finalement des situations se reproduisent et qu’il y a un côté un peu naïf à imaginer que l’homme apprendra de manière définitive ces leçons historiques, et qu’il ne reproduira plus des crimes qui ont mené à tant de morts dans l’histoire pour des raisons totalement absurde, où l’intolérance est au cœur du crime. On va dire très clairement les choses parce que ce qui va être commun à toutes ces situations, c’est qu’il y a cette intolérance qui est à la base de tout et qui va amener à la mise à mort d’une population par une autre population. Et là où je vous rejoins, c’est que même nous, dans notre terminologie, nous avons changé notre façon de de parler. Moi, je ne dis plus qu’il s’agit d’éradiquer de manière définitive, sur le plan de l’éducation, le risque de génocide. Je crois que malheureusement, la nature humaine étant ce qu’elle est, je pense que notre rôle, c’est de limiter les conséquences de la haine, du racisme et de l’antisémitisme en général. Et j’utilise le mot limité parce qu’il y a eu le génocide des Tutsis au Rwanda et parce qu’il y a peut-être au moment où on parle d’une situation génocidaire et malheureusement, ce n’est pas à désespérer de l’être humain. C’est simplement que je pense qu’on a été trop ambitieux à vouloir penser qu’on allait mettre fin au racisme, à l’antisémitisme, au génocide, à l’intolérance, à l’exclusion, à la discrimination. C’est nous qui avons été naïf de penser qu’on y mettrait fin.

La suite a écouté sur VLAN !

Menu