#137 Résilience, biomimétisme et connexion au vivant avec Tarik Chekchak

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GRÉGORY : Je pense que l’Institut Cousteau, ça intéresse tout le monde. Il y a vraiment tout ce mythe autour de l’Institut Cousteau. Tu peux repréciser ce que tu faisais dans cet institut.

TARIK : Quand j’ai rejoint l’équipe Cousteau et la Cousteau Society créée par le commandant Cousteau. J’ai été chef de projet spécialiste de l’approche intégrée des espaces maritimes, qu’est-ce que ça veut dire ? L’approche intégrée, c’est essayer de concilier protection de la biodiversité avec réduction de la pauvreté par exemple, et permettre un certain type de développement qui n’a pas pour prix de détruire les valeurs naturelles. Très rapidement, je suis devenu directeur sciences et environnement, j’ai beaucoup travaillé dans des pays en crise ou en post-crise, mais avec des grands enjeux aussi bien en termes de protection de la biodiversité marine et côtière que des enjeux humains. Par exemple au Soudan, dans la mer Rouge ou bien à Djibouti ou dans certaines zones du Mexique. L’essentiel de mon boulot, c’était ça avec bien d’autres choses, participer aux COP pour le climat, pour la biodiversité et essayer d’influencer finalement un maximum d’acteurs gouvernementaux, entre autres, aussi privés, publics, pour essayer d’aller vers finalement plus de conciliation entre un certain type de développement et la protection d’une biodiversité remarquable.

GRÉGORY : Maintenant, tu es donc directeur du pôle biomimétisme à l’Institut, il y a plein de sujets dont on a parlé ensemble et qui m’intéressent. J’ai déjà fait un épisode sur le biomimétisme avec Idriss Aberkane, mais ici, j’aimerais bien qu’on parle de la reconnexion avec le vivant. Qu’est-ce que ça veut dire de se reconnecter avec le vivant ?

TARIK : C’est vrai que c’est peut-être presque un abus de langage, on est connectés de toute façon dans la toile de la vie. Le problème, c’est qu’on ne se rend pas compte. La preuve, c’est que quand on regarde ce qui se passe avec la crise du vide, il y a directement un lien avec la destruction de la biodiversité, avec le fait que les humains se sont retrouvés au contact d’espèces d’une manière qui n’aurait pas dû se passer comme ça, parce que justement, des milieux naturels ont été dégradés, parce qu’il y a eu du commerce d’espèces sauvages qui n’auraient pas dû se faire, que ça soit le pangolin ou d’autres. Donc, on voit bien qu’on est effectivement connecté dans une toile de la vie qui existe depuis 3,8 milliards d’années sur cette planète, mais que notre espèce a la particularité d’être capable de réfléchir sa place dans le monde, d’inventer des concepts, etc. C’est magnifique cette capacité-là, on peut avoir le sens de la beauté, le sens de la poésie, de la spiritualité, mais en même temps, on peut aussi développer des concepts qui nous coupent intellectuellement des réalités sous-jacentes. Le biomimétisme tel que je le porte, c’est une des façons d’aller dans cette partie conceptuelle qui normalement nous déconnecte pour nous reconnecter intellectuellement, parce que dans les faits, nous sommes toujours connectés, mais nous reconnecter dans le monde des concepts à cette toile de la vie et qu’on apprenne à la célébrer et à la respecter quand on crée de la valeur.

GRÉGORY : Peut-être qu’il faut réexpliquer pour ceux qui ne savent pas ce que c’est que le biomimétisme, parce que ce n’est pas une notion qui est très connue finalement, je crois. Est-ce que tu peux réexpliquer rapidement ce que c’est.

