#159 Casser les idées préconçues sur le continent Africain avec Odile Goerg

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#159 Casser les idées préconçues sur le continent Africain avec Odile Goerg
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GRÉGORY : On va parler ensemble de l’Afrique, mais surtout aujourd’hui des stéréotypes autour de l’Afrique. Je crois que l’un des premiers stéréotypes que l’on fait avec l’Afrique, c’est de considérer le continent et l’ensemble des pays qu’il constitue comme un pays. On ne fait pas trop la différence finalement, et on ne sait pas trop la différence d’un pays à un autre. On ne le ferait pas pour l’Europe, c’est-à-dire que pour l’Europe, on peut parler d’Europe, mais c’est vrai qu’on sait très bien faire la différence entre la France, l’Allemagne, la Finlande ou le Portugal. Pourtant, pour l’Afrique, on ne sait pas trop les différences entre les pays…

ODILE : Alors effectivement, très souvent, les gens disent l’Afrique, comme vous venez de le dire, quand on dit l’Europe, on sait que c’est une construction politique, on sait qu’il y a quelque chose derrière. Alors certains ont bien conscience que l’Afrique, c’est aussi une construction politique qui est la construction du panafricanisme depuis le milieu du XIXᵉ siècle, sous des avatars différents. Mais ensuite, très facilement, les gens vont vous dire les Africains, ceux-ci l’Afrique, etc, ceci sans avoir conscience de la diversité et surtout parce que les gens ne se donne pas la volonté, la curiosité de chercher ce qu’il y a de différent.

GRÉGORY : Alors il y a une différence quand même que les gens font en général, mais ils ne les considèrent pas comme africains, ils vont parler du Maghreb, des arabes. Alors les arabes, ce n’est pas que le Maghreb, mais ils vont avoir tendance à parler des arabes et des africains, donc ils vont différencier en fonction de la couleur de peau.

ODILE : Alors ça, c’est pour moi, une problématique qui m’a intéressé, sur lequel j’ai même fait des recherches. C’est-à-dire d’où vient ce concept d’Afrique noire qui en fait est un concept très français. On ne dit pas “Black African” ou on le dit de manière très rare. C’est vraiment le résultat de la vision coloniale. Mais ça pose un problème de définition puisqu’on ne voit pas très bien ou il y a le début et la fin du Sahara, donc c’est vraiment la façon dont la colonisation française dans ce cas-là a découpé l’Afrique, a vu l’Afrique. Je vais dire par ce concept de Black African, le Kenya sont peuplés entre autres de colons européens, donc si vous dites noir, vous excluez ces gens-là. Eux, ils parlaient plutôt d’Afrique tropicale. Mais les Français ont effectivement construit cette idée d’Afrique noire pour la différencier du Maghreb et la différencier non seulement dans la gestion politique, puisqu’on sait que ce n’est pas tout à fait pareil, mais aussi la différencier dans les représentations. Parce que le Maghreb, ça véhicule quand même l’idée qu’il y a eu des états antérieurs importants, qu’il y a une culture et la notion d’Afrique noire ne véhicule pas la même chose. Effectivement, lorsque je suis arrivé pour enseigner dans l’université Paris 7, on avait un laboratoire qui s’appelait Afrique noire et j’ai contribué à changer, à enlever ce nom parce que c’est le seul continent qu’on appelle par une couleur qui n’a absolument aucun sens.

GRÉGORY : Ça n’a aucun sens et il y a des différences majeures d’un pays à l’autre. Vous vous êtes spécialiste de certains des pays d’ailleurs.

ODILE : Alors, comme tout historien, on a ce qu’on appelle un terrain ou un lieu de recherche. Donc moi, j’ai travaillé sur la Guinée et la Sierra Leone, ce qui déjà m’a donné un atout énorme parce que c’est du comparatisme et qu’effectivement, si vous allez en Guinée, vous allez trouver, et je caricature un peu, la baguette à la française pour le pain qui s’est largement répandu à partir de la colonisation. Si vous allez en Sierra Leone, vous avez le pain de mie coupé en triangle, donc déjà là, c’est totalement différent. Mais ensuite, comme j’ai enseigné l’histoire de l’Afrique dans mon université, j’ai été obligé d’enseigner de manière large. Moi j’ai circulé un peu partout, donc j’ai une connaissance assez large, mais j’ai été, on va dire, spécialisé en Afrique centrale et occidentale, ce qui fait déjà un très gros morceau.