TARIK : Bon, déjà, vous imaginez bien qu’en ayant travaillé pendant 13 ans chez Cousteau, j’ai la chance aussi d’être chef d’expédition polaire depuis 25 ans. Je ne suis pas venu à l’innovation pour l’innovation. Je suis venu à l’innovation parce qu’il y a eu à un moment très précis, j’étais au Spitzberg, dans un magnifique environnement polaire, avec un ours blanc, dans une zone complètement loin de toute activité humaine. On a passé une matinée magnifique avec cet ours, avec des scientifiques qui étaient là pour l’étudier, puis l’après-midi, je débarque près d’un glacier et je tombe sur des choses que j’avais déjà vues, des déchets humains qui ont été ramenés par les courants marins, du plastique, des bouteilles y compris, d’ailleurs ça m’avait frappé, une bouteille de shampoings bio, et là-dedans, il y avait des sternes qui étaient mortes à cause des déchets plastiques. Les sternes, ce sont des magnifiques oiseaux qui sont capables de faire des migrations de milliers de kilomètres, de l’Antarctique jusqu’à l’Arctique, mais aussi des rennes qui s’étaient pris dans des morceaux de filets et qui étaient morts à cause de ça. J’étais vraiment découragé cette année-là, je me suis dit à quoi ça sert de faire des parcs nationaux d’un nouveau genre, dans les zones du Soudan ou il y a des récifs incroyables, il y a encore des requins, etc,  face au changement climatique, changement global, élévation de la température, blanchiment des coraux, tout ça peut s’effondrer du jour au lendemain et tous vos beaux efforts de bonnes pratiques peuvent être complètement balayés. À quoi ça sert face à la marée de plastiques qui arrivent dans les océans ? Alors là, je me suis dit finalement, on ne va pas rester sur ce sentiment-là. C’est comme ça que j’ai découvert le biomimétisme, comme un moyen de continuer mon travail de militant, mais plus en amont, parce que la personne qui a fait le Lego que j’ai retrouvé sur la plage, dans l’Arctique ou qui a fait la bouteille de shampoings bio, elle n’avait pas envie que ça finisse comme ça, c’est sûr. Le biomimétisme est, pour moi, une façon de monter en amont, d’arrêter, d’essayer de trouver les robinets et de commencer à influencer ce qui sort des robinets.

GRÉGORY : C’est s’inspirer un petit peu de la nature. Tu me parlais tout à l’heure qu’il y avait finalement 2 courants dans le biomimétisme. Il y a, s’inspirer de la nature pour faire de l’innovation et il y a la tienne qui est s’inspirer de la nature pour se reconnecter.

TARIK : Ce n’est pas forcément opposé, mais c’est sûr qu’il faut être clair sur la posture. S’inspirer de la nature, c’est vieux comme l’humanité. On n’a pas attendu le mot biomimétisme pour le faire. Le fait de voir des chasseurs-cueilleurs qui observent la façon dont tel fauve a chassé, il fait du biomimétisme quelque part sans le savoir, il n’y a pas eu besoin d’attendre le mot pour ça. Léonard de Vinci avec ses codex magnifiques, observateur de la nature. Il y a quand même un style particulier de biomimétisme, qui est : j’ai un challenge humain à résoudre, mais je ne sais pas quelle espèce pourrait me servir d’inspiration. Ça, c’est plutôt orienté, solution de problème. Un autre type de biomimétisme qui est : wow c’est extraordinaire la capacité des Lotus de s’autonettoyer, mais je ne sais pas à quoi je pourrais appliquer ça dans la technologie. Donc là, on parle du modèle vivant qu’on a identifié de caractéristiques précises et on a envie finalement de faire une émulation qui puisse servir dans le monde humain pour résoudre des problématiques. Donc ça, c’est de l’innovation bio inspirée, super. Mais il y a une partie qui concerne vraiment le biomimétisme. C’est le fait de le faire avec un esprit d’écoconception, d’essayer de réduire nos empreintes négatives, voire même de générer des empreintes positives. Ça, c’est une Américaine qui pour la première fois à poser cette intention, en 1997, dans l’approche de s’inspirer de la nature. Ce n’est plus simplement s’inspirer de la nature, c’est s’inspirer de la nature pour résoudre des grands problèmes de société qui sont les nôtres, des problèmes de la transition et aussi très important, ce que l’institut rajoute en plus, il faut que les sciences de l’ingénierie écologique et de la biologie rencontrent aussi les humanités. C’est-à-dire qu’il faut le faire aussi dans un esprit humaniste.

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Description de l’épisode

Tarik Chekchak est le directeur du pôle biomimétisme de l’Institut des Futurs Souhaitables et fondateur de Pikaia et ancien directeur science et environnement de l’institut Cousteau.
Je ne sais pas pour vous mais rien que l’évocation de l’institut Cousteau me fait rêver et me replonge en enfance.
Et Tarik va vous faire rêver par ses histoires professionnelles et personnelles.

Avec lui on parle évidemment de biomimétisme et vous allez comprendre ce que c’est d’abord mais surtout de reconnexion avec le vivant. Qu’est ce que ca veut dire concrêtement et surtout comment on y arrive. Tarik a une vision particulière du biomimétisme qu’il pratique et la question centrale pour lui est toujours de rechercher à avoir un impact positif.
On discute aussi de résilience bien sur car nous allons devoir prendre cette voie et nous entrons un peu dans le détail ensemble.

Comme toujours aucune leçon donnée à personne, il partage son expérience, sa vision des choses et va vous permettre d’apporter de l’eau au moulin de vos conversations de terrasses (ou autres).
Tarik se livre comme il le fait rarement et nous parlons aussi de sacré, de croyances et de spiritualité – dimension très importante pour lui.
Pour être tout à fait sincère, depuis le 1er jour ou j’ai rencontré Tarik, j’ai rêvé de l’avoir sur Vlan, de partager avec vous la sagesse, l’humilité, le savoir de cette personne exceptionnelle. J’espère que vous apprécierez autant que moi cet épisode.

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Transcription partielle de l’épisode

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GRÉGORY : Je pense que l’Institut Cousteau, ça intéresse tout le monde. Il y a vraiment tout ce mythe autour de l’Institut Cousteau. Tu peux repréciser ce que tu faisais dans cet institut.

TARIK : Quand j’ai rejoint l’équipe Cousteau et la Cousteau Society créée par le commandant Cousteau. J’ai été chef de projet spécialiste de l’approche intégrée des espaces maritimes, qu’est-ce que ça veut dire ? L’approche intégrée, c’est essayer de concilier protection de la biodiversité avec réduction de la pauvreté par exemple, et permettre un certain type de développement qui n’a pas pour prix de détruire les valeurs naturelles. Très rapidement, je suis devenu directeur sciences et environnement, j’ai beaucoup travaillé dans des pays en crise ou en post-crise, mais avec des grands enjeux aussi bien en termes de protection de la biodiversité marine et côtière que des enjeux humains. Par exemple au Soudan, dans la mer Rouge ou bien à Djibouti ou dans certaines zones du Mexique. L’essentiel de mon boulot, c’était ça avec bien d’autres choses, participer aux COP pour le climat, pour la biodiversité et essayer d’influencer finalement un maximum d’acteurs gouvernementaux, entre autres, aussi privés, publics, pour essayer d’aller vers finalement plus de conciliation entre un certain type de développement et la protection d’une biodiversité remarquable.

GRÉGORY : Maintenant, tu es donc directeur du pôle biomimétisme à l’Institut, il y a plein de sujets dont on a parlé ensemble et qui m’intéressent. J’ai déjà fait un épisode sur le biomimétisme avec Idriss Aberkane, mais ici, j’aimerais bien qu’on parle de la reconnexion avec le vivant. Qu’est-ce que ça veut dire de se reconnecter avec le vivant ?

TARIK : C’est vrai que c’est peut-être presque un abus de langage, on est connectés de toute façon dans la toile de la vie. Le problème, c’est qu’on ne se rend pas compte. La preuve, c’est que quand on regarde ce qui se passe avec la crise du vide, il y a directement un lien avec la destruction de la biodiversité, avec le fait que les humains se sont retrouvés au contact d’espèces d’une manière qui n’aurait pas dû se passer comme ça, parce que justement, des milieux naturels ont été dégradés, parce qu’il y a eu du commerce d’espèces sauvages qui n’auraient pas dû se faire, que ça soit le pangolin ou d’autres. Donc, on voit bien qu’on est effectivement connecté dans une toile de la vie qui existe depuis 3,8 milliards d’années sur cette planète, mais que notre espèce a la particularité d’être capable de réfléchir sa place dans le monde, d’inventer des concepts, etc. C’est magnifique cette capacité-là, on peut avoir le sens de la beauté, le sens de la poésie, de la spiritualité, mais en même temps, on peut aussi développer des concepts qui nous coupent intellectuellement des réalités sous-jacentes. Le biomimétisme tel que je le porte, c’est une des façons d’aller dans cette partie conceptuelle qui normalement nous déconnecte pour nous reconnecter intellectuellement, parce que dans les faits, nous sommes toujours connectés, mais nous reconnecter dans le monde des concepts à cette toile de la vie et qu’on apprenne à la célébrer et à la respecter quand on crée de la valeur.

GRÉGORY : Peut-être qu’il faut réexpliquer pour ceux qui ne savent pas ce que c’est que le biomimétisme, parce que ce n’est pas une notion qui est très connue finalement, je crois. Est-ce que tu peux réexpliquer rapidement ce que c’est.