GRÉGORY : Oui, c’est sûr. Et alors, est-ce que vous pouvez nous parler, par exemple, des différences majeures d’un pays à l’autre ? Il y a des différences, je pense au Niger ou il y a vraiment des différences très majeures, déjà d’une côte à l’autre. Il y a des différences majeures d’un pays à l’autre. Est-ce que vous nous parlez de ces différences ?

ODILE : Les différences sont énormes et comme vous le disiez tout au début entre la Finlande et la Grèce, on voit tout de suite les différences qui sont déjà données par l’écologie, par le milieu, par l’environnement. Ce n’est pas le même climat, ce n’est donc pas la même agriculture. L’agriculture, c’est la relation sociale. Comment on gère ou non les réserves, etc, donc il y a des différences environnementales et très importantes, des différences culturelles très importantes, des différences qui sont plus récentes, mais avec quand même des profondeurs historiques, religieuses, puisqu’il y a eu l’importation des deux grands monothéismes, l’islam et le christianisme. Le judaïsme n’étant pas prosélyte, il est resté localisé à l’Éthiopie où vous aviez une communauté, donc il y a des différences culturelles aussi, des différences énormes dont les gens n’ont peut-être pas conscience. Toujours dans les rapports sociaux, entre des cultures qui sont très introverties ou on ne s’exprime pas, et des cultures plus exubérantes. Les différences se marquent à tous les niveaux.

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Description de l’épisode

Odile Goerg est une historienne, professeur émérite de l’histoire contemporaine africaine et elle est spécialisée sur la Guinée et la Sierra Léone en particulier. Elle est également co-éditrice d’une collection d’histoire de l’Afrique aux éditions Brill et fut membre du conseil scientifique de l’institut Emilie du Châtelet, qui promeut les recherches en genre.
Le continent Africain est particulièrement méconnu en France malgré l’histoire qui relie le continent avec l’hexagone et par conséquent nous en avons beaucoup de préjugés ou d’idées qui sont totalement décalées de la réalité.
Avec Odile nous revenons sur beaucoup d’éléments comme le rapport à la culture, l’économie, la nature, le rapport au genre, la démographie….
Ca me semble essentiel de mieux comprendre ce continent dont nous sommes si proches par bien des aspects dont évidemment le colonialisme,
Par exemple on reparle de ce concept “d’Afrique noire”, on parle des différences entre les pays et en particulier entre l’est et l’ouest mais aussi entre le nord, le centre et le sud.
Comme l’explique Odile, le pire n’est pas la méconnaissance mais le non désir de connaissance sur ce continent, j’espère que cet épisode vous donnera envie d’en savoir plus, beaucoup plus.

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Transcription partielle de l’épisode

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GRÉGORY : On va parler ensemble de l’Afrique, mais surtout aujourd’hui des stéréotypes autour de l’Afrique. Je crois que l’un des premiers stéréotypes que l’on fait avec l’Afrique, c’est de considérer le continent et l’ensemble des pays qu’il constitue comme un pays. On ne fait pas trop la différence finalement, et on ne sait pas trop la différence d’un pays à un autre. On ne le ferait pas pour l’Europe, c’est-à-dire que pour l’Europe, on peut parler d’Europe, mais c’est vrai qu’on sait très bien faire la différence entre la France, l’Allemagne, la Finlande ou le Portugal. Pourtant, pour l’Afrique, on ne sait pas trop les différences entre les pays…

ODILE : Alors effectivement, très souvent, les gens disent l’Afrique, comme vous venez de le dire, quand on dit l’Europe, on sait que c’est une construction politique, on sait qu’il y a quelque chose derrière. Alors certains ont bien conscience que l’Afrique, c’est aussi une construction politique qui est la construction du panafricanisme depuis le milieu du XIXᵉ siècle, sous des avatars différents. Mais ensuite, très facilement, les gens vont vous dire les Africains, ceux-ci l’Afrique, etc, ceci sans avoir conscience de la diversité et surtout parce que les gens ne se donne pas la volonté, la curiosité de chercher ce qu’il y a de différent.