TARIK : Bon, déjà, vous imaginez bien qu’en ayant travaillé pendant 13 ans chez Cousteau, j’ai la chance aussi d’être chef d’expédition polaire depuis 25 ans. Je ne suis pas venu à l’innovation pour l’innovation. Je suis venu à l’innovation parce qu’il y a eu à un moment très précis, j’étais au Spitzberg, dans un magnifique environnement polaire, avec un ours blanc, dans une zone complètement loin de toute activité humaine. On a passé une matinée magnifique avec cet ours, avec des scientifiques qui étaient là pour l’étudier, puis l’après-midi, je débarque près d’un glacier et je tombe sur des choses que j’avais déjà vues, des déchets humains qui ont été ramenés par les courants marins, du plastique, des bouteilles y compris, d’ailleurs ça m’avait frappé, une bouteille de shampoings bio, et là-dedans, il y avait des sternes qui étaient mortes à cause des déchets plastiques. Les sternes, ce sont des magnifiques oiseaux qui sont capables de faire des migrations de milliers de kilomètres, de l’Antarctique jusqu’à l’Arctique, mais aussi des rennes qui s’étaient pris dans des morceaux de filets et qui étaient morts à cause de ça. J’étais vraiment découragé cette année-là, je me suis dit à quoi ça sert de faire des parcs nationaux d’un nouveau genre, dans les zones du Soudan ou il y a des récifs incroyables, il y a encore des requins, etc,  face au changement climatique, changement global, élévation de la température, blanchiment des coraux, tout ça peut s’effondrer du jour au lendemain et tous vos beaux efforts de bonnes pratiques peuvent être complètement balayés. À quoi ça sert face à la marée de plastiques qui arrivent dans les océans ? Alors là, je me suis dit finalement, on ne va pas rester sur ce sentiment-là. C’est comme ça que j’ai découvert le biomimétisme, comme un moyen de continuer mon travail de militant, mais plus en amont, parce que la personne qui a fait le Lego que j’ai retrouvé sur la plage, dans l’Arctique ou qui a fait la bouteille de shampoings bio, elle n’avait pas envie que ça finisse comme ça, c’est sûr. Le biomimétisme est, pour moi, une façon de monter en amont, d’arrêter, d’essayer de trouver les robinets et de commencer à influencer ce qui sort des robinets.

GRÉGORY : C’est s’inspirer un petit peu de la nature. Tu me parlais tout à l’heure qu’il y avait finalement 2 courants dans le biomimétisme. Il y a, s’inspirer de la nature pour faire de l’innovation et il y a la tienne qui est s’inspirer de la nature pour se reconnecter.

TARIK : Ce n’est pas forcément opposé, mais c’est sûr qu’il faut être clair sur la posture. S’inspirer de la nature, c’est vieux comme l’humanité. On n’a pas attendu le mot biomimétisme pour le faire. Le fait de voir des chasseurs-cueilleurs qui observent la façon dont tel fauve a chassé, il fait du biomimétisme quelque part sans le savoir, il n’y a pas eu besoin d’attendre le mot pour ça. Léonard de Vinci avec ses codex magnifiques, observateur de la nature. Il y a quand même un style particulier de biomimétisme, qui est : j’ai un challenge humain à résoudre, mais je ne sais pas quelle espèce pourrait me servir d’inspiration. Ça, c’est plutôt orienté, solution de problème. Un autre type de biomimétisme qui est : wow c’est extraordinaire la capacité des Lotus de s’autonettoyer, mais je ne sais pas à quoi je pourrais appliquer ça dans la technologie. Donc là, on parle du modèle vivant qu’on a identifié de caractéristiques précises et on a envie finalement de faire une émulation qui puisse servir dans le monde humain pour résoudre des problématiques. Donc ça, c’est de l’innovation bio inspirée, super. Mais il y a une partie qui concerne vraiment le biomimétisme. C’est le fait de le faire avec un esprit d’écoconception, d’essayer de réduire nos empreintes négatives, voire même de générer des empreintes positives. Ça, c’est une Américaine qui pour la première fois à poser cette intention, en 1997, dans l’approche de s’inspirer de la nature. Ce n’est plus simplement s’inspirer de la nature, c’est s’inspirer de la nature pour résoudre des grands problèmes de société qui sont les nôtres, des problèmes de la transition et aussi très important, ce que l’institut rajoute en plus, il faut que les sciences de l’ingénierie écologique et de la biologie rencontrent aussi les humanités. C’est-à-dire qu’il faut le faire aussi dans un esprit humaniste.

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