GRÉGORY : Alors il y a une différence quand même que les gens font en général, mais ils ne les considèrent pas comme africains, ils vont parler du Maghreb, des arabes. Alors les arabes, ce n’est pas que le Maghreb, mais ils vont avoir tendance à parler des arabes et des africains, donc ils vont différencier en fonction de la couleur de peau.

ODILE : Alors ça, c’est pour moi, une problématique qui m’a intéressé, sur lequel j’ai même fait des recherches. C’est-à-dire d’où vient ce concept d’Afrique noire qui en fait est un concept très français. On ne dit pas “Black African” ou on le dit de manière très rare. C’est vraiment le résultat de la vision coloniale. Mais ça pose un problème de définition puisqu’on ne voit pas très bien ou il y a le début et la fin du Sahara, donc c’est vraiment la façon dont la colonisation française dans ce cas-là a découpé l’Afrique, a vu l’Afrique. Je vais dire par ce concept de Black African, le Kenya sont peuplés entre autres de colons européens, donc si vous dites noir, vous excluez ces gens-là. Eux, ils parlaient plutôt d’Afrique tropicale. Mais les Français ont effectivement construit cette idée d’Afrique noire pour la différencier du Maghreb et la différencier non seulement dans la gestion politique, puisqu’on sait que ce n’est pas tout à fait pareil, mais aussi la différencier dans les représentations. Parce que le Maghreb, ça véhicule quand même l’idée qu’il y a eu des états antérieurs importants, qu’il y a une culture et la notion d’Afrique noire ne véhicule pas la même chose. Effectivement, lorsque je suis arrivé pour enseigner dans l’université Paris 7, on avait un laboratoire qui s’appelait Afrique noire et j’ai contribué à changer, à enlever ce nom parce que c’est le seul continent qu’on appelle par une couleur qui n’a absolument aucun sens.

GRÉGORY : Ça n’a aucun sens et il y a des différences majeures d’un pays à l’autre. Vous vous êtes spécialiste de certains des pays d’ailleurs.

ODILE : Alors, comme tout historien, on a ce qu’on appelle un terrain ou un lieu de recherche. Donc moi, j’ai travaillé sur la Guinée et la Sierra Leone, ce qui déjà m’a donné un atout énorme parce que c’est du comparatisme et qu’effectivement, si vous allez en Guinée, vous allez trouver, et je caricature un peu, la baguette à la française pour le pain qui s’est largement répandu à partir de la colonisation. Si vous allez en Sierra Leone, vous avez le pain de mie coupé en triangle, donc déjà là, c’est totalement différent. Mais ensuite, comme j’ai enseigné l’histoire de l’Afrique dans mon université, j’ai été obligé d’enseigner de manière large. Moi j’ai circulé un peu partout, donc j’ai une connaissance assez large, mais j’ai été, on va dire, spécialisé en Afrique centrale et occidentale, ce qui fait déjà un très gros morceau.

GRÉGORY : Oui, c’est sûr. Et alors, est-ce que vous pouvez nous parler, par exemple, des différences majeures d’un pays à l’autre ? Il y a des différences, je pense au Niger ou il y a vraiment des différences très majeures, déjà d’une côte à l’autre. Il y a des différences majeures d’un pays à l’autre. Est-ce que vous nous parlez de ces différences ?

ODILE : Les différences sont énormes et comme vous le disiez tout au début entre la Finlande et la Grèce, on voit tout de suite les différences qui sont déjà données par l’écologie, par le milieu, par l’environnement. Ce n’est pas le même climat, ce n’est donc pas la même agriculture. L’agriculture, c’est la relation sociale. Comment on gère ou non les réserves, etc, donc il y a des différences environnementales et très importantes, des différences culturelles très importantes, des différences qui sont plus récentes, mais avec quand même des profondeurs historiques, religieuses, puisqu’il y a eu l’importation des deux grands monothéismes, l’islam et le christianisme. Le judaïsme n’étant pas prosélyte, il est resté localisé à l’Éthiopie où vous aviez une communauté, donc il y a des différences culturelles aussi, des différences énormes dont les gens n’ont peut-être pas conscience. Toujours dans les rapports sociaux, entre des cultures qui sont très introverties ou on ne s’exprime pas, et des cultures plus exubérantes. Les différences se marquent à tous les niveaux.

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